
Paris, le jeudi 23 mars 2023 – Si les choses se sont quelque peu améliorées sur le front de la pénurie de médicaments, les responsables politiques cherchent les moyens d’éviter une nouvelle crise.
Peut être François Braun a-t-il crié victoire trop tôt. Début février, le ministre de la Santé promettait un « retour à la normale » dans les prochaines semaines sur le front des pénuries de médicaments et ce grâce à la mobilisation des industriels, dont le laboratoire Biogaran, qui a promis la livraison d’1 million de boites d’amoxicilline aux officines françaises en février. Il est vrai que, s’agissant de l’amoxicilline et du paracétamol, deux des médicaments les plus consommés par les Français et pour lesquels des tensions d’approvisionnement perduraient depuis plusieurs mois, la situation s’est nettement améliorée.
Mais la pénurie touche désormais d’autres produits et notamment les corticoïdes. « La situation n’est pas meilleure que cet hiver, on n’a plus rien, qu’on arrête de nous faire croire que ça va s’arranger dans un ou deux mois, on voit bien que la situation va perdurer » commente un pharmacien interrogé par Le Parisien. « Les pénuries persistent, tous les jours des patients nous disent avoir galéré pour obtenir telle ou telle molécule » abonde dans le même sens le Pr Rémi Salomon, président de la commission médicale d’établissement (CME) de l’AP-HP.
Augmenter les prix des médicaments pour freiner les pénuries
Des médicaments moins connus, prescrits à des patients souffrant de maladies rares, connaissent également des difficultés d’approvisionnement. C’est le cas par exemple de certaines hormones de croissance comme la Norditropine ou le Genotorm ou de le Celestène, un corticoide désormais classé en catégorie « tension d’approvisionnement » par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Toujours dans Le Parisien, Maxime, un adolescent de 15 ans souffrant de mucoviscidose et qui doit prendre ses médicaments quotidiennement, témoigne des difficultés auquel lui et sa famille font face pour se procurer ces produits vitaux. « Je passe mon temps à appeler les pharmacies » explique la mère du jeune homme, qui a envoyé une lettre au ministère de la Santé. « Si ça continue comme cela, j’ai peur de ne plus pouvoir être soigné » s’inquiète le jeune homme.
On ne peut plus véritablement parler de crise de l’approvisionnement en médicaments, tant ces difficultés sont devenues systémiques. Entre 2016 et 2021, le nombre de spécialités ayant connu des tensions d’approvisionnement au cours de l’année a été multiplié par cinq et ces difficultés concernent tout aussi bien les antibiotiques que les anticancéreux ou les corticoïdes, qui peuvent faire défaut en ville comme à l’hôpital.
Depuis plusieurs mois, gouvernement et parlementaires planchent pour tenter d’identifier les causes de ces pénuries récurrentes et de trouver des solutions afin d’éviter une nouvelle crise majeure l’hiver prochain. Le ministère de la Santé a promis une feuille de route d’ici l’été tandis que le Sénat a mis en place une commission d’enquête, qui ne cesse d’auditionner les principaux acteurs du secteur et devrait rendre un rapport avant la fin de l’été.
Plusieurs solutions semblent faire la quasi-unanimité parmi les différents responsables politiques. En premier lieu, il semble nécessaire d’augmenter les prix des médicaments dits « matures », c’est-à-dire commercialisés depuis plusieurs années, qui sont particulièrement faibles en France, ce qui pousse les grossistes-répartiteurs à privilégier nos voisins européens où les prix sont plus élevés, comme l’Italie et l’Allemagne. Le gouvernement a déjà affiché sa volonté de procéder à des hausses de prix ciblés « en contrepartie d’engagements des industriels sur une sécurisation de l’approvisionnement du marché français ».
Retrouver une indépendance sanitaire : une chimère ?
« Le prix trop faible du médicament est une erreur politique, nos gouvernants sont partis du principe qu’avec un prix du médicament le plus bas possible, on allait faire des économies sauf que derrière, cela a des conséquences sur les laboratoires » abonde dans le même sens Bruno Belin, sénateur et membre de la commission d’enquête du Sénat sur les pénuries de médicament et également pharmacien. « Les prix pratiqués en France ne peuvent pas être la seule explication » tempère cependant le directeur général de la CNAM Thomas Fatôme qui, devant la commission du Sénat le 14 mars, a rappelé que le prix de l’amoxicilline était plus élevé en France que chez certain de nos voisins européens.
L’autre cause essentielle de ces pénuries de médicaments à répétition est la perte d’indépendance sanitaire de la France. 80 % des produits actifs des médicaments consommés en Europe sont produits en Chine ou en Inde et lorsque ces pays cessent leurs exportations, comme ce fut le cas à plusieurs reprises durant la crise sanitaire, la France se retrouve rapidement privée de ces molécules. Sur ce point-là, difficile de trouver une solution miracle permettant de relocaliser rapidement la production. Certes, une usine de paracétamol devrait ouvrir ses portes prochainement dans l’Isère, mais elle ne sera sans doute opérationnelle qu’en 2024 et les premières livraisons ne commenceront qu’en 2025.
« Je pense que cette usine ne sera pas viable financièrement » estime l’économiste Frédéric Bizard, qui considère qu’il est impossible pour la France de devenir totalement indépendante sur le plan pharmaceutique. « La stratégie pour sortir du tout chinois doit reposer sur une diversification par zone géographique, la France doit surtout avoir une stratégie industrielle très offensive sur les produits innovants, comme l’ARN messager, la souveraineté c’est avant tout investir sur les technologies d’avenir » affirme ce spécialiste des questions de santé.
Nicolas Barbet