
La persistance d'anomalies fonctionnelles au niveau de divers
organes est observée au décours de la Covid-19 définissant le
syndrome de Covid long : son incidence est estimée à 30-40 % des
cas après infection. La symptomatologie typique inclut une asthénie
notable, la sensation d'un manque de souffle et une mauvaise
tolérance physique à l'effort. Une très grande hétérogénéité
clinique existe toutefois qui rend le diagnostic difficile.
Si globalement une morbidité notable et une atteinte de la
qualité de vie sont reconnues, le mécanisme causal reste peu clair.
Néanmoins, des études récentes ont montré que, comme au cours de
l'infection aiguë, il existe, chez les patients atteints de Covid
long, une activation persistante de la coagulation, comme en
témoignent l'augmentation de la génération de thrombine endogène ou
celle du taux des D-Dimères, ces anomalies ayant pu être notées de
4 mois à 12 mois après la phase aiguë.
Elles étaient plus fréquentes chez les patients ayant eu une
forme sévère ayant nécessité l'hospitalisation en soins intensifs
ou chez les patients de plus de 50 ans mais elles ont également été
observées chez des patients ayant eu une forme mineure, peu
symptomatique, ayant pu être traités en ambulatoire.
Au cours de la phase aiguë de l'infection par le SARS-CoV-2,
les études histologiques post-mortem ont mis en évidence des
lésions spécifiques des cellules endothéliales vasculaires :
disparition de leurs structures jonctionnelles augmentant leur
perméabilité, augmentation des phénomènes d'apoptose, anomalies de
l'angiogenèse.
En accord dès lors avec le concept d'activation de la cellule
endothéliale vasculaire, il a pu être montré également une
augmentation des taux plasmatiques du von Willebrand (VWF)
antigénique (VWF:Ag), du propeptide du von Willebrand (VWFpp) et de
l'angiopoiétine-2(Ang-2), augmentation dont l'importance était
corrélée à l'intensité de la maladie.
En outre, il était observé une diminution du taux plasmatique
d'ADAMTS-13 (métallo-protéase physiologique du VWF) et une
augmentation anormale des formes de VWF hautement polymérisé.
L'ensemble de ces résultats suggère qu'une activation de la cellule
endothéliale vasculaire et une dérégulation de l'axe VWF- ADAMTS-13
jouent un rôle important dans la pathogénie de la phase aiguë de la
COVID sous-tendant le phénomène d'immunothrombose de localisation
essentiellement pulmonaire et les phénomènes d'occlusion vasculaire
plus diffus.
Dans cette étude, les auteurs ont cherché à déterminer si de
telles anomalies de l'hémostase caractérisées par une
endothéliopathie vasculaire et une dérégulation de l'axe
VWF-ADAMTS-13 persistent au cours des formes de Covid long.
Persistance d'anomalies endothéliales vasculaires et déséquilibre de l'axe Facteur von Willebrand/ ADAMTS13
L'étude a porté sur 50 patients lors de leur convalescence après Covid et prélevés 6 semaines après la résolution des symptômes ou la sortie de l'hôpital (entre mai et septembre 2020) selon les critères admis au plan international pour la définition de Covid long (Nalbandian A et al. Nat Med. 2021; 27: 601-615.). Les résultats ont été comparés à ceux observés chez 36 patients en phase aiguë et chez 20 sujets contrôles asymptomatiques appariés selon l'âge et le sexe.
Parmi les convalescents, on notait 60 % de patients de sexe
masculin ; l'âge médian était de 50 ans (36-63 ans) ; 74% d'entre
eux avaient dû être hospitalisés tandis que 26 % avaient été
traités à domicile.
Les résultats confirment chez les patients en phase aiguë une
augmentation significative du taux plasmatique de VWF:Ag et une
diminution significative du taux plasmatique d'ADAMTS-13, ce qui
amène à une élévation très importante du ratio VWF-ADAMTS-13
(augmenté de plus de 10 fois par rapport au groupe contrôle).
Chez les patients convalescents pour la Covid-19, le taux
d'ADAMTS-13 plasmatique était globalement significativement diminué
par rapport aux sujets contrôles (p = 0,009) mais les résultats
étaient très hétérogènes : les taux étaient significativement plus
bas chez les patients ayant dû être hospitalisés par rapport à ceux
traités à domicile (p = 0,04).
