Paris, le samedi 31 octobre 2015 – Le Sénat a examiné
cette semaine en deuxième lecture la proposition de loi des députés
Alain Claeys (PS) et Jean Leonetti (LR) « créant de nouveaux droits
en faveur des malades et des personnes en fin de vie ». Après avoir
été remanié par la commission des affaires sociales, le texte qui
ne revient pas sur le droit à la sédation profonde et continue, a
été adopté à une très large majorité (287 voix contre 10).
Cependant, le gouvernement considère qu'il signe un recul par
rapport à celui voté par l'Assemblée nationale, notamment parce
qu'il fait de l'hydratation un "soin pouvant être prodigué jusqu'au
décès". C'est désormais à la commission mixte partiaire qui devra
s'entendre sur un texte commun.
Lors du premier examen du texte par la Haute assemblée, le «
consensus » que tout le monde espérait avait tourné court,
symbolisé par le rejet du texte par les élus du Palais du
Luxembourg. Les débats avaient notamment permis de révéler
l’inquiétude nourrie par ce texte chez certains praticiens qui
redoutent que ce texte n’ouvre la voie à des « euthanasies »
masquées. C’est également le souci qui anime le professeur Olivier
Jonquet, médecin réanimateur et président de la commission médicale
d’établissement (CME) du CHU de Montpellier qui s’exprime pour nous
sur ce sujet.
Par le professeur Olivier Jonquet
L’évolution du texte de la loi Leonetti est apaisante à première vue : les soins palliatifs sont promus (mais cela ne fait que rappeler les manquements à la mise en œuvre de la loi de 1999), la volonté du patient est mise à nouveau en avant, ce qui n’est qu’un rappel de la loi Kouchner du 4 mars 2002 et les directives anticipées sont valorisées. D’autre part, les mots qui fâchent n’apparaissent pas : suicide assisté, suicide médicalement assisté, sédation terminale, voire aide à mourir ; a fortiori « euthanasie », c’est-à-dire, quel que soit le terme utilisé, la volonté de donner la mort.
Une réponse déjà utilisée
Cependant, l’article 3 fait débat en donnant la possibilité d’un
droit « à un traitement à visée sédative et antalgique
provoquant une altération profonde et continue de la vigilance
jusqu’au décès »(1).
C’est nouveau et cela pose question. En effet qu’est-ce-que la
sédation ? « La sédation est la recherche, par des moyens
médicamenteux, d’une diminution de la vigilance pouvant aller
jusqu'à la perte de conscience. Son but est de diminuer ou de faire
disparaître la perception d’une situation vécue comme insupportable
par le patient, alors que tous les moyens disponibles et adaptés à
cette situation ont pu lui être proposés et/ou mis en œuvre pour
permettre le soulagement escompté. La sédation(…) peut être
appliquée de façon intermittente, transitoire ou continue
»(2).
Dans quelles conditions serait-elle appliquée ?
« Lorsque le patient atteint d’une affection grave et
incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme présente
une souffrance réfractaire au traitement »(1) nous répond le
texte de loi. Cela est déjà mis en œuvre, entre autres, par les
équipes médicales de cancérologie, de pneumologie, de soins
palliatifs ; a fortiori dans les situations où les
patients atteints d’un cancer du poumon ou ORL rompent un
vaisseau et se trouvent dans un état d’asphyxie aiguë
irrécupérable…
« Lorsque la décision du patient, atteint d’une affection grave
ou incurable, d’arrêter un traitement, engage son pronostic à court
terme » ajoute la loi(1). La législation actuelle prévoit déjà
cette éventualité (CSP L.1111-4). Il n’est pas question de laisser
conscient quelqu’un qui a décidé de ne plus continuer une
ventilation artificielle dont il dépend 24h/24, il est alors sédaté
avant d’être débranché du respirateur.
« Un suicide médicalement assisté qui n’ose pas dire son nom » ?
Pour autant, des dérives peuvent survenir. « La phase terminale de la vie est celle où le pronostic vital est engagé à court terme » (3) explique le rapport de présentation de la proposition de loi des députés Leonetti et Claeys. Que veut dire court terme ? Pour un médecin ou un soignant, cela ne dure que quelques heures voire quelques jours. Cependant, on peut imaginer quelqu’un qui n’est pas en "fin de vie" mais atteint, par exemple, d’une maladie neuromusculaire (Sclérose Latérale Amyotrophique…), d’un cancer avec quelques mois de vie en perspective demandant un traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération continue de la vigilance jusqu’au décès. Sans vouloir faire un procès d’intention aux législateurs cela n’ouvre-t-il pas la place à un suicide médicalement assisté qui n’ose pas dire son nom. En Suisse, où le suicide assisté est légal, plus du tiers des demandes émaneraient de patients qui ne sont pas en fin de vie(4).
Etait-il réellement nécessaire de se doter d’une nouvelle loi ?
La proposition de loi donne une vision réductrice et faussée de ce qu’est la sédation. Elle escamote sa possibilité d’être transitoire et adaptée à la situation du patient grâce à une "titration", c’est-à-dire la recherche d’une diminution de la vigilance ajustée à l’état du patient, en lien avec ses réactions. Quelle est la différence, en effet, entre le « cocktail lytique » historique, les euthanasies clandestines que nous avons connues et la sédation jusqu’à ce que mort s’ensuive que prévoit la loi ? La loi Leonetti de 2005, très pédagogique, a donné un cadre, elle a modifié les manières de faire dans beaucoup de services, mais elle reste mal connue à la fois du public et de certains personnels soignants. Dans notre pays, on n’arrête pas de changer la loi avant que la précédente n’ait pu donner ses effets. Sur ce sujet complexe, souvent douloureux, il faut du temps, de la pédagogie, de la formation des personnels médicaux et soignants, une vraie information du public en vue d’un accompagnement individualisé du patient, de sa famille, de son entourage. Il y aurait également beaucoup à dire sur la nutrition et l’alimentation artificielles considérées dans la proposition de loi comme des traitements (voir l’article 2(1)). Ici encore quelle est l’intention qui présiderait à leur arrêt ?
Clause de conscience
Dans cette proposition de loi, une frontière est donc franchie. Avec un risque de basculement sur la pente glissante de l’euthanasie et du suicide assisté. C’est la raison pour laquelle plus de 12 000 médecins et soignants ont rejoint l’appel de Convergence soignants soignés www.convergence-soins.org. Avec eux, nous demandons une explicitation de la loi sur la fin de vie pour qu’elle maintienne l’interdit de « donner délibérément la mort5 », c’est-à-dire de tuer, fondateur de la relation de confiance entre soignants et soignés. A défaut, nous revendiquons une clause de conscience contre la sédation qui aurait comme intention cachée de provoquer la mort.
1-Proposition de loi Claeys-Leonetti créant de nouveaux droits
en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
2-Sédation pour détresse en phase terminale et dans des situations
spécifiques et complexes : recommandations chez l’adulte et
spécificités au domicile et en gériatrie.(WWW.sfap.org/sédation)
3-Rapport Claeys-Leonetti de présentation de la proposition de loi
créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en
fin de vie.
4-J.Med.Ethics 2008;34:810-14
5-Art 38 du Code de déontologie médicale