
Paris, le samedi 10 septembre 2022 – Inquiétude en ce qui
concerne l’avenir, regrets à propos de ce qui fut, sentiment de
paralysie face aux tâches à accomplir : non ce n’est pas la
rentrée, mais l’éco-anxiété. Après l’été qu’ont connu la France et
l’Europe, marqué par des conditions climatiques inédites qui ont
favorisé des incendies d’une ampleur rarement atteinte, les
angoisses liées au dérèglement climatique ne peuvent que progresser
au sein de la population.
Il ne se passe d’ailleurs pas une semaine sans qu’un
psychiatre n’évoque l’augmentation des troubles en lien avec les
problèmes environnementaux quand dans le Monde un collectif a
alerté il y a quelques jours : « Rentrée scolaire : l’anxiété et
l’écoanxiété chez les jeunes sont des problèmes à prendre très au
sérieux ».
Une notion théorisée il y a 25 ans
Mais qu’est-ce que « l’éco-anxiété » ce terme que l’on voit
fleurir depuis quelques années dans un grand nombre de médias ? Les
définitions manquent comme le remarquait une note de la Fondation
Jean Jaurès signée Eddy Fougier : « Il n’existe pas à ce jour de
définition de l’éco-anxiété qui fasse l’objet d’un consensus,
notamment d’un point de vue médical. En France, on n’en trouve
ainsi aucune définition dans les principaux dictionnaires
généralistes ».
Cependant, des chercheurs australiens et néo-zélandais,
proposent cette approche « L’“éco-anxiété” est un terme qui rend
compte des expériences d’anxiété liées aux crises
environnementales. Il englobe “l’anxiété liée au changement
climatique” (anxiété spécifiquement liée au changement climatique
anthropique), tout comme l’anxiété suscitée par une multiplicité de
catastrophes environnementales, notamment l’élimination
d’écosystèmes entiers et d’espèces végétales et animales,
l’augmentation de l’incidence des catastrophes naturelles et des
phénomènes météorologiques extrêmes, la pollution de masse
mondiale, la déforestation, l’élévation du niveau de la mer et le
réchauffement de la planète. »
La notion a été théorise par la chercheuse en santé publique
belgo-canadienne Véronique Lapigne en 1997 et a vu sa popularité
croître depuis une décennie.
Avoir peur de l’avenir (cqfd la mort ?) : une peur ontologique
La description que proposent les chercheurs néozélandais ne
permet cependant pas de déterminer comment appréhender
l’éco-anxiété ? S’agit-il d’une forme moderne de la propension
naturelle de l’être humain à avoir peur de l’avenir : les experts
ne parlent-ils pas d’ailleurs à propos de l’éco-anxiété «
d’angoisse anticipatrice » ?
De fait, régulièrement les hommes voient leur inquiétude
existentielle se focaliser sur une peur soit rationnelle concernant
des bouleversements majeurs qui nous dépassent et face auxquels on
semble impuissant (les changements industriels, la guerre
nucléaire, le réchauffement climatique) ou irrationnelle (les peurs
millénaristes). S’ajoute en outre à cette tendance naturelle, un
penchant pour le catastrophisme qui polarise une grande partie
d’entre nous vers les prédictions les plus sombres.
C’est ceux qui ne sont pas anxieux, qui sont les vrais malades !
Pour certains observateurs, une telle interprétation équivaut
(ou en tout cas pourrait conduire) à nier l’urgence climatique. Une
autre conséquence serait par ailleurs de minimiser les souffrances
exprimées à travers cette notion « d’éco-anxiété ».
Cependant, qui dit « souffrances » ne doit pas conduire à conclure
que « l’éco-anxiété » est une maladie.
Beaucoup insistent en effet sur ce point. « Le psychiatre
Antoine Pelissolo et l’interne en psychiatrie Célie Massini
rappellent pourtant dans leur ouvrage Les Émotions du dérèglement
climatique qu’à ce jour, « il ne s’agit ni d’un syndrome, ni d’un
diagnostic psychiatrique dans la mesure où il ne figure ni dans le
DSM-5 ni dans le CIM-10, les deux outils de classification des
troubles mentaux utilisés dans le monde » relève Eddy
Fougier.
