L’immunité collective dans la Covid 19 ne pourra être atteinte

L’immunité collective est le Graal qui pourrait nous libérer de cette pandémie. Mais au fil des publications virologiques et épidémiologiques sur le Sars-CoV-2 et ses variants et sur les vaccins mis au point dans le monde cet objectif apparaît comme de plus en plus lointain.

C’est du moins le point de vue que nous expose ici le Pr Dominique Baudon arguments mathématiques, épidémiologique et sociologiques à l’appui.   

 

Par Dominique Baudon, Professeur du Val-de-Grâce

 

L’immunité collective (IC) dans la Covid 19 est le pourcentage nécessaire de la population immunisée contre le SARS-CoV-2 pour permettre l’arrêt de l’épidémie. Immunité collective ne signifie pas disparition du virus ;  dans cette situation, le virus continue à circuler mais à « bas bruit » ; il peut exister encore quelques cas de la maladie, mais le risque épidémique n’existe plus.

Un peu d’arithmétique 

La formule donnée par les épidémiologistes pour le calcul de la population à vacciner afin d'atteindre l’IC est : (1 – 1/Ro), R0 étant le taux de reproduction de base (nombre de personnes qu’un porteur du virus contamine au début de l’épidémie pendant la période où il est contagieux, soit en moyenne une semaine). Avec un R0 de l’ordre de 4,5 pour le variant anglais (20I/501Y.V1-lignée B.1.1.7), représentant  79,5 % de l’ensemble des SARS-CoV-2 (1), la formule donne 78 % de la population. Mais Il faut tenir compte de l'efficacité de la vaccination. Elle est de l'ordre de 90 à 95 % pour les vaccins utilisés aujourd’hui en France.  La formule devient alors : ( 1 – 1/R0) / 0,95  soit 82 %. A noter que pour un vaccin efficace à 70 %, il faudrait vacciner 100 % de la population.
Il faut aussi tenir compte de la population « naturellement» immunisée (les sujets ayant été, malades de la Covid 19 ou porteurs asymptomatiques du virus). Selon l’Institut Pasteur, la proportion de la population française infectée par le SARS-CoV-2 a atteint 14,9 % au 15 janvier 2021 (2).

On peut cependant estimer que la couverture vaccinale (le pourcentage de sujets vaccinés) donne une bonne estimation du niveau de l'IC ; en effet, conseil est donné aux sujets ayant été dépistés positifs de se faire vacciner (malades ou asymptomatiques). La seule inconnue porterait sur les sujets ayant été porteurs asymptomatiques sans le savoir, car non testés ; mais ces sujets entrent dans la population cible à vacciner.

Est-ce utile d’atteindre l’immunité collective ?

Bien sûr, car dans ce cas la circulation du virus est très faible, avec pour conséquences un effondrement du nombre de malades et en particulier du nombre de sujets devant bénéficier de la réanimation en milieu hospitalier ; enfin le pourcentage de tests positifs, excellent indicateur de la circulation du virus, devient très faible (il était selon Santé Publique France de 3,5 % au 26 mai et a été au maximum de 15,5 % le 30 octobre 2020).

Est- ce réalisable ?

Oui théoriquement aujourd’hui, avec : une logistique opérationnelle efficace (vaccinodromes, vaccinations par les médecins généralistes, les pharmaciens et d’autres professionnels de la santé), un nombre suffisant de vaccins, et la population cible de la vaccination élargie aux sujets de 18 ans et plus.  En effet si tous les adultes étaient vaccinés cela représenterait près de 80 % de la population française (3). 

Peut-on atteindre cette immunité collective ?

Avec la stratégie de vaccination actuelle, ma réponse est négative et cela pour les deux  raisons principales suivantes :

- Il est illusoire de penser que 100 % de la population des 18 ans et plus se feront vacciner. Selon un sondage Opinionway réalisé en mai, seuls 20 % des Français n'auraient pas l'intention de se faire vacciner, contre 30% il y a trois mois (4). Selon l’Académie de Médecine, environ 30 % de la population seraient hésitants à se faire vacciner ou opposés à la vaccination, soit 20 millions (5). Le pourcentage de sujets opposés à la vaccination a cependant diminué depuis le début de la campagne de masse ; il était  en effet de 58 % en janvier 2021.

