
C. GENY,
CHU Montpellier
La première description clinique du syndrome des jambes sans repos (SJSR) a été effectuée par Sir Thomas Willis en 1672. Mais on attribue la paternité de ce syndrome à un neurologue suédois Karl Ekbom en raison de la description clinique très précise qu’il en a fait chez 8 patients en 1945. Cette affection, très fréquente, est restée longtemps méconnue de nombreux médecins, voire même banalisée sous le terme d’impatiences avec des relations causales parfois farfelues. Les progrès dans les mécanismes physiopathologiques, la forte prévalence (5 à 12 %) et la démonstration de l’efficacité de plusieurs médicaments ont permis d’en faire une authentique pathologie qui doit être connue et reconnue par tous les médecins.
À travers le monde…
Le syndrome des jambes sans repos (SJSR) est un syndrome
sensorimoteur se traduisant par un besoin de bouger les jambes et
par des sensations désagréables survenant en position allongée et
assise. Il apparaît essentiellement la nuit avec un pic de
fréquence entre minuit et 3 heures du matin.
Sa prévalence est importante (5 à 12 %), mais seules les formes
retentissant sur la qualité de vie justifient d’un traitement au
long cours.
Les études épidémiologiques se sont, dans un premier temps,
heurtées au fait que cette affection était sous-diagnostiquée. Cela
peut expliquer les différences de prévalence observées en Europe et
dans les pays anglo-saxons. Ces études ont identifié des foyers de
prévalence élevée dans certaines populations (Canadiens, Français)
suggérant une prédisposition génétique. Certains résultats dans les
populations asiatiques sont discordants (1 % en Chine et au Japon,
et 12 % en Corée). En France, une étude épidémiologique
publiée en 2005 a retrouvé une prévalence de 8,5 %. Celle-ci
augmente jusqu’à l’âge de 64 ans et décroît ensuite. La moitié des
patients ne présentait des symptômes qu’une fois par semaine.
Seulement 6 % des patients avaient eu un diagnostic de SJRS fait
par leur médecin. Un âge de début avant 20 ans peut s’observer,
surtout dans les cas familiaux. Par ailleurs, des études récentes
ont montré une prévalence plus élevée chez les enfants
hyperactifs.
Quels facteurs de risque ?
Un certain nombre de facteurs de risque ont pu être identifiés
ou suspectés grâce à des études épidémiologiques : sexe féminin
(sex ratio 2/1), grossesse, insuffisance rénale sévère, carence
martiale, donneur de sang, hémodialyse, neuropathie. La prévalence
semble plus fréquente dans d’autres pathologies comme le diabète,
les gastrectomisés et la maladie de Parkinson.
Une influence génétique avait été remarquée dès les premières
études épidémiologiques où 50 à 60 % des patients avaient, dans
leur famille, un apparenté de premier degré atteint. Des études
génétiques ayant porté sur plusieurs centaines de familles viennent
d’être récemment publiées démontrant l’implication de 2 gènes dans
le SJSR (BTBD9, MEIS1) et d’un locus portant sur 2 gènes. Ces
données importantes vont certainement permettre de mieux comprendre
la physiopathologie.
La dopamine, la moelle épinière et le fer : un trio physiopathologique
De nombreuses études ont permis d’avancer dans la compréhension
de la physiopathologie de cette affection. Des études
neurophysiologiques et la publication d’observations singulières
suggèrent que la moelle épinière privée de l’inhibition
supraspinale pourrait être à l’origine des mouvements périodiques
de jambes souvent observés dans le SJRS.
En raison de l’efficacité des agonistes dopaminergiques,
l’attention des chercheurs s’est rapidement portée sur ce
neuromédiateur. La période d’apparition des symptômes du SJRS dans
la journée coïncide avec le nadir des taux sériques en dopamine.
Les résultats d’études d’imagerie (SPECT et PET scan) sont
cependant contradictoires en ce qui concerne la fixation des
marqueurs dopaminergiques striataux. De même, la preuve directe de
l’implication du seul circuit dopaminergique d’origine
hypothalamique à projection spinale manque. Certains auteurs
suggèrent que la dopamine pourrait diminuer, comme les opioïdes, un
réflexe de flexion de courte latence. L’association fréquente avec
une carence en fer a été à l’origine de nombreux travaux. Le fer
est un cofacteur de la tyrosine hydroxylase, enzyme limitante de la
synthèse de la L-Dopa. Les taux de ferritine dans le LCR sont aussi
plus faibles chez les patients atteints. Mais malgré ces avancées,
il n’existe toujours pas de théorie satisfaisante permettant de
relier ces différentes pièces du puzzle physiopathologique.