Cette diminution du taux d'ADAMTS-13 était moindre que celle
notée chez les patients en phase aiguë. La diminution du taux
plasmatique d'ADAMTS-13 était couplée à une augmentation du taux
plasmatique de VWF:Ag, de telle sorte que le ratio VWF-ADAMTS-13
restait globalement significativement augmenté (d'un facteur de 2,3
; p=0,0004)) par rapport au groupe contrôle.
Là encore, les résultats étaient hétérogènes : cette élévation
du ratio VWF-ADAMTS-13 était observée chez 70 % des patients et en
analyse univariée apparaissait significativement plus marquée chez
les patients ayant dû être hospitalisés, chez ceux ayant au moins 2
comorbidités ou bien chez ceux présentant une tolérance diminuée à
l'exercice.
Par ailleurs le taux de PF4 plasmatique restait de façon
significative plus élevé que chez les sujets normaux (p = 0,0001)
et chez 46 % d'entre eux le taux était aussi élevé que chez les
patients en phase aiguë. Cette augmentation du PF4 peut être due à
une activation des plaquettes et protégerait le VWF de l'action de
l'ADAMTS-13.
Les auteurs ont ensuite recherché s'il existait une exocytose
des corps de Weibel-Palade des cellules endothéliales qui
contiennent des protéines pro-inflammatoires et pro-angiogéniques
comme Ang-2 et OPG. Ils montrent que le taux global de Ang-2 était
élevé chez les patients convalescents mais de façon non
significative par rapport au groupe contrôle.
Cependant il existait une variation inter-patient
significative et 22 % des patients présentaient un taux supérieur
aux valeurs normales. De même, le taux global de OPG était augmenté
de façon significative avec là encore une variation inter-patient
importante et 28 % des patients qui présentaient un taux supérieur
aux valeurs normales. Enfin une corrélation significative était
observée entre les taux plasmatiques de OPG, VWFpp, FVIII et
Ang-2.
Les taux de VWF, d'Ang-2 et de OPG pouvant influencer
l'angiogenèse, les auteurs ont étudié l'expression des protéines
connues pour interférer avec ce processus et ont montré que 21
protéines liées à l'angiogenèse avaient un taux plasmatique
significativement augmenté (p < 0,05) chez les patients
convalescents par rapport au groupe contrôle avec là encore une
grande variation inter-patient.
Ces protéines comprenaient par exemple outre Ang-2, des
membres des familles de VEGF, PDGF, placental growth factor
(PGF) ou fibroblast growth factors (FGF). A l'inverse, les
taux d'endostatine et de Serpine F1, inhibiteurs d'angiogenèse
étaient diminués de façon significative.
Les auteurs ont ensuite émis l'hypothèse que la persistance
d’une dérégulation au niveau des cellules inflammatoires pouvait
être importante pour expliquer l'augmentation de la génération de
thrombine et les anomalies de l'endothélium vasculaire. De fait, en
accord avec des publications antérieures, le nombre des monocytes
de type intermédiaire HLA-DR+ CD14+ CD16+ était retrouvé augmenté
par rapport aux contrôles à la fois chez les patients en phase
aiguë ou en convalescence et ce chiffre était corrélé à
l'augmentation de la capacité à générer la thrombine et au pic
obtenu.
Par contre le taux de ces monocytes intermédiaires n'était pas
corrélé aux marqueurs d'activation des cellules endothéliales
vasculaires. Les taux des monocytes de type classique ou non
classique étaient dans les valeurs normales.
Enfin, en accord avec des publications précédentes, une
diminution significative des sous-populations lymphocytaires T de
type CD4+ et CD8+ était observée à la fois chez les patients
convalescents ou en phase aiguë de Covid concomitamment à une
élévation des sous-populations de lymphocytes T activés CD4+ et
CD8+ dont les taux étaient corrélés de façon positive avec les
marqueurs d'activation des cellules endothéliales vasculaires ou
avec ceux des corps de Weibel-Palade (comme la thrombomoduline
plasmatique, l'OPG ou le taux de VWF:Ag.).
Par contre les taux de ces différentes sous -populations
lymphocytaires T n'étaient pas corrélés aux paramètres de la
génération de thrombine.
Ainsi prenant en considération le rôle crucial du phénomène d'immunothrombose lors de la phase aiguë de la Covid, cette étude montre que la persistance de sous -populations lymphocytaires T et monocytaires anormales peut être associée à la persistance d'une activation des cellules endothéliales vasculaires et de la coagulation au cours de la convalescence. L'évolution de ces paramètres au cours du temps en corrélation avec le phénotype clinique des formes de Covid long devraient faire l'objet d'études ultérieures.
Dr Sylvia Bellucci