
Paris, le samedi 9 janvier 2016 – Nous l’avons récemment évoqué : l’année 2015 a été marquée par plusieurs débats au cours desquels la question du respect du consentement du patient était centrale. Le sujet, on le sait, est sensible, notamment parce que la façon dont certaines critiques ont été émises n’étaient pas exemptes d’un certain dénigrement du corps médical. Surtout, le consensus apparaît difficile parce que les acceptions des notions sont très différentes. Qu’est-ce qu’un consentement ? Jusqu’ou faut-il considérer que les désirs (qui sont parfois exprimés comme des impératifs) des patients doivent être entendus, respectés, voire assouvis ? Sur ces questions, l’étudiant en médecine auteur du blog Litthérapie présente une opinion, probablement assez isolée et qui sans doute suscitera quelques commentaires.
Echoir dans un CHU n’est pas toujours un choix
De nombreux événements ont ces derniers mois mis en évidence les points de confrontation possibles entre les aspirations des patients (notamment des patientes) et la pratique médicale quotidienne, notamment dans un hôpital. Tout en rappelant le nécessaire respect des patients (qui passe par le recueil du consentement), beaucoup ont cependant fait remarquer que le fait de consulter un Centre hospitalier universitaire (CHU) impliquait l’acceptation de certains faits (présence d’étudiants notamment, difficulté de "choisir" son médecin, etc). « Il y a quelques patientes qui vont refuser de se faire examiner par un homme. Dans ce cas-là messieurs, ne perdez pas votre temps à discuter, vous venez nous chercher tout de suite et on remettra les pendules à l’heure. Nous partons du principe qu’elles sont dans un CHU, et qu’elles n’ont pas le choix : ou elles se font examiner, ou elles sortent voir ailleurs » ont ainsi expliqué les chefs aux nouveaux externes, dans un service fréquenté par l’auteur de Litthérapie. Une telle analyse est cependant loin d’être unanimement approuvée. D’abord, parce qu’être admis dans un CHU n’est pas toujours un choix. « Que suis-je bête, quand on se retrouve en pleine nuit à saigner, souffrir, vomir ou j’en passe, on pense tout de suite à vérifier que l’hôpital juste à côté de chez soi est bien un centre hospitalier non universitaire. Les ambulanciers, s’ils viennent vous chercher, vous demanderont immédiatement si vous souhaitez aller dans un CHU, c’est d’ailleurs leur première priorité. La maison de retraite qui envoie un pensionnaire aux urgences fait particulièrement attention à savoir si cette dernière souhaite ou non aller dans un CHU. Evidemment » ironise le jeune auteur du blog.
Jusqu’où ?
Mais ce dernier va plus loin. Il reprend les argumentations de ceux qui font valoir qu’avant d’être un homme, une femme, une personne animée par des convictions religieuses, un athée, un médecin est d’abord un médecin et doit donc être perçu dans cette neutralité idéale par le patient. Pour l’auteur de Litthérapie, cette conception est un leurre inapplicable. « Le médecin délaisse dans son comportement de professionnel certains traits propres aux êtres humains pour inscrire sa pratique au service de la personne qui sollicite son expertise, au profil d’un professionnalisme idéalement non-juge, bienveillant, à l’écoute. Mais le médecin ne peut renier son sexe, son âge, ou son apparence » assure-t-il. Dès lors considère-t-il que les désirs des patients d’écarter tel ou tel peuvent être entendus (si ce n’est exhaucés). Pour lui, dans la mesure du possible (absence d’urgence vitale, possibilité en terme d’effectifs de répondre aux exigences exprimées) il est en effet essentiel de permettre au patient d’être soigné par celui ou celle qu’il estime lui convenir le mieux. Le poids des discriminations religieuses, racistes et sexuelles qui attisent les choix des uns et des autres ne semble pas devoir entrer en ligne de compte, puisqu’il va jusqu’à affirmer : « Alors on me dira "Et si le patient refuse d’être examiné par un médecin noir de peau, tu trouverais ça normal toi de cautionner ce racisme ?". Au risque d’en choquer pas mal, oui. Parce que comprendre l’autre, ce n’est pas être d’accord avec les valeurs de l’autre. Comprendre, en ce sens, se rapproche de l’empathie. Ce n’est pas réfléchir ou ressentir pour l’autre, c’est se mettre à sa place, comme si on pensait ce qu’il pensait. Ce n’est pas accepter ses idéologies, c’est les reconnaître, voir qu’elles sont là et vraies pour lui, même si on ne les partage pas. Ce n’est pas juger, ou n’accepter que ce que l’on conçoit comme juste. C’est percevoir pleinement son point de vue, et lui montrer qu’on l’a compris. Ce qui ne veut pas dire non plus accéder à toutes ces requêtes. Si un patient ne veut pas être examiné par un soignant, pour quelque raison que ça soit, c’est son droit. Si on est en mesure de lui proposer un autre soignant, alors pourquoi ne pas simplement le faire ? » interroge-t-il.
Présentations utopiques
Il est probable que de tels développements ne resteront pas sans commentaire, même s’ils sont sous-tendus par l’idée que le choix de son praticien est probablement le premier des droits du patient à tenter de respecter (une fois encore dans la mesure du possible). En se heurtant aux recommandations sans nuance de ces "chefs" qui oublient, rappelle-t-il, les préconisations des chartes de la personne hospitalisée, l’auteur de Litthérapie cependant n’échappe pas à une certaine naïveté. Ainsi, ne revient-il pas par exemple sur les situations les plus conflictuelles… ou ce n’est alors par la voix du patient qui s’exprime mais celui d’un proche qui est loin d’être toujours dans l’empathie ou la compréhension des attentes de l’autre (notamment du soignant).
Les étudiants en médecine formés pour ne pas penser ?
De telles réflexions peuvent également susciter quelque agacement par leur caractère lénifiant. Néanmoins, l’auteur de Litthérapie n’hésite pas lui-même à évoquer ses "erreurs", à mettre en scène la difficulté d’appliquer ses "valeurs". Il évoque ainsi sa première garde d’externe en gynécologie, tout au long de laquelle il ressentit sa culpabilité de ne pouvoir se comporter auprès des patientes selon ses "principes". Il illustre la confrontation complexe entre la nécessité d'obéir et de plaire à des chefs eux-mêmes soucieux d’enseigner et de soigner et le désir de systématiquement recueillir le consentement des patientes et de ne pas réaliser des gestes potentiellement inutiles et éventuellement douloureux (en raison de l’inexpérience). Son constat, après cette expérience : les études de médecine ne laissent pas toujours la possibilité d’exprimer des avis contraires ou le souhait d’exercer différemment. « Plus aucun étudiant en médecine n’est encouragé à penser aujourd’hui. Ils cochent des cases, respectent des guidelines, et font ce qu’on attend d’eux en bons petits soldats. Et si jamais ils osent penser et remettre en question des pratiques, on les assène d’un petit lavage de cerveau à coups d’arguments d’autorité » assène-t-il. Une réflexion à découvrir in extenso sur le blog Litthérapie, qui une fois encore ne manquera sans doute pas de susciter quelques commentaires.
Aurélie Haroche