Il ajoute « les chercheurs australiens et néo-zélandais (…)
mettent en garde contre la pathologisation des réponses
psychologiques et émotionnelles à la crise environnementale, car
cela suppose que ces réponses sont inadaptées, inutiles ou
disproportionnées par rapport à la menace posée ».
Pour eux, en effet, « l’éco-anxiété et l’anxiété liée au
changement climatique sont largement des réponses rationnelles
compte tenu de la gravité de la crise ». Véronique
Lapaige explique également que l’éco-anxiété ne relève pas « du
registre de la santé mentale » ou « du pathologique »,
« ça n’a rien à voir avec le secteur psy » et « ça n’a
rien d’une maladie ».
Pour elle, c’est avant tout « un mal-être, une
responsabilisation nécessaire qui est expérimentée, qui va conduire
à un engagement responsable en termes de pensée, de parole et
d’action ». D’autres experts sont cependant un peu plus nuancés
: « Même si l’American Psychological Association (APA) ne
mentionne pas l’éco-anxiété dans le Manuel diagnostique et
statistique des troubles mentaux-DSM-V, elle l’a tout de même
évoquée dans un rapport consacré à l’impact du changement
climatique sur la santé mentale, intitulé Mental Health and Our
Changing Climate. Impacts, Implications and Guidance et publié
en mars 2017, dans lequel celle-ci est définie comme une peur
chronique d’un désastre (doom) environnemental ».
Une maladie peut-être pas, des symptômes c’est sûr !
Si l’éco-anxiété n’est peut-être pas à proprement parler une
maladie, elle se traduit néanmoins par des symptômes.
Pour les psychiatres A. Pelissolo et C. Massini, « les
personnes qui déclarent souffrir d’éco-anxiété rapportent des
symptômes du champ des troubles anxieux : attaques de panique,
angoisse, insomnies, pensées obsessionnelles, troubles alimentaires
(anorexie, hyperphagie), émotions envahissantes (peur, tristesse,
impuissance, désespoir, frustration, colère, paralysie). Ces
symptômes sont à l’origine d’une perturbation notable de la vie
quotidienne chez certains individus et les consultations pour ce
motif seraient de plus en plus nombreuses » peut-on lire dans
le dernier numéro de Santé mentale.
Là encore, cette observation suscite des interrogations. Ces
symptômes se déclarent-ils davantage chez des sujets présentant une
prédisposition à l’angoisse ? « L’idée que les individus
qui souffrent d’éco-anxiété sont en fait des personnes
particulièrement anxieuses, sans que cela ne soit spécifique au
changement climatique, a souvent été évoquée. Pour elles, le
changement climatique serait simplement un prétexte à manifester
leur anxiété. Cependant, plusieurs études suggèrent que cela n’est
pas le cas. Une étude dans The Journal of Climate change and
Health a ainsi identifié que les personnes les plus vulnérables
à l’éco-anxiété se définissent principalement par leur âge ou par
leur connexion particulière à la nature, et non par une anxiété
exacerbée. Il s’agit principalement des enfants et des jeunes
adultes ainsi que des populations indigènes. D’autres travaux menés
à Sciences Po Grenoble montrent que les « éco-anxieux » sont une
population majoritairement jeune, urbaine, féminisée et éduquée,
mais sans trouble d’anxiété particulier. Une étude à paraître dans
la revue Current Psychology menée auprès de 284 jeunes
adultes (18-35 ans) s’intéresse à l’anxiété associée au changement
climatique. Elle confirme que dans ce groupe, le phénomène du
changement climatique est spécifiquement à l’origine de symptômes
anxieux et/ou dépressifs » répond une note de l’INSERM rédigée
par la pédopsychiatre et chercheuse Laelia Benoit.
Cependant, une comparaison faite par certains psychiatres avec
le « deuil », en référence à la distinction que certains tentent de
faire entre le « deuil » et le « deuil pathologique »
(taxonomie qui on le sait suscite de nombreux commentaires) signale
qu’il pourrait exister une « éco-anxiété » « rationnelle » en
réponse au dérèglement climatique et une « éco-anxiété »
pathologique.
En tout cas on perçoit bien à travers cette analogie, la
possibilité d’une éventuelle psychiatrisation d’une réaction «
normale » à des événements. Or, le risque de la
psychiatrisation est celui d’un immobilisme et d’un enfermement
dans la peur.
