Paris, le samedi 3 août 2019 – Vous êtes en vacances et avez choisi
de restreindre vos connexions numériques au site du JIM pour éviter
les pollutions de nombreux autres médias ? Ainsi avez-vous pu
échapper au tritium que l’on ingurgiterait dans l’eau du robinet et
à la fin du monde qui en dépit des vertueux voyages en voilier des
vierges martyres des temps modernes se rapproche de façon accélérée
(on nous parle désormais de dix-huit mois de sursis). Mais comment
reprocher à certains de se laisser apeurer par de telles
informations quand on découvre parallèlement, au-delà de la
question du risque réel, que contrairement à ce qui avait été
affirmé par les autorités, l’incendie de Notre Dame a bien entraîné
une pollution au plomb importante sur de nombreux sites proches de
la cathédrale, confortant l’idée d’une information tronquée.
Vous êtes en vacances et avez choisi de ne parler aimablement avec
vos proches que de la température de l’eau ou du goût de
l’orangeade (bio, évidemment) ? Ainsi vous pouvez échapper aux
emportements de votre beau-frère sur le scandale de l’énergie
nucléaire ou aux interrogations angoissées de votre cousine sur la
présence d’OGM dans le bœuf que vos enfants (ne) mangeront (pas)
plus tard. Rappeler que l’énergie nucléaire offre une solution
(certes imparfaite) face à la fin du monde programmée et les OGM à
la faim du monde vous aurait imposé d’aller à l’encontre des
convictions de vos proches, si bien alimentées par les médias et
les réseaux sociaux.
Catastrophisme idéologique
L’énergie nucléaire et les OGM comptaient parmi les exemples
mis en avant par le collectif No Fake Science dans sa
tribune publiée mi-juillet pour dénoncer les dangers d’une certaine
désinformation scientifique. Deux-cent cinquante scientifiques,
journalistes et citoyens (auxquels se sont associés ensuite
plusieurs centaines d’autres) parmi lesquels deux prix Nobel de
Chimie (Jean-Marie Lehn et Jean-Pierre Sauvage) se sont unis au
sein d’un collectif baptisé No Fake Science, faisant écho au
groupe No fakemed qui au printemps 2018 a pris la plume dans
le Figaro pour dénoncer les dangers d’une reconnaissance des
médecines alternatives (non sans un certain succès puisqu’on peut
considérer qu’il a en partie contribué à la décision de
dérembourser l’homéopathie). A l’origine de No Fake Science,
une logique similaire : signaler comment la présentation parfois
biaisée de certaines données scientifiques contribue à une
perception erronée par le grand public d’enjeux majeurs. En toile
de fond : les batailles picrocholines de ces derniers mois
notamment sur Twitter autour de reportages et autres articles
cristallisant l’attention sur des données inquiétantes au mépris
des consensus scientifiques. Pour beaucoup, les présupposés
idéologiques de ces productions médiatiques, derrière
l’argumentation pseudo-scientifiques, ne font guère
illusion.
Une profonde remise en question indispensable
Aussi, le collectif No Fake Science a-t-il pris la plume.
Après plusieurs mois marqués par de multiples refus de grands
titres de la presse nationale (guère surprenants tant les
journalistes de certains médias apparaissaient clairement visés par
les critiques de la tribune), le texte a finalement été publié les
14 et 15 juillet par l’Opinion en France, le Soleil au Canada,
Heidi.news en Suisse, et la Libre Belgique en Belgique. « Nous,
scientifiques, journalistes et citoyens préoccupés lançons un cri
d'alerte sur le traitement de l'information scientifique dans les
médias, ainsi que sur la place qui lui est réservée dans les débats
de société. À l'heure où la défiance envers les médias et les
institutions atteint des sommets, nous appelons à une profonde
remise en question de toute la chaîne de l'information, afin que
les sujets à caractère scientifique puissent être restitués à tous
et à toutes sans déformation sensationnaliste ni idéologique et que
la confiance puisse être restaurée sur le long terme entre
scientifiques, médias et citoyens » écrit le collectif qui
poursuit : « Nous assistons aujourd'hui à un dévoiement
grandissant du travail des scientifiques. Leurs résultats ne sont
bien souvent mis en avant que s'ils confortent des opinions
préexistantes. Dans le cas contraire, certaines iront sous-entendre
leur rémunération par un lobby malveillant. Soyons clairs : l'état
de nos connaissances ne saurait être un supermarché dans lequel on
pourrait ne choisir que ce qui nous convient et laisser en rayon ce
qui contredit nos opinions ».
