
Paris, le mercredi 25 janvier 2023 – Le ministère de la Santé a ordonné le retrait de toutes les fresques de salles de garde, jugés sexistes et pornographiques.
Depuis près de deux siècles, les salles de garde, avec leurs rites carabins, font partie de la vie quotidienne des médecins hospitaliers français. Si les traditions de salle de garde se perdent (un peu) et si dans de nombreux hôpitaux elles sont désormais devenues des cantines anodines, les fresques qui ornent leurs murs constituent un vestige de cet esprit carabin. Mais ces dessins pornographiques, où sont généralement représentés les médecins des services hospitaliers en plein ébats sexuels, sont depuis plusieurs années taxés de sexisme (bien qu’on y trouve beaucoup d’hommes dans des positions peu avantageuses). Elles semblent devenues incompatibles avec l’esprit de notre temps, marqué par le mouvement MeToo et un combat salutaire (mais parfois contesté quant à ses fondements objectifs) contre toute forme de sexisme.
C’est pourquoi, dans une circulaire en date du 17 janvier, la direction générale de l’offre de soins (DGOS), qui dépend du ministère de la santé, demande aux établissements hospitaliers de mettre définitivement fin à cette tradition jugée archaïque en retirant des salles de garde « l’ensemble des fresques carabines à caractères pornographiques et sexistes ».
Les fresques retirées…au nom de la sécurité !
Le ministère justifie cette décision par l’article L. 4121-1 du code du travail qui impose à tout employeur public de prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». La DGOS considère en effet que la survivance de ces fresques carabines constitue « un agissement à connotation sexuelle subi par une personne et ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ». On reste sans voix face à cet argumentaire qui semble considérer que des dessins inoffensifs constituent un danger imminent.
Mais c’est sans doute surtout la pression des tribunaux qui a poussé le ministre de la Santé à agir. Dans une décision inédite, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse avait ordonné le 8 décembre 2021 le retrait d’une fresque jugée sexiste dans une salle de garde du CHU de Purpan à la demande de l’association Osez le féminisme. Forte de cette victoire judiciaire, l’association entendait saisir le Conseil d’Etat pour obtenir une interdiction nationale de ces fresques, que le ministère vient donc de prononcer.
La DGOS a eu soin de consulter les différentes parties concernés (directeurs d’établissements, médecins, internes…) avant de prendre sa décision mais reconnait qu’aucune position commune n’a pu être dégagé.
Olivia Fraigneau, présidente de l’Intersyndicale nationale des internes (Isni), qui a été auditionnée par la DGOS sur le sujet, ne cache pas son embarras sur cette question qui oppose respect de la tradition et lutte contre le sexisme. Tout en disant « craindre que l’internat devienne un endroit totalement aseptisé, sans décoration, qui devienne presque une pièce d’hôpital comme une autre », elle reconnait qu’ « aujourd’hui, ces fresques font moins l’unanimité qu’avant chez les internes » et que leur caractère sexiste « pose problème ». Pour autant, elle considère que la priorité devrait plutôt être donné à l’amélioration des conditions d'accueil des internes. « Le vrai scandale, ce ne sont pas les fresques, mais bien les chambres d’internat où les murs s’effondrent et où il y a des rats » s’indigne la future urgentiste.
Des progressistes très puritains
La DGOS recommande aux établissements hospitaliers d’organiser le retrait de ces fresques dans le cadre d'un processus incluant les internes et étudiants en médecine afin « d’éviter les contentieux et de rechercher le consensus ». Il est notamment recommandé de conserver les fresques hors des salles de garde, afin de préserver le « patrimoine carabin », comme c’est déjà le cas pour certaines fresques. La circulaire précise toutefois qu’«en cas de carence ou d’impossibilité de trouver un accord, le directeur général de l’Agence Régionale de Santé (ARS) pourra imposer le retrait des fresques ».
Le retrait de ces fresques constitue-t-il un nouvel excès du « wokisme » ou l’abandon salutaire d’une tradition archaïque ? En viendra-t-on à badigeonner les Jérôme Bosch ou à remettre des pagnes au plafond de la chapelle sixtine ? Chacun jugera. Mais selon nous, on ne peut que regretter que, au nom du combat essentiel contre le sexisme, on en vienne à stigmatiser des traditions somme toute inoffensives. C’est oublier que l’esprit carabin n’est pas qu’une simple pochade, mais constitue également une catharsis pour des médecins confrontés à un quotidien difficile.
Paradoxalement, les progressistes d’aujourd’hui deviennent plus puritains que leurs ainés supposés réactionnaires.
Nicolas Barbet