
À cette fin, un questionnaire d'enquête auto-administré a été distribué électroniquement et recueilli de novembre 2020 à janvier 2021 par le biais de plusieurs sociétés de chirurgie aux États-Unis et des médias sociaux parmi les chirurgiens titulaires et résidents, hommes et femmes, ayant des enfants. Les chirurgiens n'ayant pas d'enfants ont été invités à répondre à des questions concernant les grossesses de leurs partenaires non chirurgiens, le cas échéant. Ont été recueillis les horaires de travail, d'interventions chirurgicales et les appels de nuit, des données descriptives sur les pertes de grossesse chez les femmes chirurgiennes. Le recours à la procréation assistée a été comparé entre chirurgiens masculins et féminins. Les complications de la grossesse et les complications néonatales ont été comparées entre femmes chirurgiennes et femmes non chirurgiennes partenaires des chirurgiens.
Au total 850 chirurgiens (692 femmes et 158 hommes) ont été inclus dans cette étude. Les chirurgiennes ayant une partenaire féminine ont été exclues en raison du manque de renseignements quant à la femme qui a porté la grossesse au sein du couple. Étant donné que la population non féconde incluse était donc composée d'hommes ayant des partenaires féminines, ce groupe est désigné tout au long de l'étude par l'expression "chirurgiens masculins".
Moins de grossesses et plus de grossesses compliquées chez les chirurgiennes
L'âge médian (IQR) était de 40 (36-45) ans. Sur les 692 femmes
chirurgiennes interrogées, 290 (42,0 %) avaient connu une perte de
grossesse, soit plus du double du taux de la population générale.
Comparativement aux hommes, les femmes chirurgiennes avaient moins
d'enfants (moyenne [ET], 1,8 [0,8] vs 2,3 [1,1] ; p <
0,001), étaient plus susceptibles de retarder le moment d'avoir des
enfants en raison de leur formation chirurgicale (450 sur 692 [65,0
%] vs 69 sur 158 [43,7 %] ; p < 0,001) et étaient plus à
même de recourir à des techniques de procréation assistée (172 sur
692 [24,9 %] vs 27 sur 158 [17,1 %] ; p =
0,04).
Par rapport aux non chirurgiens, les femmes chirurgiennes
étaient plus sujettes aux complications majeures de la grossesse
(311 sur 692 [48,3 %] vs 43 sur 158 [27,2 %] ; p <
0,001), ce qui était significatif après contrôle de l'âge, des
heures de travail, du recours à la fécondation in vitro et de la
gestation multiple (OR = 1,72 ; intervalle de confiance à 95 % IC
95 %, 1,11 - 2,66). Les chirurgiennes opérant 12 heures ou plus par
semaine pendant le dernier trimestre de la grossesse présentaient
un risque plus élevé de complications majeures de la grossesse par
rapport à celles opérant moins de 12 heures par semaine (OR = 1,57
; IC à 95 %, 1,08-2,26).
Cette enquête nationale a mis en évidence des risques médicaux accrus d'infertilité et de complications de grossesse chez les femmes chirurgiennes. Avec un pourcentage croissant de femmes en chirurgie, il est essentiel de changer la « culture chirurgicale » pour favoriser les grossesses, réduire le risque de complications majeures de la grossesse, de recours à des interventions de fertilité ou d'absence involontaire d'enfants en raison de tentatives retardées de procréation.
Une étude inquiétante qui rappelle celles traitant des grossesses chez lez femmes anesthésistes. L’âge tardif des premières grossesses est-il seul en cause dans cette hécatombe ? Le bloc opératoire et ses multiples produits potentiellement « toxiques » est-il en cause ? Enfin, rappelons qu’un chirurgien américain passe beaucoup moins de temps au bloc qu’un chirurgien français et que la limite fatidique des 12 heures hebdomadaires est allègrement franchie par nos consœurs françaises ! L’état des lieux est-il aussi inquiétant en France ?
Dr Bernard-Alex Gaüzère