Le secteur privé des Ehpad dans la tourmente médiatique et boursière

Paris, le mardi 8 février 2022 – Après les nombreuses révélations sur les dysfonctionnements dans les Ehpad gérés par le groupe Orpea, ce sont désormais ses concurrents Korian et Domus VI qui sont dans le collimateur.

Deux semaines après la publication de Les Fossoyeurs, l’onde de choc provoqué par ce livre enquête du journaliste Victor Castanet n’est toujours pas retombée. Pas un jour ne passe sans qu’une nouvelle révélation ne vienne entacher la réputation de cette société qui gère 220 Ehpad en France et qui est accusé de rationner ses prestations au détriment de la qualité de vie de ses pensionnaires.

Après les Ehpad, les cliniques privées dans le collimateur

Après les accusations de maltraitance dans ses Ehpad, après la révélation d’un possible délit d’initié commis par son ancien PDG Yves Le Masne, après l’ouverture de deux enquêtes administratives par le gouvernement, le groupe Orpea est désormais attaqué via sa filiale Clinea. Lancée en 1999 par Orpea, Clinea est spécialisée dans deux types de prestations : les soins de suite et de réadaptation (72 cliniques) et les soins psychiatriques (53 cliniques). Un marché particulièrement rentable selon les spécialistes. « Celui qui gère des cliniques de soins de suite est le roi du pétrole » résume Patrick Métais, ancien cadre chez Orpea.

Depuis que l’affaire Orpea a éclaté, les langues se délient et de nombreux anciens clients ou salariés de Clinea dénoncent les agissements de cette filiale et le traitement réservé aux résidents de ses cliniques. Manque de personnel, locaux vétustes, surbooking, hygiène douteuse, rationnement de la nourriture, encadrement médical limité, violation du droit du travail, harcèlement managérial, prix exorbitant…le tableau (à charge) dressé par ceux qui ont connu le système Clinea est assez peu reluisant. Selon Patrick Métais, qui a aidé Victor Castanet à réaliser son enquête, l’objectif poursuivi était « l’optimisation maximale, pour tout ».

Mais désormais, Orpea n’est plus la seule société spécialisée dans la dépendance à faire l’objet de « révélations ». Depuis 48 heures, les accusations pleuvent contre le groupe Korian, principal concurrent d’Orpea en France et dans une moindre mesure contre la société Domus VI. L’avocate Sarah Saldmann, qui dit préparer une action de groupe contre Orpea, déclare avoir reçu des dizaines de plaintes émanant de proches de résidents des Ehpad gérés par Korian, corroborées par d’anciens salariés. Toutes vont dans le même sens, celle d’une maltraitance systématique provoquée par un manque de personnel et un rationnement des prestations. Maître Sarah Saldmann dit désormais envisager de lancer une action de groupe contre Korian, en parallèle de celle contre Orpea.

Pour Orpea et Korian, le mal est déjà fait

La direction de Korian, qui avait qualifié Orpea de « brebis galeuse » du secteur et avait dénoncé un « système indéfendable » après les accusations portées contre son concurrent, se retrouve désormais sur la défensive. Ce lundi, Sophie Boissard, PDG de Korian, récusait une à une les accusations portées contre le groupe. « Nous sommes dans une concurrence malsaine entre avocats » réagit-elle à l’annonce d’une possible action de groupe contre son entreprise. « Nous dépensons pour le soin plus que nous recevons » répond-elle à ceux qui accusent Korian de faire des marges indues sur le dos des pensionnaires. Les accusations devraient s’intensifier dans les prochains jours, l’émission de France 2 « Cash Investigation » ayant annoncé ce vendredi qu’elle diffuserait prochainement une enquête sur les « agissements » des groupes Korian et Domus VI.

Il faudra sans doute des mois voire des années pour que les différentes procédures administratives et judiciaires lancées contre le secteur privé des Ehpad aboutissent et pour que l’on démêle le vrai du faux parmi les accusations portées contre ces entreprises. Mais pour les géants du secteur, le mal est déjà fait : en deux semaines, Orpea a perdu 63 % de sa capitalisation boursière et Korian 39 %.

Nicolas Barbet

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Vos réactions (2)

  • Système de Santé, ou es-tu ?