Pas des opinions, mais des faits clairement établis et
reconnus
Pour illustrer son propos, le collectif a mis en avant six
exemples de consensus scientifiques régulièrement malmenés par les
médias : « La balance bénéfice/risque des principaux vaccins est
sans appel en faveur de la vaccination. Il n’existe aucune preuve
de l’efficacité propre des produits homéopathiques. Aux expositions
professionnelles et alimentaires courantes, les différentes
instances chargées d’évaluer le risque lié à l’usage de glyphosate
considèrent comme improbable qu’il présente un risque cancérigène
pour l’homme. Le fait qu’un organisme soit génétiquement modifié
(OGM) ne présente pas en soi de risque pour la santé. Le changement
climatique est réel et d’origine principalement humaine. L’énergie
nucléaire est une technologie à faible émission de CO2 et peut
contribuer à la lutte contre le changement climatique. Ces points
ne sont pas de simples opinions. Ce sont les conclusions issues de
la littérature scientifique et soutenues par des institutions
scientifiques fiables, comme l’OMS, l’Académie européenne des
sciences, l’Académie nationale de médecine, l’Académie
d’agriculture ou encore le Groupe d’experts intergouvernemental sur
le climat (Giec) » énumère le texte.
Refuser tout relativisme
Le propos apparaît clair et les exemples non seulement frappants
mais également courageux, car n’évitant pas les sujets qui ont
suscité ces dernières années le plus de crispations. L’initiative
s’inscrit dans un mouvement plus large qui a vu récemment de
nombreuses voix s’inquiéter d’un traitement dévoyé de l’information
scientifique. On se souvient par exemple comment la sociologue
Virginie Tournay avait initié un appel intitulé « La culture
scientifique est à reconquérir » qui déplorait la « remise
en cause croissante de l’universalité, de la valeur culturelle et
de l’impact social du travail scientifique ». Une formule qui
fait écho à l’observation du collectif No Fake Science qui
note : « Il n’est pas souhaitable de donner autant de poids à un
fait scientifique dûment établi qu’à sa négation. Il serait par
exemple impensable qu’après quinze minutes d’un sujet sur la
station spatiale internationale, l’on donne quinze minutes
d’antenne aux adeptes de la Terre plate ».
Piqués au vif
Au printemps 2018, l’appel de Virginie Tournay bien que signé
par des personnalités remarquables avait déjà été refusé par les
colonnes du Monde et avait essuyé quelques critiques, celles
notamment d’une confiance jugée trop aveugle dans la technologie.
Le collectif No Fake Science a connu des retombées plus
acerbes encore. Ainsi, non content de refuser la publication du
texte, le Monde dans sa rubrique Les Décodeurs s’est attelé à une
déconstruction quasiment systématique de la plupart des exemples
cités. Si l’article veut bien reconnaître que les affirmations sur
le réchauffement climatique ou l’homéopathie font consensus, il
développe autour des autres points une argumentation qui démontre
tout à la fois la pertinence du message du collectif No Fake
Science et son incapacité à faire évoluer les automatismes de
beaucoup. Ainsi, concernant les vaccins, Les Décodeurs font
remarquer que « des questions demeurent ouvertes sur l’âge
auquel vacciner, le nombre d’injections à pratiquer, la composition
des produits utilisés » ; des questions qui en réalité
demeurent très majoritairement dans le discours de ceux qui sous
couvert d’argumentations pseudo-scientifiques sont hostiles aux
vaccins et remettent en cause leurs rapports bénéfice/risque
largement favorables.
