
Un groupe international d’épidémiologistes, dont les initiateurs sont basés à Cambridge, l’Emerging Risk Factors Collaboration (ERFC), s’attache depuis quelques années à mieux préciser les relations entre divers facteurs de risque et certaines pathologies, vasculaires ou non.
Dans ce cadre, l’ERFC s’est penché depuis 2009 sur le diabète en tant que facteur de risque. En 2010, ce groupe a pu ainsi montrer que, de façon globale, le diabète multipliait environ par 2 le risque de décès de causes vasculaires. Aujourd’hui l’ERFC s’attaque à une question plus difficile, les relations entre le diabète et les autres causes de décès et en particulier la mortalité par cancer. Si plusieurs études ont en effet déjà permis d’évoquer une association positive entre le diabète et certains cancers (comme ceux du foie), on manquait jusqu’ici de données pour distinguer ce qui reviendrait dans cette association à l’hyperglycémie elle-même, à l’hyperinsulinisme ou à l’insulino-résistance ou à des facteurs de risque commun comme l’obésité.
Plus de deux fois plus de carcinomes hépatocellulaires
Pour mieux répondre à ces questions que les travaux précédents, l’ERFC s’est basé sur les données individuelles de 820 900 sujets inclus dans 97 études prospectives. Ces participants, âgés en moyenne de 55 ans, étaient indemnes en apparence de toute affection chronique (vasculaire ou non) et ont été suivis pendant 12,3 millions de personne-années. Pendant la durée de la surveillance 123 205 décès sont survenus et il a donc été possible de comparer les taux de décès de différentes causes chez les diabétiques à l’inclusion (n=40 116) et les non diabétiques.
Les résultats montrent que, sur la période de suivi et pour des patients de cette tranche d’âge, chez les diabétiques, les risques de décès (Hazard ratio) ajustés pour l’âge, le sexe, les habitudes tabagiques et l’indice de masse corporelle (IMC) sont multipliés par :
- 2,32 pour les causes vasculaires (intervalle de confiance
à 95 % [IC95] entre 2,11 et 2,56) ;
- 1,8 pour les décès de toutes causes (1,71 à 1,90) ;
- 1,25 pour les morts par cancer (1,19 à 1,31).
Dans le détail, le diabète est associé à une majoration significative de la fréquence des cancers du foie (HR : 2,16 [1,62 à 2,88], du pancréas (1,51), de l’ovaire (1,45), du côlon et du rectum (1,40), de la vessie (1,40), du poumon (1,27) et du sein (1,25).
Un risque de suicide accru de plus de 50 %
De plus, on retrouve également une augmentation significative de certaines causes de décès non vasculaires et non néoplasiques. Si il n’est pas surprenant de constater un HR de 3,02 pour les néphropathies ou de 2,39 pour les infections, il est plus inattendu de retrouver un accroissement du risque de décès par hépatopathies (HR : 2,28), maladies digestives (1,70), chutes (1,70), pathologies mentales (HR : 1,64), suicide (HR : 1,58), affections neurologiques (1,28) ou BPCO (1,27).
L’hyperglycémie semble être largement en cause
Pour aller plus loin les auteurs ont étudié les relations entre ces différents taux de mortalité et non plus la présence d’un diabète mais la glycémie à l’entrée dans l’étude. D’une façon générale il existe une relation linéaire entre les glycémies à jeun supérieures à 1 g/L et la fréquence des décès. De plus, il est apparu que les sujets ayant une intolérance au glucose (glycémie à jeun supérieure à 5,6 mmol/L [1g] mais inférieure à la définition du diabète [7 mmol/L ou 1,26 g/L]) avaient un risque de décès supérieur à ceux dont la glycémie était comprise entre 0,7 et 1g/L (HR : 1,13 pour les morts par cancers, 1,17 pour les causes vasculaires de décès, et 1,12 pour les morts non néoplasiques et non vasculaires). Il semble donc que l’hyperglycémie (ou un facteur lui étant directement lié) soit en soi un facteur de surmortalité.
Une diminution de l’espérance de vie de 6 ans
Au total, un diabétique de 50 ans apparaît avoir une espérance de vie diminué de 6 ans par rapport à un sujet non diabétique, ce qui est équivalent à ce que l’on observe chez les fumeurs au long cours (7 ans de vie perdus). Cette surmortalité des diabétiques est pour 40 % due à des causes non vasculaires de décès (figure).
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Cette étude, comme toutes celles de ce type, n’est bien sûr pas exempte de biais en dépit des multiples ajustements réalisés et l’on ne peut exclure l’intervention de certains facteurs de confusion sur ces résultats (activité physique, habitudes alimentaires, rôle éventuel des traitements hypoglycémiants etc).
Quoi qu’il en soit, sur le plan physiopathologique il faudra maintenant tenter d’expliquer certaines augmentations de mortalité constatées dans cette étude (notamment par diverses néoplasies et par suicide).
En pratique, cette étude épidémiologique de grande envergure pourrait inciter à adapter les stratégies de prévention ou de dépistage de certains cancers à l’existence d’un diabète. De même que l’on a tenu compte des risques vasculaires majorés des diabétiques pour durcir les objectifs à atteindre en terme de pression artérielle ou de taux de LDL cholestérol.
Dr Anastasia Roublev