- On estime aujourd’hui que 20 % des sujets de plus de 70 ans pourtant en majorité favorables à la vaccination ne sont pas encore vaccinés ; cela représente environ 1 million de personnes (1,5 % de la population).

Mais est-ce vraiment nécessaire d’atteindre l’immunité collective ?

Si l’on prend comme hypothèse que malgré l’apparition de variants, les vaccins utilisés restent efficaces plusieurs années, l’immunité collective pourra être atteinte dans le temps, en vaccinant chaque année les sujets non encore immunisés et en particulier les sujets de moins de 18 ans (à condition de démontrer l’efficacité des vaccins dans cette tranche d’âge, et d’évaluer le risque d’effets secondaires chez les plus jeunes).

L’hypothèse la plus probable est que des variants contre lesquels la vaccination est inefficace apparaissent (tous les ans ou tous les deux trois ans) ; il faudra alors revacciner la population régulièrement. Il est difficile d’envisager une vaccination de masse touchant la quasi totalité de la population chaque année dans un court laps de temps (problèmes de coût et de faisabilité) ; dans ce cas, il faudra choisir les populations cibles à risque (par exemple les sujets de 60 ans et plus, les sujets de moins de 60 ans présentant des comorbidités, les professions médicales et paramédicales etc…).

Ainsi la stratégie serait comparable à celle de la lutte contre la grippe où l’objectif de la vaccination annuelle est la protection de la population à risque et non l’atteinte d’une immunité collective. Rappelons que pour la grippe saisonnière, avant la Covid 19, il y avait selon les années une épidémie faisant entre 5 à 10 000 morts, parfois plus. Cela, malgré une vaccination avec une efficacité de 70 % (mais ne touchant qu’environ 50 % de la population cible). 

Que faire dans la situation actuelle?

Les objectifs principaux aujourd’hui devraient être :

- De vacciner tous les sujets à risque et pour cela « aller chercher » ceux qui ne sont pas encore vaccinés, qui ont de grandes difficultés à se déplacer, qui vivent souvent isolés ou qui sont éloignés du système de santé ; cela, pour ne pas fragiliser le fonctionnement des hôpitaux.

- Il faut une meilleure communication vers les sujets réticents à la vaccination, il faut les inciter à se faire vacciner. Les pays où la campagne de vaccinations est très avancée (par exemple les USA, la Grande Bretagne, Israël, l’Allemagne…) voient le rythme  de la vaccination se  ralentir et sont confrontés à ce « plafond de verre ». Certains États des USA proposent des incitations sous formes de gratifications ; l’Ohio, par exemple, offre cinq prix d'un million de dollars chacun dans une loterie à laquelle les gens peuvent participer s'ils se font vacciner (6).

D’autres états promettent des sommes d’argent, des bons de réduction et même de la nourriture. C’est la stratégie des « incentives » (7). En France ces incitations ne correspondent pas à notre culture.

On peut espérer que la Passe sanitaire (8) sera un élément très incitatif à la vaccination.

- Enfin Il faut rendre la vaccination obligatoire pour les personnels de santé et tous les professionnels en contact avec les sujets à risque, que ce soit en milieu médical ou à domicile. L’Académie de médecine, dans son dernier communiqué du 25 mai 2021 (5)  demande même que la vaccination soit rendue « exigible » pour tous les personnels exerçant des activités essentielles.

Références

(1) https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/infection-a-coronavirus/documents/bulletin-national/covid-19-point-epidemiologique-du-13-mai-2021de Santé publique France (SPF), daté du 13 mai 2021
(2) https://www.thelancet.com/public-health Published online April 8, 2021- Publication Nathanaël Hozé et collaborateurs.
(3) https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381474
(4) https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/05/21/covid-19-les-francais-ont-de-plus-en-plus-confiance-dans-la-vaccination_6080954_823448.html.  Publié le 21 mai 2021-Matthieu Goar.
(5) https://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2021/05/21.5.25-Obligation-vaccinale-contre-Covid.pdf.   Communiqué Académie nationale de médecine 25 mai 2021
(6) Winning Idea: Ohio Vaccine Lottery Shows Some Incentives May Work. https://www.medscape.com/viewarticle/951410
(7) https://www.jim.fr/medecin/jimplus/posts/e-docs/faut_il_payer_les_gens_pour_quils_se_vaccinent__187747/document_jim_plus.phtml.  publié le 22/05/2021- Aurélie Haroche
(8) Communiqué de l’Académie nationale de médecine « Certificat de vaccination contre la Covid-19 : un "passe" transitoire pour relancer l’activité du pays et faire adhérer à la vaccination », 29 avril 2021

