Les « médecins protecteurs » dans le viseur du conseil de l’Ordre

Paris, le jeudi 24 novembre 2022 – Deux pédopsychiatres ayant signalé des faits de maltraitances subies par leurs patients sont entendus par la chambre disciplinaire du conseil de l’Ordre, quelques jours après que le gouvernement ait annoncé de nouvelles mesures pour la protection de l’enfance.

Ce jeudi, l’Union française pour une médecine libre (UFML) appelle ses adhérents à se rassembler devant la chambre disciplinaire du Conseil National de l’Ordre des médecins (CNOM) pour protester contre la procédure diligentée à l’encontre de deux médecins dits « protecteurs ».

Les Drs Eugénie Izard et Françoise Fericelli, toutes deux pédopsychiatres, sont en effet convoqués pour avoir signalé des faits de maltraitance supposément subis par leurs jeunes patients. Si le CNOM n’est évidemment pas opposé à ce que des médecins signalent à la justice les violences physiques ou sexuelles dont ils sont témoins, il estime que dans le cas précis, ces signalements étaient abusifs et constituent donc potentiellement une violation du secret médical et une « immixtion dans les affaires de famille », selon les termes du code de déontologie.

Vers une obligation de signalement pour les médecins ?


Les deux médecins convoqués n’en sont pas à leur coup d’essai. Le Dr Fericelli a ainsi déjà été sanctionnée à deux reprises par le CNOM pour des signalements de maltraitance jugés abusifs. Pour le Dr Izard, il ne s’agit que du nouvel épisode d’une très longue affaire : en 2020, la pédopsychiatre avait été sanctionnée de trois mois d’interdiction d’exercice par le CNOM pour avoir, visiblement à tort, accusé un médecin d’avoir commis un inceste sur sa fille de 8 ans, condamnation ordinale finalement annulée par le Conseil d’Etat en mai dernier qui a donc renvoyé l’affaire devant le CNOM.

« Le Dr Izard et le Dr Fericelli n’ont fait que leur travail et ont répondu à leurs obligations de médecin et de citoyen en signalant des enfants qu’elles avaient évalués en danger » écrit l’UFML dans son communiqué de soutien. Relevant que seulement 5 % des signalements pour violences sexuelles sur mineurs émanent de médecins, le syndicat défend la proposition formulée le 31 mars dernier par la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) visant à mettre en place une véritable obligation de signalement pour les médecins, assortie d’une immunité juridique pour ces derniers. Une proposition désaprouvée par le CNOM, qui estime qu’une telle obligation de signalement conduirait les familles maltraitantes à ne plus amener leurs enfants chez le médecin.

140 millions d’euros supplémentaires alloués à l’ASE


La proposition ne figure pas non plus dans les mesures annoncées par le gouvernement lundi dernier pour renforcer le secteur de la protection de l’enfance, au lendemain de la Journée internationale des droits de l’enfant. Des mesures prises à l’issue d’un conseil des ministres un peu spécial, puisqu’une vingtaine d’enfants pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) ont été invités à Matignon pour discuter avec les membres du gouvernement.

Il s’agit avant tout pour l’exécutif, qui affirme que « l’enfance est la priorité du quinquennat » (avec le réchauffement climatique, l’inflation, l’école, la santé, les violences faites aux femmes et bien d’autres choses), de poursuivre les chantiers déjà entamés lors de la précédente mandature. Une enveloppe de 140 millions d’euros sur deux ans va ainsi être alloué à l’ASE, désormais organisée autour de contrats passés entre l’Etat et les départements.

Les concertations visant à améliorer l’attractivité des métiers de la petite enfance se poursuivent et doivent aboutir au printemps 2023. Enfin, sur la question des violences sexuelles sur mineurs, le gouvernement a annoncé la mise en place d’un office spécialisé dans ce type de crime. Mais toujours pas d’obligation de signalement pour les médecins en vue donc.

Droit de réponse du Dr Fericelli :

Le Dr Fericelli nous prie de publier les précisions suivantes :

"1. Le Dr FERICELLI n'a jamais été  condamnée par la chambre disciplinaire du CNOM.
2. Ni le Dr FERICELLI ni le Dr IZARD n'ont été condamnées pour "signalement abusif". Ce terme n'existe pas dans le code de la santé publique  qui est celui appliqué par le conseil de l'ordre.
3. Les motifs de condamnation en 1e instance pour le Dr FERICELLI ont été: immixtion dans les affaires de famille et rapport de complaisance.
4. Les motifs de condamnation pour le Dr IZARD ont été immixtion dans les affaires de famille, rapport de complaisance et violation du secret médical. La violation du secret médical a été annulée par le conseil d'état par décision du 31 mai 2022
5: Enfin, présenter les deux pédopsychiatre comme  n'étant "pas à leur coup d'essai" est plus que tendancieux. Cela sous entend que nous procéderions  à des "coups" alors même que notre affaire n'est pas jugée.
Nous maintenons que nous avons fait passer en priorité l'intérêt supérieur de l'enfant sur toute autre considération, comme le préconise le Conseil de l'Europe".



Grégoire Griffard

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Vos réactions (2)

  • Justice ordinale en contradiction avec le code pénal

    Le 26 novembre 2022

    L'Article 226-14 du code pénal prévoit, dès son 1er alinéa, l'atteinte sexuelle infligées à un mineur, comme dérogation au secret professionnel. L'alinéa 3 a récemment ajouté les majeurs en couple avec leur accord. L'Article 223-6 sur l'omission de porter secours prévoit sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende lorsque la personne en péril est un mineur de quinze ans. La jurisprudence constante des magistrats professionnels est que seule l'absence de danger immédiat peut dispenser de signaler une situation de maltraitance.
    Le principe de hiérarchie des normes ne permet aucunement au code de déontologie, récemment intégré au code de la santé publique édicté par ordonnances, de s'opposer au code pénal. On est donc fondé à demander à l'ordre des médecins de quoi il se mêle. S'il continue à entrer dans des domaines hors de son champ de compétence avec dans des réflexes corporatistes, on ne s'étonnera pas de revoir surgir le débat sur sa suppression.
    Mais on attend surtout avec impatience l'amélioration promise des moyens de l'ASE. Les grands principes sont une chose, la protection effective des enfants en est une autre.

    Dr Y Hatchuel

  • Réponse de la rédaction au Dr Fericelli

    Le 29 novembre 2022

    Il y a effectivement eu une confusion de notre part entre le CNOM et le conseil de l'ordre régional d’Auvergne-Rhône-Alpes qui vous a adressé un rappel à l’ordre en 2021 (dont vous avez fait appel devant le CNOM). Veuillez-nous excuser pour cette méprise.

    S’agissant du terme de « signalement abusif », nous avons bien conscience qu’il ne s’agit pas d’un terme légal, mais d’un simple raccourci pour résumer le fait que l’Ordre ait jugé que les signalements opérés par vous et votre consœur n’avaient pas lieu d’être. Le terme exact d’ « immixtion dans les affaires de famille » est d’ailleurs cité dans l’article.

    Enfin, le terme « coup d’essai » n’est qu’une expression qui ne dénote aucune animosité de notre part envers vous. Le ton neutre de l’article et l’expression de « médecins protecteurs » démontrent que nous n’avons aucun a priori sur votre combat.

    La rédaction

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