    Le 10 février 2022

    Les groupes privés (Orpea, Clinea, Korian, et autres) gèrent leurs petites entreprises exactement comme l'Etat gère l'hôpital public, avec une parcimonie avaricieuse, qui remplace tout projet technique, à ceci près qu'ils dégagent des bénéfices destinés aux actionnaires.

    Leur business model est basé sur un endettement colossal proportionnel à leur croyance que nul ne viendra les concurrencer sur leur segment, segment pour ainsi dire garanti négativement par l'État (ça, je fais pas, allez y).

    Ils se situent ainsi paradoxalement au sein même de l'État technico-administratif, et ce n'est pas pour rien que la DG de Korian a été haut fonctionnaire. On est à mille lieux de la plus petite concurrence ou du plus petit marché.
    Tout cet édifice manque de la moindre idée, but ou conception politique guidant un projet technique (que fait on, comment, avec qui, avec quelles ressources et quel budget) puisqu'il est le fruit d'un désengagement politique majeur, à défaut remplacé par une mainmise bureaucratique et administrative, laquelle devient alors le seul but sensé.

    Le seul remède rationnel ne peut venir que du bord politique, par la pensée d'un édifice du système de santé entrainant le chantier de sa réalisation et de sa gouvernance.

    Dr Gilles Bouquerel

  • De la maltrairance

    Le 16 février 2022

    On entend parler de maltraitance institutionnelle des EPHAD. Bien, mais d'abord il existe dans chaque institution une maltraitance liée au système que ce soit l'école, l'armée, l'usine...
    De plus il me semble utile de distinguer les différents facteurs de maltraitance : nature, intensité, auteur ou encore expression, ressenti en un mot le contexte.

    Pour avoir une petite expérience en milieu de long et moyen séjour dont ma femme était médecin chef pendant plus de 30 ans (à mi-temps pour 2 étages pendant 10 ans), j'en retiens que s'il existe une fausse maltraitance évoquée par des délirants, déments, des egos démesurés (et j'ai en mémoire le cas rarissime d'un pervers), il faut reconnaître qu'elle existe, à des degrés très divers et par des auteurs divers souvent en cascade et responsabilité partagée, (personnel, autres patients, visiteurs ou parfois le patient lui-même). Mettons aussi de coté la maltraitance subie par le personnel qui ne justifie, évidemment par la vengeance.

    Il vient à l'esprit la violence physique mais celle psychologique ou morale bien qu'invisible peut être intense. Le langage impoli,infantilisant, condescendant, méprisant ou insultant. Que dire du silence, de l'isolement parfois inconscient (des sourds par exemple)?
    Les auteurs le sont par faute mais aussi par erreur, insuffisance, ignorance (par exemple des codes culturels, moraux ou encore religieux), fatigue, maladresse, distraction et encore paresse et facilité (délicate décision de contrainte par lien).
    La plainte des patients est aussi à interpréter sans oublier ceux qui ne se plaignent pas par peur, démence, résignation, acceptation comme rédemptrice (un cas), je n'imagine pas qu'il faille envisager le masochisme !

    Ceux qui ignorent les codes : le tripoteur de sonnette, celui qui n'a pas compris que le repas commandé à 11h30 est pour le lendemain, que l'air à 35° ne rafraîchit pas une chambre à 25°, qu'on ne peut pas le doucher sans raison deux fois par jour comme chez lui, que le port de couche n'est pas un sévice...

    Ceux qui n'admettent pas leur handicap ou en font un argument pour exiger des services supplémentaires non pertinents.

    Ceux qui expriment mal leur plainte ou à la mauvaise personne.

    Les plaintes légitimes des familles sont, hélas, trop souvent excessives mais dans la majorité des cas une discussion éclairée remet les choses à leur juste niveau.

    Dr Robert Chevalot

    Pour finir, il est difficile de faire une enquête en cas de signes physiques si le plaignant n'es pas sain d'esprit quand le personnel évoque une chute, du fait aussi de la rareté des témoins.

    Quant à la maltraitance dans les EHPAD de luxe çà me laisse perplexe: exigence des clients, stupidité des dirigeants qui tuent la poule aux oeufs d'or ou dénigrement entre concurrents...?

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