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  • Devoirs de mémoire

    Le 29 mai 2021

    La notion d’immunité collective est un non-sens à l’échelon régional, national, communautaire ou continental : elle prend tout sa valeur à l’échelon planétaire, mondialisation et migrations obligent. Il doit en être de même pour les stratégies vaccinales actuelles et à venir pour le moins hétéroclites : Inéquité manifeste – Plateformes et Vecteurs – Nombre , Nature et Espacement des doses – Prise en compte ou non du statut de primo-infecté immuno-compétant.
    Je partage la conclusion du Pr D Baudon. Quelques nuances cependant sur son argumentaire

    1- Devoir de mémoire vis-à-vis de l’obligation vaccinale défendue par le Pr Baudon :
    « Enfin Il faut rendre la vaccination obligatoire pour les personnels de santé et tous les professionnels en contact avec les sujets à risque, que ce soit en milieu médical ou à domicile »
    La référence à l’Académie nationale de médecine s’apparente à une démonstration par l’hypothèse.
    Gardons en mémoire la position prémonitoire et louable de l’académie sur «le port du masque» (2/4/2020).
    Sur le sujet récurrent (abordé et exclu politiquement avant même le début de la vaccination) de l’obligation vaccinale (25/5/2021*), l’académie se veut anticipative.

    Anticiper sur la situation vaccinale nationale lorsque le PLAFOND de verre sera atteint après que soit passés un hypothétiques civisme sanitaire et surtout la carotte : le ou les « Pass ».
    Resterait in finé le bâton : l’obligation dont l’application dans les EHPAD est improbable.

    Il reste à « admirer » la quasi exhaustivité de la recommandation*. Il était difficile de ratisser plus large dans la liste des Obligés potentiels. Pas la moindre référence autre que l’auto-citation.
    Le caractère « progressif » anticipe lui les ébats nationaux qui entoureront le sujet.

    La COMPARAISON avec les vaccinations pédiatriques obligatoires en France est plaisante mais oublie de mentionner le bénéfice sanitaire individuel alors procuré, le recul établi pour affirmer l’innocuité, les feuilletons Rougeole/Autisme, Rotavirus/Invagination étant réglés.

    Les résurgences per-pandémiques de rougeole , faute de compliance vaccinale , le rappellent :

    Kuehn BM. Drop in Vaccination Causes Surge in Global Measles Cases, Deaths. JAMA. 2021 Jan 19;325(3):213. doi: 10.1001/jama.2020.26586

    Ce bénéfice et ce recul ne s’appliquent PAS à SARS-CoV-2 pour les plus jeunes , à fortiori les 12-18 ans en bonne santé : « Fulminans ou Méningites *» parlent – « Kawa ou Neuro Covid post-infectieux » ne parlent pas ou plus : La question devient celle d’une VACCINATION ALTRUISTE.

    *https://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2021/05/21.5.25-Obligation-vaccinale-contre-Covid.pdf
    *Lorton F et coll . Vaccine-preventable severe morbidity and mortality caused by meningococcus and pneumococcus: A population-based study in France. Paediatr Perinat Epidemiol. 2018 Sep;32(5):442-447. doi: 10.1111/ppe.12500

    2- Devoir de mémoire vis-à-vis des millions de primo-infectés immunocompétants :
    La recommandation nationale du MONODOSE qui leur est appliquée (HAS 11/2/2021) est une exclusivité … nationale sur la base d’un rationnel scientifique, sérologique, très précaire (p5). Sera-t-elle reconnue comme vaccination complète par tous ceux qui sont restés fidèles aux deux doses, hors Janssen : USA , UK , UE , Israël ?

