
Professeur émérite des universités à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour
Membre de l’Académie d’agriculture de France
Membre correspondant de l’Académie nationale de pharmacie
Membre du Comité scientifique du Haut conseil des biotechnologies
Les OGM (organismes génétiquement modifiés) sont au cœur d’un vif débat sociétal dans notre pays et dans l’union européenne. Avec un recul de plus de vingt ans, il est aujourd’hui possible de dresser un bilan des avantages et des risques que représentent les plantes génétiquement modifiées (PGM). Parler de risques, c’est nécessairement évoquer la réglementation, qui a pour fonction première de les prendre en considération, dans un souci de protection de la santé humaine, animale et environnementale. Quels risques environnementaux engendrent les PGM ? La réglementation européenne est-elle adaptée ? Que pouvons-nous répondre à ces questions ?
Conséquence de la loi française n° 2014-567 du 2 juin 2014 et
de la modification de la réglementation européenne sur les OGM en
2015, aucune PGM n’est plus cultivée dans notre pays. Cette
interdiction est motivée par des considérations plus sociétales que
de sécurité sanitaire et environnementale. Oren avril 2016, les
trois académies américaines de science, technologie et médecine ont
publié un rapport intitulé Genetically Engineered Crops:
Experiences and Prospects, analysant plus de1 000 publications
scientifiques portant sur les plantes cultivées,produites par génie
génétique. Ce travail considérable (plus de 600 pages), constitue
une mise au point magistrale sur les connaissances qui ont pu être
accumulées au cours des vingt dernières années sur les
PGM,démontrant que leur mise en culture dans le respect des bonnes
pratiques agricoles ne présente pas davantage de toxicité et
d’éco-toxicité que celle des plantes conventionnelles et
mieux,qu’elles peuvent améliorer la sécurité sanitaire et
environnementale.Loin des idées reçues et des fantasmes
idéologiques vecteurs de campagnes de peur orchestrées, voici
quelques éléments sur le sujet.
Les OGM en France : un rejet sociétal orchestré
Si aujourd’hui, l’utilisation d’OGM à des fins thérapeutiques
est largement acceptée dans l’opinion publique des pays européens,
il n’en est pas de même pour les environnement). La perception des
biotechnologies a pourtant suscité beaucoup d’enthousiasme et
d’intérêt dans les années 1980 et 1990, avec la création de
nouveaux centres de recherche publics ou privés (ex :l’Institut
Jean-Pierre Bourgin de l’INRA à Versailles et le BIOCEM du groupe
Limagrain à Clermont-Ferrand). La recherche était dynamique et
prometteuse. Elle a aujourd’hui largement déserté l’Hexagone.
Depuis les années 2000, en effet,une inquiétude de plus en plus
marquée envers les OGM s’est installée en France. Le tournant pour
l’opinion publique fut sans doute la publication en novembre1996,
en Une du journal Libération,d’un article sur le « soja fou
», ce soja importé des États-Unis, où était cultivé du soja
tolérant au glyphosate, le soja transgénique Round-up Ready.
On rappellera qu’à cette époque, les essais nucléaires de Mururoa
venaient d’être abandonnés et que des ONG activistes comme
GreenPeace, se demandaient quelle serait leur future cible :les OGM
arrivaient à point nommé !Ce fut alors un faisceau d’oppositions
qui convergea à la fin des années 1990 et que relate Bernard Le
Buanec dans un ouvrage intitulé Les OGM. Pourquoi la France n’en
cultive plus, dans lequel il recense plusieurs causes, sur fond
d’idéologie et de manœuvres politique set commerciales (encadré
1).

Évaluer les risques et réglementer
Les OGM : une classification réglementaire plus que scientifique
En 1990, la directive 90/220/CEE, définit le premier cadre
réglementaire pour les OGM. Ils sont issus de certaines techniques
de modification du génome, qui seront soumises à une
réglementation. La transgénèse mise au point dans les années
1970-1980est visée, mais la mutagenèse,une technique plus ancienne
couramment utilisée depuis les années 1930, en est exclue, car il
existe un recul de plus d’un demi-siècle sur son utilisation.La
directive vise à assurer une mise au point sans risque de produits
industriels comportant des OGM et à instaurer des procédures et des
critères harmonisés pour l’évaluation au cas par cas des risques
potentiels liés à la dissémination volontaire d’OGM dans
l’environnement.Elle précise également ce que doit comporter la
notification :un dossier d’information technique comportant une
évaluation complète des risques pour l’environnement, les mesures
de sécurité et d’intervention d’urgence, des instructions précises
et les conditions d’utilisation,ainsi qu’un projet d’étiquetage et
d’emballage des produits.Onze ans plus tard, une nouvelle directive
est publiée : la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001accompagnée,
un an plus tard, des notes explicatives 2002/811/CE et complétée
par les deux règlements précités. Cette directive renforce les
dispositions de la directive 90/220, en se fondant sur le principe
de précaution. Elle indique que pour être autorisés dans l’UE, les
OGM ne doivent avoir aucun effet négatif sur la santé humaine et
animale ou l’environnement. Le dossier technique spécifique déposé
pour l’homologation est très fourni et nécessite de nombreuses
expérimentations préalables, des scenarii de risques
environnementaux et un suivi post-commercialisation onéreux
(encadré 2). Homologation et surveillance post-commercialisation
coûtent plus de 100 millions d’euros par dossier. Seules quelques
sociétés multinationales possèdent la surface financière
nécessaire.

