
Ne pas se débarrasser du fou
En usant parfois de subterfuges en cas de résistance officielle, ses projets de grand reportage le conduisent à s’intéresser aux « exclus » (comme les prostituées ou les travailleurs africains), et en particulier aux malades internés dans les asiles psychiatriques.
Dénonçant les mauvais traitements ou les carences alimentaires et sanitaires dans ces institutions, au milieu des années 1920, Albert Londres affirme qu’il ne faut pas « nous débarrasser du fou, mais débarrasser le fou de sa folie. »
Selon le commentateur du British Journal of Psychiatry, les descriptions compatissantes d’Albert Londres « sonnent juste », en particulier sa présentation « poignante » du « fou persécuté. » Aperçu : « Sa folie ne lui laisse aucun répit. Elle le saisit, le poursuit, le torture. La nuit, elle le guette, elle l’épie, elle l’insulte. » Constat particulièrement intéressant : en ce début du XXème siècle, Albert Londres note que le délire s’est modernisé : « Autrefois, c’était le diable. Le diable est détrôné. Il ne travaille que pour les paysans arriérés. » Désormais, la persécution s’enracine dans les inventions des physiciens, avec notamment « Edison, Marconi, Branly. » Leurs découvertes récentes ont « renvoyé le diable dans son enfer, le persécuteur présent, c’est le cinématographe, le phonographe, la radio, l’avion, la machine à rayons X, le haut-parleur... »
Un complot peut-être
Persécuté par tous ces nouveaux ennemis, le malade de 1925 « vit en transe, dort dans un cauchemar », ne trouvant jamais le repos. Bien qu’il « se bouche les yeux, les oreilles, le nez, en vain », il voit toujours ses persécuteurs, entend leurs menaces : « ça ne cesse de veiller sur lui, ça le frappe, ça le pince, ça le martyrise avec de l’électricité, des barres de fer, du feu, des nappes d’eau, du gaz. » On devine à quel point l’absence de traitement antipsychotique à cette époque complique le quotidien du patient délirant...
La fin de ce grand journaliste relève elle-même du scénario romanesque ! Albert Londres meurt en mai 1932 dans le naufrage du paquebot Georges Philippar le ramenant de Chine [1], alors qu’il dit rapporter de ce pays un scoop en forme de « dynamite », mais ses écrits sont perdus dans la catastrophe. Les théories du complot sur sa mort (provoquée par des « espions » ?) s’amplifient quand les seuls confidents des « informations exclusives » de sa dernière enquête, Alfred et Suzanne Lang-Willar (par ailleurs ancêtres du futur fondateur du Jim) vont eux-mêmes périr dans un accident d’avion, neuf jours après avoir survécu au naufrage du Georges Philippar...
[1]https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/autant-en-emporte-l-histoire/albert-londres-le-dernier-reportage-2282806
Dr Alain Cohen