    Deux travaux US (1publié -1 pré-print) peuvent rassurer les patients évoqués sur la qualité et la pérennité* (>12mois) de la MEMOIRE HUMORALE B naturelle post-infectieuse et les bienfaits du monodose ARNm**:

    *Turner JS et coll . SARS-CoV-2 infection induces long-lived bone marrow plasma cells in humans. Nature. 2021 May 24. doi: 10.1038/s41586-021-03647-4

    ** Z Wang et coll . Vaccination boosts naturally enhanced neutralizing breadth to SARS-CoV-2 one year after infection . bioRxiv 2021.May9.443175 doi.org/10.1101/2021.05.07.443175

    3-Devoir de mémoire vis-à-vis de l’Asie, si souvent citée :
    Peu de primo-infectés (« Zéro-Covid »), Stratégies vaccinales molles ou inconnues, primauté de l’intérêt collectif (Auto-confinemement spontané à Taiwan), mais aussi réticences vaccinales fortes (Ex Japo , HK).

    4-Devoir de mémoire vis-à-vis de SARS-CoV-1 et MERS-CoV :

    Les réservoirs ANIMAUX avaient été rapidement identifiés , ce qui n’est pas le cas pour SARS-CoV-2.
    SARS-CoV-1 (2002) est éteint depuis 2004
    MERS-CoV (2012) est très très sporadique depuis 2013 , il semblait être le coronavirus humain ayant la plus longue persistance d'anticorps neutralisants : A mettre en miroir avec sa plus grande sévérité ?

    5- Devoir de mémoire vis-à-vis de la versatilité des opinions publiques et « sondé(e)s » :
    « Le pourcentage de sujets opposés à la vaccination a cependant diminué depuis le début de la campagne de masse (NDLR : 20 % en mai 2021) ; il était en effet de 58 % en janvier 2021. »
    Cette évolution peut être :

    • Paradoxale , si on considère l’effet de notoriété entourant le bruit de fond thrombogêne qui accompagne nos 2 pateformes adénovirales nationales.

    • Compréhensible , si on considère l’amélioration de la logistique , des acquis sur le bénéfice sanitaire , mais aussi le pragmatisme lié au(x) Pass incitatifs.

    Le vaccino-scepticisme peut être … acquis , une notion assez nouvelle : Cf secondes doses ARNm (USA – Israel).
    Il serait sanitairement au moins aussi utile de rappeler et SURLIGNER qu’une vaccination incomplête est au mieux une NON-VACCINATION , au pire une incitation au sentiment d’invulnérabité avec la levée des mesures attenantes

    Le vaccino-scepticisme peut être … re-découvert quand il s’agit de l’accord parental pour les 12-18ans (ARNm-Israel).

    La pédagogie a aussi son plafond de verre : Une autre limite pour le Graal

    Dr JP Bonnet

  • Et les autres vaccins ?

    Le 29 mai 2021

    Le COVID et la grippe ne sont pas les seules maladies pour lesquelles les personnes âgées devraient être vaccinées. Il y a aussi le pneumocoque et le tétanos. On en parle jamais pourtant ces maladies conduisent aussi en réa.

    Dr Yvonne Cadoret

  • Vaccination obligatoire pour les personnes vulnérables

    Le 29 mai 2021

    Selon les connaissances actuelles, les vaccins contre le Covid-19 ne procurent pas une « immunité stérilisante » et, en conséquence, réduisent, mais ne préviennent pas la transmission.

    Dans ce contexte, lorsque les instances chargées de la santé publique évoquent la vaccination obligatoire contre le Covid-19 pour tous ou certaines catégories socio-professionnelles, il serait probablement médicalement plus cohérent de rendre cette vaccination obligatoire uniquement pour toutes les personnes présentant des critères de vulnérabilité (https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A14443) et la laisser facultative pour toutes les autres, afin de pouvoir faire don des doses ainsi libérées au système Covax, pour les redistribuer aux personnes vulnérables des pays défavorisés, conformément à l’appel de l'OMS et de l'Unicef.

    Il serait éthiquement et médicalement déplorable d’instaurer des politiques d’un nationalisme vaccinal qui priveraient les personnes vulnérables à l’échelle mondiale d’accès aux vaccins contre le Covid-19.

    Dr Johannes Hambura

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