Mal nommer les choses est un drame, mais trop nommer ?
Cette peur est largement favorisée par les médias qui
eux-mêmes ont fortement popularisé le terme d’éco-anxiété. Ne
serait-elle pas d’ailleurs en partie une « maladie » médiatique ? «
Cette inflation d’expressions et de néologismes n’est cependant pas
le fruit du hasard. Il s’agit même d’un enjeu crucial. Pour Glenn
Albrecht, en effet, désigner permet de mieux connaître et de mieux
agir » relève l’Institut Jean Jaurès. Cependant ces termes peuvent
également inciter certaines personnes à « mettre un mot » sur une
souffrance pré-existante, phénomène que l’on observe très
régulièrement.
Faut-il se couper des médias pour ne plus souffrir ?
Mais il est cependant certain qu’outre l’utilisation du terme
éco-anxiété, c’est la présentation des catastrophes climatiques
dans les médias qui peut accroître les symptômes d’angoisse. Dans
ce contexte, beaucoup notent que certaines couvertures médiatiques
peuvent se révéler contre-productives quand elles attisent les
peurs.
« Ainsi, partager des informations sur lesquelles les
individus n’ont aucune capacité à agir peut créer de l’anxiété et
paralyser l’action, puisque cela confronte les personnes à leur
impuissance » écrit l’INSERM. Parallèlement, dans Elucid, Lucie
Touzi remarque : « Des incompréhensions dans la lecture du
dernier rapport du GIEC, relayées dans les grands médias, ont créé
la panique en indiquant qu’il ne nous restait plus que trois ans
pour agir afin de conserver « un monde vivable ». Or, ce
n’est pas le message véhiculé par les scientifiques : il pourrait
être contre-productif et démobiliser une bonne partie de la
population. (…) « Trois ans pour agir », « maintenant ou
jamais », « tout ou rien »... Cette vision du futur
climatique n'est pas celle transmise par les scientifiques du GIEC
dans leur dernier rapport. Il est certes urgent de mettre en place
des mesures concrètes pour freiner le réchauffement climatique en
réduisant fortement et rapidement les émissions de gaz à effet de
serre, mais, selon eux, il n'est jamais trop tard pour agir. « Il
faut absolument rester combatif », assure Hervé Le Treut,
physicien et climatologue, membre de l'Académie des Sciences et
ancien membre du GIEC ».
Ainsi, afin de limiter peut-être ce que l’on appelle
l’éco-anxiété, une réflexion sur la façon dont l’information est
transmise est sans doute essentielle. « Parler de changement
climatique de manière concrète dans les médias, en présentant des
solutions qui peuvent être prises au niveau individuel et
collectif, permet au contraire de lutter contre l’anxiété. Dans
l’étude à paraitre dans Current Psychology, les chercheurs
montrent d’ailleurs que participer à des actions collectives en
faveur du climat est le meilleur rempart contre l’anxiété »,
conclut le docteur Laelia Benoit.
Ces différentes observations mettent une nouvelle fois en évidence la difficulté d’interroger des phénomènes associés à une forte charge émotionnelle. En effet, vouloir discuter de la notion nouvelle et largement médiatisée d’éco-anxiété peut être facilement assimilé à une remise en cause soit du réchauffement climatique, soit de la sincérité des angoisses exprimées, alors que l’objectif pourrait être plus certainement une meilleure maîtrise des informations pour une meilleure maîtrise des phénomènes auxquels nous sommes confrontés.
On pourra relire :
Collectif
https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/02/rentree-scolaire-l-anxiete-et-l-ecoanxiete-chez-les-jeunes-sont-des-problemes-a-prendre-tres-au-serieux_6139967_3232.html
Eddy Fougier
https://www.jean-jaures.org/publication/eco-anxiete-analyse-dune-angoisse-contemporaine/La revue Santé mentale :
https://www.santementale.fr/2022/08/eco-anxiete-un-enjeu-de-sante-mentale/
La note du docteur Laelia Benoit
https://presse.inserm.fr/leco-anxiete-une-maladie-mentale-vraiment-2/44466/
Le texte d’Elucid
https://elucid.media/environnement/urgence-climatique-giec-paniquer-francais-contre-productif/Aurélie Haroche