
Paris, le jeudi 19 janvier 2023 – Si les autorités se félicitent de leur politique de lutte contre la consommation de crack, le combat contre la toxicomanie semble loin d’être gagné.
Le 20 juillet dernier, Laurent Nunez était nommé préfet de police de Paris avec un objectif clair mais difficile : mettre fin d’ici un an au trafic et à la consommation de crack à Paris, qui gangrène le nord-est parisien depuis plusieurs années désormais et nuit à la tranquillité des riverains. Six mois après sa prise de fonction, l’ancien secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur dresse un bilan très positif de son action. Selon lui, il n’y a désormais « plus de scène de consommation et de vente de crack à ciel ouvert ». Il se félicite notamment d’avoir mené, le 5 octobre dernier, le démantèlement et l’évacuation d’un camp de consommateurs de crack qui s’était formé au square Forceval près de la Porte de la Villette.
Exercice d’autocongratulation pour Laurent Nunez
La dispersion des quelques centaines de toxicomanes qui occupaient ce campement de fortune a permis de « rendre plus difficile l’accès au produit pour les consommateurs et l’accès à ces derniers pour les trafiquants » se félicite le préfet de police. L’évacuation de ce rassemblement sans mise à l’abri des consommateurs créait évidemment le risque qu’un nouveau camp de toxicomanes se reforme rapidement quelques centaines de mètres plus loin, comme ce fut le cas ces dernières années lors de chaque démantèlement, que ce soit à La Chapelle, à Stalingrad ou aux jardins d’Eole. C’est pourquoi « 300 à 600 effectifs de police sont mobilisés chaque jour pour sécuriser les territoires du nord-est parisien où les consommateurs se sont dispersés, empêcher qu’ils ne se regroupent et occasionnent des nuisances aux riverains » explique l’énarque.
Selon Laurent Nunez, les dispositifs de prise en charge médico-sociale des toxicomanes « montent en puissance » avec « 541 consommateurs qui bénéficient tous les soirs d’un hébergement et d’un accompagnement sanitaire et social ». Reprenant les résultats d’une étude menée à Lyon, le préfet de police indique que « 87 % des consommateurs pris en charge réduisent leur consommation et 19 % l’arrêtent », des chiffres remis en cause par certains toxicologues.
Mais c’est logiquement sur l’aspect répressif de sa politique que le préfet de police insiste le plus. « Cette année, 285 trafiquants ont été arrêtés et 3,5 kilos de crack ont été saisis » indique-t-il. « Depuis mon arrivée, pour les trafiquants, c’est soit la case prison, soit la case reconduite : une cinquantaine de trafiquants ouest-africains ont été éloignés ».
La répression policière privilégiée au détriment de l’aspect sanitaire
A entendre le préfet de police, la guerre contre le crack à Paris, menée depuis plus de 5 ans, serait donc sur le point d’être remportée. Une analyse loin d’être partagée par certains observateurs et notamment par Pierre Liscia, conseiller régional d’Ile-de-France particulièrement engagé sur cette question. Selon lui, l’évacuation du camp de Forceval n’a fait que déplacer le problème et ce sont désormais les habitants du quartier Charles Hermitte, près de la Porte d’Aubervilliers, qui doivent subir la cohabitation avec les toxicomanes. « Les pouvoirs publics ne prennent pas la mesure de l’urgence» dénonce l’élu. Depuis décembre, dans ce quartier parisien populaire, les écoliers sont escortés par la police municipale sur le chemin de l’école pour éviter des agressions par des toxicomanes.
Pour de nombreux spécialistes, le problème de fond est que depuis 2021, les autorités semblent avoir renforcé la réponse policière, au détriment de la prise en charge sanitaire des toxicomanes. La création de nouveaux centres d’injection supervisés renommés désormais « haltes soins addiction » (et aussi parfois plus directement désignés « salles de shoot »), est en effet à l’arrêt en raison de l’opposition des riverains à tout nouveau projet de ce type.
« Personne ne s’est engagée dans une véritable politique de soins des toxicomanes, ce ne sont pas des policiers qui vont venir à bout d’un problème de santé publique, la racine du problème est l’addiction au crack » commente Pierre Liscia, qui dénonce le grand gâchis qu’est le plan crack de 2019, « 25 millions d’euros jetés par les fenêtres ».
Manque de moyens sanitaires, opposition des riverains, luttes de pouvoir entre la ville de Paris, la région Ile-de-France et l’Etat : les raisons de l’échec de la politique contre le crack dans la capitale sont nombreuses. Et ce sont les toxicomanes et les habitants des quartiers concernés qui sont les premières victimes de ce blocage.
Nicolas Barbet