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Effets des agonistes dopaminergiques. |
Un diagnostic basé sur la clinique mais souvent ignoré
Le diagnostic repose uniquement sur des données cliniques recueillies au cours de l’interrogatoire (tableau). Les critères proposés en 1995 ont été réactualisés en 2003 en tenant compte du témoignage des patients et de l’expérience acquise sur le sujet. Le SJSR se traduit par un besoin irrésistible de bouger, habituellement associé ou causé par des sensations déplaisantes dans les membres. Cette sensation est aggravée par le repos, survient préférentiellement la nuit et est calmée par le mouvement. Cette description clinique doit être nuancée, car parfois le patient a des difficultés à décrire les symptômes. Dans certains cas, les membres supérieurs peuvent être atteints ou l’intensité trop sévère pour être calmée par le mouvement. Certains patients arrivent à diminuer l’intensité des troubles par un effort mental. En cas d’incertitude, la présence d’autres cas familiaux, la réponse aux traitements dopaminergiques et l’existence de mouvements périodiques de jambes peuvent aider au diagnostic.
Critères diagnostiques du syndrome des jambes sans repos |
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Critères essentiels :
Critères évocateurs :
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Les mouvements périodiques des jambes sont décrits comme une
extension rythmique du gros orteil associée à un mouvement de
dorsiflexion de cheville, pouvant parfois intéresser la hanche et
le genou. Ils sont détectés lors de l’enregistrement polygraphique
du sommeil et pris en compte lorsque qu’ils surviennent par salves
d’au moins 4 contractions durant 0,5 à 5 s avec un intervalle d’au
moins 4 à 90 s. En utilisant ces critères, ces mouvements
périodiques des jambes sont retrouvés dans 80 % des cas. Il faut
cependant se rappeler que ces anomalies ne sont pas spécifiques du
SJSR, car elles sont retrouvées dans la narcolepsie, les troubles
du comportement en sommeil paradoxal, le syndrome d’apnée du
sommeil et aussi chez le sujet âgé.
Il est essentiel pour guider la thérapeutique d’apprécier la
sévérité du SJSR. Celle-ci peut être mesurée avec l’échelle
de l’International Restless Legs Syndrome Study Group (IRLSSG),
autoquestionnaire de 10 questions cotées de 1 à 4. Un score > 20
est considéré comme sévère et un score > 31 comme très sévère (4
% des cas). Cette échelle prend en compte la gêne produite par le
SJSR (fréquence, durée des symptômes), l’influence du mouvement sur
le désagrément et les conséquences fonctionnelles (retentissement
sur le sommeil, l’humeur et les activités personnelles, familiales
ou professionnelles). Malgré la facilité du diagnostic, celui-ci
reste malheureusement le plus souvent méconnu. Dans une étude
réalisée chez 701 personnes qui avait retrouvé une prévalence de 10
%, deux tiers des patients avec une forme modérée n’étaient pas
traités. Les raisons sont multiples, mais la méconnaissance
médicale de ce syndrome expose à des diagnostics erronés de
pathologie veineuse, arthrosique ou artérielle. Pour conclure à un
SJRS idiopathique lorsque les critères cliniques sont réunis, il
est nécessaire d'éliminer une origine médicamenteuse ou une
pathologie du système nerveux périphérique par l'examen
clinique.
Des règles simples avant d’initier un traitement spécifique
De nombreux psychotropes peuvent aggraver le SJSR. La plupart
des antidépresseurs ont été incriminés (inhibiteurs de la recapture
de la sérotonine, mirtazapine, amytriptiline), mais aussi les
neuroleptiques, les antihistaminiques et le lithium. Il est
légitime de diminuer ces médicaments, mais il n’existe pas de
recommandations pour choisir une molécule de substitution.
La recherche d'une carence en fer est un préalable au traitement.
Des taux de ferritine < 50 µg/l sont associés à une plus grande
sévérité du SJRS. Il n'existe pas d’étude contrôlée indiscutable
ayant démontré l’intérêt de prescrire du fer dans cette indication.
Il est recommandé d’administrer le fer à jeun avec de la vitamine C
pour améliorer son absorption. Les effets indésirables sont
essentiellement digestifs (douleurs, constipation). La prescription
non contrôlée de fer peut exposer à l’hémochromatose et impose une
surveillance tous les 3 à 6 mois du taux de ferritine. Dans de
rares cas de difficultés d’absorption, le fer peut être administré
par voie parentérale.
