
En 2014, l’arrivée sur le marché du sofosbuvir, un antiviral
commercialisé sous le nom de Sovaldi par le laboratoire américain
Gilead, a représenté un espoir important pour tous les patients
atteints d’hépatite C. Problème, la firme américaine a fixé un prix
de vente extrêmement élevé de 41 000 euros pour un traitement de 3
mois (et de 75 000 dollars aux Etats-Unis), ce qui a obligé les
autorités sanitaires françaises à n’autoriser initialement la prise
en charge de ce traitement que pour les patients les plus gravement
atteints, avant que l’accès à ce médicament soit étendu à tous les
porteurs du virus de l’hépatite C en 2017.
L’OEB botte en touche
Un véritable scandale pour l’association Médecins du Monde,
qui se bat depuis plusieurs années contre les prix parfois
exorbitants de certains médicaments vitaux et ce qu’elle qualifie
de « monopoles abusifs ». Depuis que l’Office européen des brevets
(OEB) a accordé un brevet au Sovaldi le 21 mai 2014, l’association
s’est lancée dans une véritable croisade contre Gilead.
En février 2015, elle a ainsi entamé une procédure
d’opposition au brevet. Le 5 octobre 2016, l’OEB a donné en partie
raison à l’association, en réduisant la portée du brevet pour
exclure notamment le sofosbuvir, principe actif du Sovaldi. Mais le
brevet en lui-même a été maintenu, l’OEB rejetant la prétention de
Médecins du Monde selon laquelle le Sovaldi n’a pas d’ «
activité inventive » et ne peut donc être breveté.
Les deux parties avaient fait appel de cette décision
intermédiaire et il a fallu attendre six ans pour que la chambre
des recours de l’OEB se prononce. Une nouvelle décision rendue
jeudi dernier et qui n’a en rien fait avancer les choses : la
chambre des recours a confirmé sa décision de modification du
brevet et a botté en touche sur la question centrale du caractère
innovant du Sovaldi.
La chambre devra se réunir à une date ultérieure (non encore
fixée) pour se prononcer sur la question. « Il est probable que
cela ait lieu dans environ un an » explique Quentin Jorget,
expert en propriété intellectuelle qui défend Médecins du monde
dans ce dossier. Le brevet du Sovaldi court lui jusqu’en en
2029.
Plus de 44 milliards de dollars de recettes en 3 ans !
Dans un long dossier de presse publié à l’occasion de cette
nouvelle audience devant l’OEB, Médecins du monde dénonce les
agissements de Gilead. Selon l’association, le prix très élevé du
Sovaldi n’est pas justifié par les couts de fabrication ou de
développement et estime que la « marge de profit » serait de 99,6
%. Selon une enquête du Sénat américain, les ventes de Sovaldi et
d’Harvoni (sofosbuvir/ledispavir) auraient rapporté 44 milliards de
dollars à Gilead entre 2014 et 2017, pour un cout de recherche et
développement de 800 millions de dollars. Médecins du monde
rappelle d’ailleurs que le sofosbuvir a été développé par la firme
Pharmasset, racheté par Gilead pour 11 milliards de dollars en
2011.
L’association explique également que cette politique
financière a de lourdes conséquences sanitaires. Ainsi, alors que
le gouvernement français s’était fixé comme objectif en 2018 de
soigner 120 000 patients atteints de l’hépatite C d’ici 2022, ils
ne sont finalement que 95 000 à avoir pu bénéficier d’un
traitement. Médecins du monde regrette ainsi que l’Etat se soit
plié aux desidérata de Gilead, alors qu’elle aurait pu avoir
recours à la procédure de la licence d’office, qui permet d’obliger
le laboratoire propriétaire d’un brevet à délivrer une licence à
ses concurrents. Selon l’association, si un médicament générique du
Sovaldi était autorisé en France, cela générerait plus de 3
milliards d’euros d’économie par an pour l’Assurance maladie.
Bien sûr, les données du problème sont plus complexes que
cela. S’il est évident que limiter les brevets et les prix des
médicaments favorise l’accès aux soins pour tous, il est important
de ne pas aller trop loin, au risque de désinciter les laboratoires
à mettre au point de nouveaux médicaments innovants. Un équilibre
difficile à trouver.
Nicolas Barbet