Où s’amusait-on hier bien moins correctement qu’aujourd’hui ?

Paris, le samedi 31 janvier 2015 - Depuis plusieurs années, les salles de garde des internes sont la cible de vives critiques, car elles sont considérées par certains comme le lieu d’un humour carabin trop poussé. Récemment, nous l’avons longuement évoqué, une fresque de la salle de garde du CHU de Clermont-Ferrand s’est attirée les foudres d'une partie du monde politique et médiatique, après avoir ridiculisé (de façon obscène) la loi de santé proposée par Marisol Touraine. Bien qu’attaqués et critiqués de toutes parts, ces lieux, qui appartiennent au patrimoine culturel de nos hôpitaux, restent encore très méconnus.

Attardons nous sur l’histoire des salles de garde, qui, dès leur naissance, ont fait couler beaucoup d’encre.

Sous Louis XIII : des mesures pour mettre les patientes sous bonne garde !

Les premières traces des salles de garde remontent au XVIIe siècle, sous Louis XIII, bien avant la création de l’internat. À cette époque déjà, certains hôpitaux logeaient et nourrissaient les étudiants en chirurgie et en médecine, dont la fonction imposait qu’ils soient, nuit et jour, au chevet du malade. Il s’avéra que certains d’entre eux abusèrent des privilèges qu’on leur avait octroyés, et préférèrent la chaude ambiance des salles de garde à l’hôpital. Ces salles étaient alors les lieux de grandes festivités, où l’on oubliait, pour quelques heures, ses responsabilités, et où on se lançait des paris toujours plus osés. L’un des jeux préférés des carabins était de mettre au défi l’un des leurs, qui allait devoir séduire, lorsque ses maîtres auraient le dos tourné, la plus jolie patiente du service, et tenter de la ramener dans la salle de garde. Pour prévenir de tels scénarios, qui étaient très populaires chez les étudiants, l’administration demanda que ces derniers soient toujours accompagnés par une tierce personne lorsqu’ils  auscultaient les malades. Malgré ces mesures préventives, la salle de garde continua d’exercer sa "terrible" influence sur les carabins. Rappelons, à titre anecdotique, que l’hôpital de Paris dut se séparer d’un des étudiants les plus fantasques, connu sous le nom de Salé, car celui-ci faisait régulièrement venir des filles dans sa chambre. La légende voudrait qu’un jour il s’y soit enfermé pendant plusieurs heures avec trois d’entre elles, alors qu’on le demandait au lit des patients. Un autre fut aussi congédié, après qu’on eut tenté, en vain, de lui faire reprendre son service, qu’il n’avait plus assuré depuis plusieurs semaines. Ainsi, dès le XVIIe siècle, les salles de garde étaient synonymes de liberté à outrance, de non conformisme et de luxure.

Des salles de garde jugées trop policées…

L’idée d’un concours d’entrée à l’hôpital, destiné à ne sélectionner que les étudiants les plus motivés, commença à émerger peu de temps avant la Révolution, grâce à la Société Royale de médecine. Plus tard, Fourcroy, un célèbre scientifique qui avait participé à la création de la nomenclature chimique, et à la découverte de l’iridium, proposa que les candidats soient évalués par un jury composé de deux officiers de santé, et que les lauréats intègrent les écoles de médecine, où ils devaient être formés. Mais il faut attendre 1802, au moment où Napoléon n’est encore que Consul, pour voir la création de l’externat et de l’internat. Les règlements des hôpitaux s’étant durcis, et les externes et les internes étant recrutés de façon draconienne, les salles de garde deviendront plus discrètes. On continuera à s’y amuser, mais en veillant bien à ne pas s’attirer les foudres des chefs de service. Nombreux sont ceux qui, devant cette stricte discipline, préférèrent quitter l’hôpital. Ce fut en particulier le cas de Sainte-Beuve, grand critique littéraire du XIXe siècle, qui s’adonna trop souvent à la lecture pendant son externat.

Une source d’inspiration artistique

Pour décrire l’ambiance très particulière qui règne dans la salle de garde, le Dr Cabanes écrivait avec justesse : « c’est à la fois la salle où l’on mange, et de quel appétit ; le salon où l’on cause, où l’on chante, où l’on fume, où l’on… - gazez, ma plume !- où l’on reçoit, avec quelle bonne grâce, quelle cordialité ! ».  La salle de garde n’est pas une simple dépendance de l’hôpital, c’est un univers à part, un monde qui admet ses propres règles et traditions. Beaucoup d’artistes et d’écrivains sont venus y puiser leur inspiration, comme, par exemple, Edmond et Jules de Goncourt au moment de la création de Sœur Philomène, publié en 1861. Dans ce petit roman qui évoque l’amour impossible d’une religieuse pour un jeune interne de médecine, les célèbres romanciers ont tenté de dépeindre l’atmosphère de l’hôpital et des salles de garde, en retranscrivant les conversations qu’ils y avaient entendues.

Un divertissement (Pascalien)

Soulignons pour finir l’importance de ces lieux pour le bien-être de nos internes, auxquels on confie, chaque jour, de lourdes responsabilités. Malgré les pressions politiques et les restrictions budgétaires, il est important de lutter pour la préservation de ces lieux, qui jouent un véritable rôle de catharsis pour ces étudiants. Ne soyons pas dupes, les internes ne sont pas des surhommes, et eux aussi, ont besoin de divertissement, au sens pascalien du terme.

Louis Jacob, Normalien et étudiant en médecine (louis.jacob@ens-lyon.fr)

Références
- La « salle de garde » - histoire anecdotique des salles de garde des hôpitaux de Paris, Augustin Cabanès, Chez Montagu, 1917.

- La salle de garde – histoire et signification des rituels des salles de gardes de médecine, chirurgie et pharmacie du Moyen-Âge à nos jours, Patrice Josset, Le Léopard d’Or, 1998.

- L’économe de la salle de garde, Alain Kruger, France Culture, On ne parle pas la bouche pleine, émission du 1er juin 2014.

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