Le maïs MON 810 améliore la sécurité sanitaire et environnementale de la culture
Ce suivi réglementaire rigoureux permet d’affirmer qu’aucun
incident n’a été rapporté à ce jour pour la culture du maïs
Bt(1)MON 810, seul OGM cultivé en Europe (depuis plus de 15 ans en
Espagne). Ce maïs a intégré un gène codant pour une protéine
délétère (elle perfore la paroi intestinale) de la pyrale et de la
sésamie, deux insectes ravageurs majeurs qui développent plusieurs
générations par an dans les pays chauds du sud de l’Europe, et qui
sont difficiles à contrôler quand les maïs sont hauts. Le maïs Bt
protège non seulement contre ces insectes,mais aussi contre les
maladies fongiques associées, comme la fusariose (figure). La
société Monsanto, responsable de la commercialisation de cet
élément transgénique, communique annuellement un rapport de
surveillance sur cette culture en Europe depuis 2005. Année après
année, le Haut conseil des biotechnologies, chargé en France de
l’examen du dossier pour son volet environnemental, conclut que les
données de ces rapports « ne font apparaître aucun problème
majeur lié à la culture du MON 810 en Europe »,soulignant que
la méthodologie du traitement statistique des données pourrait être
améliorée. En outre, de nombreux travaux de recherche et des
analyses réalisées sur les récoltes démontrent que ce maïs Bt
diminue les teneurs en résidus pesticides et en mycotoxines(les
fumonisines, zéaralénone et trichothécènes sont redoutables pour la
santé humaine et animale), ainsi que la pression parasitaire sur
les parcelles après quelques années. Le maïs Bt MON 810 améliore
ainsi la sécurité sanitaire et environnementale de la
culture.

Plantes génétiquement modifiées et risque environnemental
Est-ce à dire, à partir de cet exemple, que les PGM ne
présentent pas de risques pour l’environnement ? Jean-Claude
Pernollet, membre de l’Académie d’agriculture de France et
coordonnateur d’un groupe de travail sur le sujet, dresse dans un
chapitre du livre Idées reçues et agriculture. Parole à la science
un bilan des risques et avantages environnementaux des PGM. Il note
que les plantes modifiées pour résister aux insectes comme le maïs
Bt, induisent la réduction de l’usage des insecticides et protègent
la biodiversité environnante. En effet, la toxine est produite à
l’intérieur de la plante et n’est active que sur ses ravageurs et
non sur l’ensemble des insectes de la parcelle. Cela permet de
mieux préserver la biodiversité sauvage et les insectes
auxiliaires. De même, la transgénèse permet la création de
nouvelles variétés, évaluées pour une inscription au Catalogue
officiel des espèces et variétés des plantes cultivées (autour de 9
000 variétés pour 190 espèces). Ainsi, l’élément MON 810 est
intégré dans plus de 210 variétés en Espagne, contribuant à la
création de nouvelles variétés et augmentant la biodiversité
agricole. À l’actif de la technologie également, l’amélioration
variétale qui a créé des espèces transgéniques résistant à des
fléaux menaçant de disparition les espèces conventionnelles comme
la Sharka du prunier et le virus Papaya ringspot (PRSV) du papayer
d’Hawaï. La dissémination non intentionnelle des transgènes entre
espèces différentes est cependant une réalité. On doit néanmoins
distinguer le cas des espèces qui ne peuvent pas s’hybrider entre
elles des espèces inter-fertiles, qui peuvent s’hybrider. Dans le
premier cas, selon Pernollet, « l’insertion d’un transgène
viable et sa sélection demandent beaucoup de temps, de sorte
qu’elle n’est pas observable à une échelle de temps humaine »,
tandis que dans le deuxième cas des mesures de coexistence des
variétés devront être prises, pour autant qu’on veuille éviter ces
hybridations. Des phénomènes de résistance inéluctables, selon les
schémas darwiniens de coévolution, dès lorsqu’un contrôle biotique
des bioagresseurs est opéré, sont susceptibles d’apparaître. On les
prévient en mettant en place des zones refuges, dans les parcelles
qui cultivent des PGM, de manière à opérer un brassage génétique
diminuant la fréquence des allèles de résistance. Le respect des
bonnes pratiques phytopharmaceutiques préconisées pour les cultures
conventionnelles est aussi de rigueur.