
« La difficulté que le patient rencontre dans ses relations aux autres constitue la contrepartie extérieure de ce qu’il éprouve en lui-même. Une vie intérieure perturbée altère les relations aux autres. » Due à Silvano Arieti (Interpretation of schizophrenia New York, Basic Books, 1974), cette citation introduit une étude américaine (sur 91 patients schizophrènes et 30 sujets-témoins) consacrée aux apports des neurosciences dans la compréhension de la schizophrénie, et plus particulièrement aux processus cognitifs (mémorisation, autoréférence…) permettant la (re)connaissance des autres, toujours à l’aune de la connaissance de soi.
Redevables notamment aux techniques modernes d’imagerie fonctionnelle par résonance magnétique (f IRM), les progrès actuels des neurosciences indiquent l’existence de liens étroits entre les mécanismes de la connaissance de soi et de celle des autres. Contrairement à l’adage rimbaldien (« Je est un autre »), revu par Anatole France (« Je serais plus heureux si j’étais un autre ») et par J.P Sartre (« Je ne suis pas moi »), le sujet neurotypique (néologisme consacré pour « normal ») doit pouvoir opérer les distinctions et les rapprochements nécessaires entre les autres et lui, et décrypter ainsi sur le visage d’autrui les émotions et les états mentaux qu’il est susceptible d’éprouver aussi.
À la lumière des travaux récents, il semble que cette distinction fondamentale entre autrui et soi-même se révèle imparfaite (voire impossible) chez les personnes « avec schizophrénie » (mais aussi « avec autisme »). Et que les difficultés induites par ce problème constituent un point nodal (pour ne pas dire l’épicentre) de la schizophrénie (comme de l’autisme). D’où les divers troubles de la socialisation formant en pratique le principal handicap lié à ces affections. Mieux comprendre cette « problématique du moi » (non restreinte au seul cadre psychanalytique, mais enrichie des apports neuropsychologiques) permettrait de proposer une meilleure réponse thérapeutique, gage d’une meilleure qualité de vie pour les malades.
Dr Alain Cohen