
Visite à mi-carrière, suivi renforcé des salariés, extension
des missions des services de prévention et de santé au travail
(SPST) : les mesures de la loi « Santé au travail », entrée en
vigueur le 1er avril 2022, vont dans le bon sens pour la santé des
salariés et la prévention des risques professionnels. Mais, selon
les professionnels du secteur, la pénurie de médecins du travail va
grandement freiner la mise en place de ces nouvelles
dispositions.
« On a perdu près de 1000 [praticiens] en dix ans sur le
territoire », se désolait récemment au micro de France Info
Benoît Serre, vice-président délégué de l’Association nationale des
directeurs de ressources humaines (ANDRH). Un chiffre qui
correspond à 21 % de médecins du travail en moins en 2022 par
rapport à 2010, selon le Conseil national de l’ordre des médecins.
Et, pour assombrir davantage le tableau, la moyenne d’âge des
médecins du travail est de 55 ans contre 51 pour le reste de la
profession.
Selon l’ANDRH, 68 % des services de ressources humaines disent
pâtir du manque de praticiens pour mettre en œuvre la loi Santé au
travail. Des difficultés qui touchent en réalité surtout les
petites et moyennes entreprises.
Certaines entreprises plus affectées que d’autres
« On retrouve une inégalité d’accès à la médecine du
travail en fonction du type d’entreprise », explique Laurence
Breton-Kueny, vice-présidente de l’ANDRH. « Les problèmes sont
surtout rencontrés par les PME et les TPE. Les grands groupes sont
épargnés : ils ont constitué leurs propres services de santé au
travail autonome, en interne ». En plus de la taille des
organisations, les inégalités sont également géographiques, puisque
certaines régions sont effectivement plus mal loties que d’autres.
En Picardie, en Bourgogne et en Aquitaine, on dénombre moins de
sept médecins du travail pour 100 000 habitants.
Même son de cloche à Paris, où obtenir un rendez-vous est une
« vraie bataille », ajoute Laurence Breton-Kueny. Une
situation d’autant plus compliquée à gérer pour les entreprises et
les salariés que certains rendez-vous sont obligatoires, notamment
après un arrêt maladie de plus de soixante jours ou bien en retour
de congé maternité. En absence de praticiens, les salariés doivent
donc parfois patienter de longues semaines avant d’obtenir leur
certificat d’aptitude…
Vers une dégradation de la santé des salariés ?
« Mes salariés ont un rendez-vous chez le médecin du
travail tous les cinq ans. C’est bien trop peu ! », confirme
Eric Chevée, vice-président chargé des affaires sociales à la
Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Le manque
de professionnels de santé et la durée entre deux rendez-vous ne
permettent plus aux médecins de bien connaître les salariés et les
milieux dans lesquels ils évoluent, ce qui complexifie la détection
de certains risques. « Le temps manque pour se rendre dans les
entreprises afin de mieux connaître le cadre de travail des
salariés et les risques éventuels », commente Muriel Legent,
médecin du travail dans l’Oise.
Pour pallier ces carences de plus en plus alarmantes, le
Gouvernement a prévu la possibilité de faire suivre les salariés
par des médecins de ville — une mesure qui devrait rapidement
montrer ses limites, sachant qu’ils sont, eux aussi, débordés.Sans
doute serait-il nécessaire d'oeuvrer pour améliorer l'attractivité
de cette spécialité, qu'il s'agisse de la rémunération ou encore du
droit de prescription.
En définitive, si la loi d’août 2021 va dans le bon sens pour
l’amélioration de la prévention des risques professionnels, elle ne
va faire qu’ajouter de nouvelles missions à des praticiens déjà
débordés et qui connaissent de moins en moins bien leurs patients.
Espérons donc que la médecine du travail finisse par retrouver ses
lettres de noblesse et son attractivité auprès des étudiants si on
veut résoudre cette crise, déjà ancienne et qui ne fait que
s'aggraver.
Raphaël Lichten