La mucoviscidose est une maladie héréditaire liée à des mutations
qui affectent le gène CFTR (cystic fibrosis transmembrane
conductance regulator). Il en résulte un dysfonctionnement de la
protéine membranaire correspondante, laquelle est impliquée dans le
transport du Na+ et du Cl- dans les cellules de l'épithélium
sécrétoire. Depuis la découverte du gène coupable, plus de 1000
mutations des types les plus divers ont été identifiées : de
l'anti-sens à la délétion et l'insertion, en passant par les sites
d'épissage.
Les mutations non-sens ou encore dites stop, pour leur part, sont à
l'origine de signaux qui aboutissent à la formation de protéines
tronquées ou instables : dans ce cas, les canaux ioniques «chlore»
sont lourdement déficients, voire absents et la mucoviscidose revêt
alors des formes cliniques particulièrement graves.
Outre leur activité antimicrobienne, les antibiotiques de la
famille des aminoglycosides possèdent une propriété bien
intéressante. Ils permettent en effet l'intégration d'un acide
aminé à la place du codon stop qui interrompent la transcription,
et, de ce fait, la lecture du code génétique reprend pour se
poursuivre jusqu'à l'extrémité terminale du transcrit. Les
séquences nucléotidiques qui entourent le codon terminal jouent un
rôle fondamental dans ces processus de transcription et c'est là
qu'intervient l'astuce.
En effet, dans la plupart des organismes vivants, les séquences
nucléotidiques qui sont du type UAG, UAA ou UGA conditionnent la
susceptibilité aux aminoglycosides. Il a d'ailleurs été démontré in
vitro que de faibles doses de ces antibiotiques pouvaient restaurer
les fonctions du gène CFTR au sein de cellules affectées par
certaines des mutations qui sont rencontrées au cours de la
mucoviscidose.
Chez l'homme, des résultats encourageants, mais incomplets, avaient
été obtenus dans le cadre d'études ouvertes. L'administration
nasale de gentamicine, chez des patients atteints de mucoviscidose,
a en effet permis d'augmenter le transport du chlore au sein des
cellules épithéliales.
Un pas supplémentaire est franchi avec une étude contrôlée, de type
croisé, menée à double insu contre placebo, dans laquelle ont été
inclus 19 malades atteints d'une mucoviscidose caractérisée par
l'existence : 1) de mutations stop au sein du gène CFTR ou d'une
homozygotie ; 2) ou d'une homozygotie quant à la mutation delta-
F508.
Au cours de la phase thérapeutique de l'étude, la gentamicine a été
administrée sous la forme de gouttes nasales (deux dans chaque
narine trois fois par jour pendant 14 jours). L'efficacité du
traitement a été évaluée de manière purement biologique, en
mesurant la différence de potentiel (ddp) transmembranaire des
cellules nasales, à l'état basal, puis à la fin des deux séquences
de l'étude.
Une correction des anomalies électrophysiologiques
La gentamicine a entraîné une baisse significative de la ddp
(-45+/-8 à -34+/-11 mV, p=0,005 versus placebo) et l'apparition
d'une réponse à une solution d'isoprotérénol (sans Cl-)
(p<0,0001 vs placebo), uniquement en cas de mutations stop, chez
les homozygotes comme chez les hétérozygotes. En revanche, aucun
effet biologique n'a été observé en cas d'homozygotie delta-F508
pure.
Cette étude contrôlée démontre qu'au cours de la mucoviscidose, la
gentamicine administrée par voie locale est capable de corriger les
anomalies électrophysiologiques de l'épithélium nasal qui résultent
de mutations de type stop affectant le gène CTFR. C'est le
mécanisme d'action cellulaire de l'antibiotique qui serait en
cause, indépendamment de toute action antibactérienne. C'est donc
au niveau de la protéomique qu'il faut se tourner pour comprendre
ces résultats et leurs enjeux thérapeutiques qui dépassent
largement le cadre de la mucoviscidose. Même s'il convient de
préciser leur signification clinique en termes d'efficacité et de
tolérance, il est clair que l'impact conceptuel de cette étude est,
pour le moins, considérable.
Dr Philippe Tellier
Wikschanski M et coll. : "Gentaminicin-induced correction of CFTR
function in patients with cystic fibrosis and CFTR stop mutations."
N Engl J Med 2003; 349: 433-441. © Copyright 2003 http://www.jim.fr
Publié le 07/10/2003
Mucoviscidose : la gentamicine change la donne
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