Mise en abyme à l’infini
Mais surtout, Les Décodeurs reviennent sur les exemples du
glyphosate, des OGM et de l’énergie nucléaire. « Inclure le
glyphosate dans une liste de sujets qui font l’objet d’un consensus
scientifique est discutable. Cet herbicide massivement utilisé dans
le monde est, en réalité, au cœur d’une controverse scientifique,
où chaque mot a son importance. (…) Outre la santé des personnes,
l’usage massif du glyphosate dans le monde pose également des
problèmes environnementaux, qui sont documentés par des études
scientifiques. Si bien que, en résumant, le glyphosate à un simple
"improbable" risque cancérogène pour l’homme, le collectif No Fake
Science semble s’écarter de sa propre recommandation de ne pas
"choisir ce qui nous convient et laisser en rayon ce qui contredit
nos opinions" » épinglent Les Décodeurs. Pourtant, le collectif
estime lui aussi que Les Décodeurs sont ici victimes du travers
qu’il souhaite dénoncer. « Aborder les impacts environnementaux
du glyphosate eût été plus complexe, inadapté aux contraintes de la
tribune. Néanmoins, nous pouvons là aussi déplorer une
médiatisation focalisée sur des révélations potentielles d’impacts,
et mentionnant rarement sinon jamais les éléments positifs »
remarque ainsi le collectif No Fake Science qui sur son
compte Twitter indique encore : « Évidemment, les Décodeurs
trouvent des effets néfastes à mettre en avant, des études dont
nous ne reprochons pas la mention. Mais ils font, par la même,
exactement ce que nous reprochions : ne mentionner que ça et rien
sur les éventuels avantages écologiques du produit
».
Information politiquement modifiée
Les Décodeurs se montrent également critiques concernant la
mention des OGM. Une fois encore, l’article se propose d’élargir la
réflexion à des notions délibérément non retenues par les auteurs
du texte en relevant : « Au-delà des questions de santé évoquées
par la tribune, les OGM posent néanmoins d’autres enjeux, notamment
en termes de brevetabilité du vivant et de dépendance des
agriculteurs aux sociétés qui en commercialisent les semences.
Autant de réserves politiques qui ne relèvent pas forcément de
l’obscurantisme ou de la mauvaise foi » assène l’article du
Monde qui en déplaçant le débat sur le terrain politique s’écarte
cependant de l’objectif de la tribune de se concentrer d’abord sur
les faits scientifiques. Par ailleurs, le collectif No Fake
Science fera remarquer que le problème de la dépendance des
agriculteurs est bien loin d’être lié aux OGM et que la confusion
entretenue fait partie des dévoiements qu’il entend
dénoncer.
Passer au vert
Enfin, de la même manière, à propos de la mention par la
tribune du nucléaire, Les Décodeurs rétorquent : «
L’énergie nucléaire est-elle verte pour autant ? ». La
formulation illustre de façon claire l’influence des attendus
écologiques dans la présentation de l’information
scientifique.
Le collectif fait en effet remarquer : « ce qualificatif ne
renvoie vers aucune réalité scientifique ». Par ailleurs, il
insiste sur le fait que « le propos ne portait pas sur la
sûreté, ni sur les déchets, mais sur le consensus quant au bilan
carbone de l’énergie nucléaire ». Il observe par ailleurs qu’à
la lueur des sondages régulièrement réalisés qui révèlent la
conviction d’une majorité de Français de la participation de
l’énergie nucléaire à l’émission des gaz à effet de serre, cet
exemple apparaissait particulièrement pertinent.
Inaudible
Ce travail de contre-réponse du collectif aux Décodeurs du
Monde ne peut susciter qu’un sentiment d’épuisement face à
l’énergie nécessaire pour délimiter les frontières entre idéologie
et argumentation, doutes scientifiques nécessaires et orientations.
