
Paris, le mercredi 10 juillet 2013 – En novembre 2011, Lydia Cohen, âgée de 72 ans mourrait à l’hôpital André Mignot (Versailles) victime d’une erreur de prescription fatale : son allergie à l’amoxicilline pourtant dûment signalée dans son dossier n’avait pas été prise en compte par le logiciel d’aide à la prescription (LAP) utilisé par l’établissement.
Ce drame est-il un fait isolé ? Sans doute pas. Le Parisien qui révèle l’affaire a en effet pu se procurer le rapport de la commission régionale de conciliation et d’indemnisation (CRCI) des accidents médicaux d’Ile de France où le cas de Lydia Cohen est abordé : ces travaux évoquent les dysfonctionnements multiples des LAP. « Si ces systèmes ont permis de clarifier les prescriptions, ils n’assurent pas une sécurité fine, en particulier dans le domaine de contre-indications en fonction de la pathologie des patients » peut-on lire dans ce rapport cité par le Parisien qui ajoute : « Il n'y a pas toujours d'alarme activée si un traitement pour lequel le patient a une allergie est prescrit ». De même, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) interrogé par le quotidien indique que « plusieurs de dizaines de signalements de dysfonctionnements sur ces logiciels » lui ont été transmis ces derniers mois.
Quand les éditeurs de logiciels évoquaient le risque d’un « scandale sanitaire »
Interrogé par le Parisien, le directeur de la fédération LESSIS (qui regroupe des éditeurs de logiciels destinés aux professionnels de santé), Yannick Motel paraît vouloir désamorcer la polémique naissante. « L’erreur zéro n’existe pas, même en informatique ! Des bugs, des dysfonctionnements, il y en aura toujours, mais attention à ne pas chercher un bouc émissaire facile ». Soucieux aujourd’hui de ne pas attiser un climat qui pourrait facilement devenir explosif, les responsables de LESSIS ne se sont pas toujours montrés aussi précautionneux. Il y a en réalité longtemps que cette organisation alerte sur les risques que représente le manque de contrôle des logiciels médicaux et notamment des LAP. Ainsi, en janvier 2012, c’est sans ambages que la fédération estimait que le désordre régnant dans le domaine de la certification de l’ensemble des logiciels médicaux était un terrain idéal pour l’émergence de nouveaux "scandales" sanitaires. « Onze dispositifs de certification, homologation ou agrément dans le domaine des logiciels pour la santé, organisés par sept institutions différentes et couvrant onze domaines fonctionnels précis coexistent » déplorait LESSIS qui appelait à la création d’un guichet unique à l’instar de ce qui existe par exemple au Canada.
Mediator électronique
Plus récemment, au mois de main, la revue DSIH (le Magazine des systèmes d’information hospitaliers) donnait la parole à plusieurs acteurs concernés : Bernard D’Oriano, président de la Fédération LESSIS, Dominique Gougerot, éditeur de logiciel, Germain Zimmerlé, responsable des services d’information au CHU de Strasbourg et Jean-François Goglin, membre de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés à but non lucratif (FEHAP). Leur constat commun était semblable à celui établi par la Fondation LESSIS : les contrôles manquent de rigueur. « Si l’on veut éviter un « Mediator électronique », il faut tester, tester et encore tester, jusqu’à être sûrs d’avoir écarté tout risque d’erreur susceptible de créer un risque pour le patient » observe notamment Jean-François Goglin. Par ailleurs, tous évoquaient si non une multiplication tout au moins un nombre non négligeable de « bugs ». « Il y a quelque temps, nous avons été informés d’un bug susceptible de générer des erreurs dans le suivi des prescriptions dans une spécialité très sensible » note par exemple Germain Zimmerlé.
Posologie, durée de traitements, dénomination des traitements : les grandes erreurs des LAP
Comment, outre la jungle des certificateurs, expliquer ces défauts de contrôle et de tests ? Pour partie à la volonté pressante des pouvoirs publics de rattraper les retards pris par la France dans ce domaine et de disposer de systèmes qui sont censés permettre une réduction des erreurs médicamenteuses. Mais aujourd’hui « l’évolution rapide des contraintes réglementaires » empêche les éditeurs de suivre le rythme, sauf à bâcler tests et contrôles analyse Jean-François Goglin. Aussi le risque est grand soit de voir se multiplier les bugs fatals pour les patients, soit d’un retour à l’ordonnance manuelle. « Or la retranscription est porteuse de risques majeurs d’erreurs médicamenteuses » notait dans son rapport dédié à l’informatisation du circuit du médicament l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) début 2012. Dans cette longue analyse, l’IGAS revenait à plusieurs reprises elle-aussi sur les problèmes des LAP. Il citait par exemple une étude menée à la pharmacie du CH de Calais signalant que « les erreurs induites par l’informatisation de la prescription se concentrent sur la posologie (…), la durée de traitement (…) et la dénomination des médicaments prescrits ».
Rien de nouveau avant 2015 ?
Face à « l’émergence de risques nouveaux » et afin que les LAP, d’outils destinés à renforcer la sécurité ne deviennent pas au contraire générateurs de nouvelles erreurs, l’IGAS regrettait elle aussi le retard et « les difficultés rencontrées par le processus de certification des logiciels d’aide à la prescription ». Pourtant avant la fin 2014, la Haute autorité de Santé (HAS) devra avoir entériné une procédure unique et enfin fiable. Les associations de patients ne peuvent que regretter cette échéance encore lointaine. « En attendant, le pire côtoie le meilleur » se désole dans les colonnes du Parisien le président de l’association Le Lien, Alain-Michel Certti.
Mais, la médiatisation de ce scandale par le Parisien pourrait si non accélérer les choses tout au moins attiser l’attention des pouvoirs publics. Déjà, ce matin, le ministre de la Santé, Marisol Touraine a affirmé sur Europe 1 que les logiciels dysfonctionnant « seront évidemment retirés »...
Aurélie Haroche