
Paris, le samedi 11 mars 2023 – L’ancien militant communiste Régis Debray publie en collaboration avec le Dr Claude Grange un ouvrage rendant hommage aux soignants exerçant en soins palliatifs.
Régis Debray a eu 1 000 vies. Compagnon de route de Che Guevara lors de sa dernière aventure en Bolivie, ce fils de bonne famille a passé trois ans dans les geôles boliviennes à la fin des années 1960. De retour en France, il a été haut fonctionnaire, écrivain, philosophe, militant, universitaire, défendant la laïcité un jour, dénonçant l’impérialisme américain un autre. Désormais âgé de 82 ans, l’ancien guérillero, passé tout près d’être exécuté en Bolivie à 27 ans, se penche désormais sur le sujet philosophique par excellence : la mort.
Dans son dernier ouvrage « Le Dernier souffle », écrit en collaboration avec le Dr Claude Grange, qui dirige le centre de soins palliatifs d’Houdan dans les Yvelines, le philosophe entend donner la parole à ces soignants qui pratiquent une médecine du désespoir, qui n’est plus là pour guérir ou soigner, mais pour soulager et accompagner les mourants. A l’heure où la convention citoyenne sur la fin de vie s’est prononcée en faveur de la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté et où l’adoption de cette réforme sociétale majeure ne semble être plus qu’une question de temps, l’ouvrage se positionne nettement en opposition à toute forme d’aide active à mourir. « Avec la loi Clayes-Leonetti, on a des moyens, dont la sédation, pour rester dans le prendre soin » estime le Dr Grange, qui considère que le malade en fin de vie est vulnérable et doit être protégé de la tentation d’accélérer la fin.
Sortir la mort de la clandestinité
L’ouvrage à quatre mains est né de la volonté de Régis Debray de raconter tout ce dont il a été témoin, les nombreuses fois où son ami le Dr Grange lui a « quelque fois prêté une blouse blanche pour que je l’accompagne et écoute à ses côtés les mourants ». Le philosophe ne tarit pas d’éloge pour celui qui « accouche des hommes et des femmes de leur mort ». « Il m’a appris à quitter les pensées de survol, on ne peut, face au vécu de la mort, qu’être au mieux un romancier car tout individu, dans ce genre de lieux, est un cas particulier » explique l’écrivain.
Derrière ce récit de la vie quotidienne dans les services de soins palliatifs, le philosophe dresse le portrait d’une société qui a oublié ce qu’était la mort et n’ose plus en parler. « Mourir se dit partir, la morgue le reposoir ou la salle de départs, l’euthanasie l’aide active à mourir » commente-t-il. « Je crois que nous avons vécu une sorte de révolution culturelle. Au XIXème siècle, on a sorti la sexualité de la clandestinité, aujourd’hui nous avons à sortir de la mort de la clandestinité. Le processus de la mort est de mieux en mieux compris mais sa présence morale et physique est de plus en plus contestée » poursuit-il. Un tabou sur la mort lié au recul de la religion. « En termes d’emplois, moins une société a besoin de grands prêtres, plus elle a besoin de soignants » lance ce spécialiste de la place du sacré dans la société.
Hasta la muerte siempre !
« L’hôpital était le lieu du guérir, il devient le lieu du mourir, je pense qu’on pourrait tout à fait mourir à la maison » explique le Dr Grange. « Quand on pose la question : pour vous une belle mort ça serait quoi ? La plupart des personnes nous disent : ne pas souffrir et plutôt mourir à domicile, entouré de mes proches, pourquoi ne pas le faire ? ». Le Dr Grange a l’espoir que la plupart des patients abandonneraient leur désir de recourir à l’euthanasie ou au suicide assisté s’ils bénéficiaient d’un accompagnement adapté et de qualité.
« Qu’importe où nous surprendra la mort, qu’elle soit la bienvenue pourvu que notre cri de guerre soit entendu » disait Che Guevara, dont la mort est une des plus légendaires du XXème siècle. Soixante ans plus tard, son ancien camarade de combat a adopté une approche plus apaisée de la mort grâce à un héros moins connu mais sans doute plus positif. « Le Dr Grange m’a appris à dompter cette gêne et à regarder la mort en face ».
Quentin Haroche