L’épuisement est renforcé quand on observera que parallèlement à
cet article, la tribune a été l’objet de nombreuses autres
tentatives de déconstruction, souvent bien plus violentes et
malhonnêtes. Ainsi, un article de la rubrique de fact
checking de Libération, Check news insinuera que le collectif
aurait prétendu un soutien du Giec (ce qui ne transparaît nullement
dans la tribune, le texte ne faisant que citer l’instance).
Surtout, sur Twitter et sur certains blogs, des attaques ont visé
plusieurs signataires, notamment des journalistes, leur reprochant
qui des liens avec l’industrie, qui d’anciens Tweets (mal
interprétés), afin d’apporter la preuve de l’absence de légitimité
du collectif et ses limites. Le lieu de publication de la tribune,
l’Opinion, a également provoqué des remarques acerbes, le journal
n’étant apparemment pas considéré par certains comme le lieu idéal
pour une défense de la neutralité. Autant d’attaques qui ont
suscité la désillusion de certains défenseurs du collectif. Sur son
compte Twitter, Ze New Bigoudi se désole : « En France,
tu publies une tribune pour rappeler que les journalistes doivent
rester objectifs, et on commence à t’attaquer sur tes études, tes
opinions, ton enfance, ton travail, ton employeur, la couleur de ta
voiture, l’école de tes enfants… c’est vraiment devenu étrange
».
L’été passe et l’information scientifique est âprement
défendue par un groupe de chercheurs et de journalistes qui se
heurtent douloureusement à ceux qui, convaincus de leur
appartenance au camp du bien, les vouent aux gémonies en prétextant
le moindre faux pas. Vous reprendrez bien un peu
d’orangeade.
Merci Aurélie Haroche et Jim.fr d’avoir osé aborder ce sujet difficile mais oh combien important. Je travaille dans la recherche clinique comme des dizaines de milliers de personnes en France et des centaines de milliers dans le monde. Les buzz médiatiques lancés sans fondement par des personnes dont des journalistes et mettant sans cesse en cause l’honnêteté des chercheurs sont des faits désolants (pour ne pas dire plus).
J’espère que votre message, ainsi que celui du collectif va continuer à être diffusé et relayé, et que sa visibilité puisse dépasser les supports scientifiques pour trouver plus de supports non scientifiques éclairés et ainsi aider les gens en général à retrouver le chemin du bon sens.
Dr Anna Mazuy
Dérive inquiétante...
Le 03 août 2019
Juste merci. Incroyable pensée unique... Scientifiques, réveillez vous, sortez de vos labos un moment pour défendre les acquis. Arrêtons de faire peur dans les journaux et séparons clairement le factuel et l'opinion.
Dr François-Marie Caron
Dans la droite ligne du positivisme
Le 03 août 2019
No Fake Science se prétend le représentant d'une science aux vérités incontestables et éternelles. Cette position est dans la droite ligne du positivisme comtien du 19 ème siècle. La défense du nucléaire, sous prétexte que cette énergie n'aggrave pas le réchauffement climatique, relève de l'argumentaire à la gribouille; quant aux vaccins, c'est circulez, il n'y a rien à voir, alors que comme toute intervention médicale, il faut étudier le rapport bénéfices risque de chaque vaccination. La défense du Glyphosate centrée sur son risque carcinogène est d'une grande hypocrisie, car ce pesticide est cause de nombreux ravages de l'environnement particulièrement dans les champs de sojas OGM en Amérique latine; ce produit, chélateur de métaux lourds a pour conséquence une épidémie d'insuffisances rénales en Inde chez les paysans qui boivent l'eau de leurs puits. Il ne faut pas oublier qu'il a fallu 40 ans pour découvrir que les filles et les fœtus exposées au DDT avaient un risque multiplié par 5 de cancer du sein à 50 ans.
On pourrait multiplier les exemples de la malhonnêteté de ceux qui prétendent lutter contre la fausse science.