
Jérusalem, le samedi 18 mars 2023 – Premier chimiste à avoir isolé le THC et partisan de l’utilisation médical du cannabis, le Pr Raphael Mechoulam est mort le 9 mars dernier.
1960 en Israël. Le jeune Raphael Mechoulam, 30 ans, qui vient de terminer son doctorat de chimie au prestigieux Institut Weizmann, parvient à se procurer cinq kilos de haschisch libanais grâce à un contact dans la police locale. Le scientifique n’a pas l’intention de fumer ou de revendre cette drogue, loin de là. Lui et son équipe souhaitent au contraire utiliser cet échantillon pour décortiquer la substance et mieux comprendre ses éventuelles vertus médicales. « Ce n’est que plus tard qu’on m’a fait remarquer que c’était illégal, que le policier et moi-même encourions la prison » expliquera le scientifique. Quatre ans plus tard, en 1964, le Dr Mechoulam devient le premier scientifique à isoler, décrire la structure et synthétiser le tétrahydrocannabinol, plus connu sous le nom de THC, le principal principe actif du cannabis.
Depuis l’annonce du décès du Pr Mechoulam le 9 mars dernier à l’âge de 92 ans, les hommages et les éloges se multiplient, le chimiste israélien étant unanimement considéré comme le pionnier de la recherche sur le cannabis médical et comme le plus grand scientifique qui se soit penché sur cette substance controversée. « Le Pr Raphael Mechoulam, que nous appelions Raphi, était l’un des plus grands scientifiques que je n’ai jamais rencontrés, je crois sincèrement qu’il méritait un Prix Nobel » a partagé David Meiri, son collègue au sein de l’Institut israélien de technologie. « La plupart des connaissances humaines et scientifiques sur le cannabis ont été accumulées grâce au Pr Mechoulam, il a ouvert la voie à des études révolutionnaires et initié la coopération scientifique entre les chercheurs du monde entier » a salué pour sa part le Pr Asher Cohen, président de l’université hébraïque de Jérusalem.
Un fervent défenseur du cannabis médical
Un hommage appuyé de la part des scientifiques israéliens et du monde entier, mais également des partisans de la légalisation du cannabis. « Passer la journée avec Mechoulam a été une des plus belles journées de ma carrière d’activiste militant » se souvient Bertrand Rambaud, activiste pro-cannabis. Le Pr Mechoulam n’avait eu de cesse en effet d’inviter les scientifiques et les autorités du monde entier à abandonner leur a priori négatif sur le cannabis et à engager des recherches sur son utilisation en médecine.
Sans nier les effets négatifs du THC pour la santé mentale, il rappelait régulièrement que le CBD avait lui une toxicité très faible, avec des effets relaxants et anti-inflammatoires indéniables. Dès les années 1990, il a commencé à fournir du cannabis à des oncologues pour soulager les souffrances de patients cancéreux. Jusqu’à près de 90 ans, ce petit homme à la voix rieuse, à l’humour vif et à la mémoire encyclopédique, a continué d’intervenir dans des conférences à travers la planète, invitant les scientifiques à « s’adapter aux nouveaux modes de pensée et de développement médical ».
Né en 1930 en Bulgarie, arrivé en Israël en 1949 juste après la création du pays, le Pr Mechoulam a rapidement décidé de s’intéresser au cannabis, alors très méconnu des scientifiques. « La morphine avait été isolée, la cocaïne avait été isolée mais nous étions au milieu du XXème siècle et la chimie du cannabis n’était pas encore connue, il s’agissait donc d’un projet intéressant » expliquait-il lors d’une interview réalisée en 2014, 50 ans après la découverte du THC.
Pas un seul joint en 92 ans
Le scientifique israélien ne s’est pas limité à cette découverte et aura consacré toute sa vie à étudier la chimie du cannabis. Lui et son équipe ont ainsi découvert, isolé et synthétisé d’autres cannabinoïdes dont le fameux cannabidiol (CBD). C’est également lui qui a identifié les récepteurs endocannabinoïdes puis, en 1992, le premier cannabinoïde endogène connu qu’il a nommé anandamide. « Depuis 1964, lui et son équipe dominent la recherche sur le cannabis dans le monde, c’est quelqu’un qui a joué un rôle crucial dans la compréhension qui est encore partielle du système endocannabinoïde » résume le Dr Bertrand Lebeau Leibovici, addictologue et fervent défenseur de la prescription contrôlée de stupéfiants en psychiatrie.
En France, une expérimentation de deux ans de l’utilisation thérapeutique du cannabis doit bientôt prendre fin. Dans le reste du monde, de plus en plus de pays ont autorisé ces dernières années l’usage thérapeutique du cannabis, dont Israël. Comble de l’ironie, le Pr Mechoulam n’a jamais fumé de joint, même si en 1964, sa femme lui a fait manger un gâteau avec 10 mg de THC pur, une expérience dont il se souvenait encore plus de 50 ans après. « J’étais high » résumait-il.
Quentin Haroche