Le diagnostic de SJSR secondaire ayant été éliminé, le choix des
thérapeutiques va dépendre de la fréquence et de la sévérité des
symptômes. Les agonistes dopaminergiques sont réservés aux formes
modérées à sévères du SJSR. La prise en charge doit débuter par des
modifications de certaines règles hygiénodiététiques.
L’arrêt du tabac, une activité physique modérée, une diminution des
excitants peuvent améliorer le SJSR.
Les agonistes dopaminergiques : un traitement efficace dans les formes sévères
Les benzodiazépines et la L-Dopa, utilisées il y a quelques années, sont de plus en plus supplantées par les agonistes dopaminergiques. Le ropinirole (Adartrel®) et le pramipexole (Sifrol®) sont les deux agonistes dopaminergiques qui possèdent en France l’autorisation de mise sur le marché dans les formes modérées à très sévères. La Haute autorité de santé a établi des règles de bon usage insistant sur la nécessité d’une prescription initiale par des spécialistes et rappelant que le remboursement du ropinirole est réservé aux formes très sévères.
Le ropinirole en pratique
La L-Dopa est beaucoup moins utilisée en raison d’un « phénomène
d’augmentation ». En effet, 50 % des patients traités avec de la
L-Dopa (100 à 500 mg) voient leurs symptômes devenir plus sévères,
apparaître plus tôt dans la journée ou atteindre d’autres parties
du corps.
Le ropinirole a été le premier agoniste dopaminergique disponible
en France. Il est indiqué chez l’adulte dans le traitement du SJSR
modéré à sévère responsable de perturbations du sommeil avec un
retentissement sur la vie quotidienne, familiale, sociale ou
professionnelle. La dose efficace est variable d’un patient à
l’autre (entre 0,25 à 4 mg le soir). Ce traitement est généralement
prescrit au dîner ou 2 heures avant le coucher. Le schéma
thérapeutique est de 0,25 mg à J1 et J2, 0,5 mg de J3 à J7, puis 1
mg de J8 à J15, puis ensuite 2 mg. Cette dose est le plus souvent
suffisante, mais dans certains cas on peut augmenter la posologie
jusqu'à 4 mg. Plusieurs études randomisées et contrôlées ont
démontré son efficacité sur les principaux critères. Une étude
contrôlée, randomisée contre placebo sur 12 semaines a également
démontré son efficacité dès la première semaine. Une étude en
extension sur 36 semaines a aussi observé l’absence d’épuisement de
l’effet. Une étude de suivi sur un an récemment publiée a rapporté
des résultats similaires. L’amélioration a porté sur les
composantes sensorielles et motrices du SJSR et sur le sommeil
évalué avec une échelle de qualité de vie. Les nausées ont été
l’effet indésirable le plus fréquemment rapporté (37,7 % vs 6,5 %),
mais leur fréquence diminue après quelques semaines d'utilisation.
Elles peuvent être prévenues grâce à la prescription conjointe de
dompéridone ou par une augmentation plus progressive des doses.
D’autres effets indésirables à type de gêne nasale, d’œdème de
jambe, d’insomnie ou de constipation peuvent survenir.
Le pramipexole aussi
Le pramipexole a aussi montré son efficacité sur les principaux
paramètres de cette indication dans plusieurs études cliniques et
polygraphiques. Les résultats sont comparables à ceux du ropinirole
et il n’y a pas eu d’étude comparative permettant de démontrer la
supériorité d’une molécule sur l’autre. La dose efficace (forme
sel) varie de 0,25 à 0,75 mg (3 comprimés). Fait intéressant, on
peut constater une amélioration clinique dès le premier comprimé.
On débute généralement à un demi comprimé avec une augmentation
posologique tous les 4 à 7 jours.
Le « phénomène d’augmentation » peut s’observer avec ces molécules
mais avec un moindre degré qu’avec la L-Dopa. Une étude a ainsi
montré que ce phénomène existait chez un tiers des patients sous
pramipexole après deux ans d’évolution. D’autres agonistes ont
démontré leur efficacité, mais ils ne sont pas disponibles en
France (cabergoline, rotigotine). Il existe d’autres options
thérapeutiques en cas de résistance ou lorsque les symptômes sont
intermittents : opioïdes de faible intensité (propoxyphène,
codéine, tramadol), benzodiazépines ou gabapentine.
Une prise en charge bien standardisée
Les progrès physiopathologiques et thérapeutiques justifient la mise en avant actuelle du SJSR. Le sous- diagnostic et la banalisation des symptômes qui ont longtemps prévalu doivent être combattus, car cette pathologie peut altérer la qualité de vie chez certains patients. La prise en charge est actuellement bien standardisée et permet de soulager ces patients grâce à des médicaments efficaces. l
En savoir plus
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