Pénurie de médicaments : un problème européen

Paris, le lundi 30 janvier 2023 – Les tensions d’approvisionnement concernant certains médicaments essentiels touchent l'Europe entière, reposant la question d’une nécessaire relocalisation de la production.

Depuis l’automne dernier, de nombreux Français ont été confrontés à des difficultés pour se procurer en pharmacie des médicaments parfois basiques et/ou essentiels, tels que du paracétamol ou de l’amoxicilline, notamment leur formulation pédiatrique. Des scènes communes en France, mais également en Allemagne, en Grèce, en Suisse ou au Royaume-Uni. L’augmentation des pénuries de médicaments (ou « tensions d’approvisionnement » selon l’expression employée par les autorités et les laboratoires) ces derniers mois n’est pas qu’un phénomène franco-français : toute l’Europe et également les Etats-Unis sont touchés par ce problème.

« En Europe, les pénuries de médicaments ont été multipliées par vingt en vingt ans » estime l’eurodéputée française Nathalie Colin-Oesterlé. Les différents critères et méthodes de comptage entre les pays européens rendent difficiles les comparaisons, mais l’ampleur des chiffres parle d’elle-même : l’Espagne fait état de 672 médicaments en rupture de stock dans les officines, la Suisse de 773, l’Italie de plus de 3 000.

Des ruptures de stock « exponentielles »

Chaque pays européen a donc recours à des mesures de contingentement plus ou moins drastiques, la plupart ayant notamment interdit l’exportation de paracétamol et d’amoxicilline. En Suisse, à la suite de la France, le gouvernement a autorisé les pharmaciens à produire des préparations magistrales de certains médicaments. Klaus Reinhardt, le président de l’équivalent allemand du conseil de l’Ordre, a même proposé la mise en place d’une sorte de marché d’occasion du médicament, une proposition rejetée par les autorités.

En France, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) fait état de 320 médicaments d’intérêt thérapeutique majeur en situation de forte tension, un nombre en augmentation de 43 % en deux ans. « Nous faisons face à des ruptures qui sont exponentielles et qui concernent toutes les classes de médicaments : anticancéreux, antidiabétiques, antiépileptiques, antalgiques, anti-hypertenseurs » constate Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). « Nous sommes habitués à manœuvrer dans ce contexte d’approvisionnement contraint, ce qui est nouveau c’est que cela commence à toucher des références basiques » explique pour sa part Laurent Bendavid, président de la chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSPR)

Les causes de l’augmentation des pénuries de médicament sont multiples. Il y a tout d’abord l’augmentation de la demande : en décembre dernier, la triple épidémie (Covid-19, grippe, bronchiolite) a logiquement causé une ruée vers les pharmacies. A ce titre, beaucoup de professionnels du secteur regrettent qu’il n’existe pas d’outil fiable pour suivre la consommation de médicaments et donc anticiper des hausses de la demande. « Nous disposons déjà d’un système européen de lutte contre les médicaments falsifiés qui vérifie la traçabilité de chaque boîte, ces données pourraient très bien également être utilisées pour suivre les hausses de consommation » plaide Adrian van den Hoven, membre d’un lobby européen de fabricants de médicaments génériques.

La difficile relocalisation de la production

Mais le principal problème reste celui de la délocalisation d’une grande partie de l’industrie pharmaceutique hors d’Europe. Actuellement, 80 % des principes actifs et 40 % des médicaments utilisés et consommés en Europe sont produits hors du continent, principalement en Chine et en Inde. Or, comme l’a démontré la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine, la moindre crise internationale peut grandement affecter l’approvisionnement de médicaments. En décembre dernier, la Chine a ainsi interdit l’exportation de paracétamol, en raison de l’explosion de Covid-19 en cours sur son territoire. Et si les médicaments innovants sont pour l’instant majoritairement encore fabriqués en Occident, la Chine est en train de rattraper son retard à grande vitesse dans le domaine.

Depuis la première vague de Covid-19 en 2020, tous les pays européens sont d’accord sur la nécessité de relocaliser la production de médicaments sur le Vieux Continent, mais cela est malheureusement plus facile à dire qu’à faire. Chez nous, dans le cadre du projet « France Relance » destiné à « renforcer la chaine de valeurs de médicaments », seulement 18 projets de relocalisation de la production de produits actifs ont ainsi été lancés. La fameuse usine de paracétamol de Roussillon dans l’Isère, très mise en avant par l’exécutif, ne sera opérationnelle qu’en 2025.

Faut-il augmenter les prix pour éviter les pénuries ?

Par ailleurs, les laboratoires pharmaceutiques européens l’assurent : tant que les médicaments génériques coûteront aussi peu cher, ils ne pourront pas relocaliser leur production en Europe. « On se bat pour quelques centimes : avec des rentabilités aussi faibles, comment voulez-vous que l’on ait les moyens d’investir ? » s’insurge Marie-Hélène Dick, présidente du laboratoire français Panpharma. L’Allemagne et la Grèce ont trouvé la solution, en décidant de doubler le prix de certains médicaments indispensables, comme le paracétamol et l’ibuprofène.

Des décisions unilatérales qui créent le risque d’une concurrence déloyale entre les Etats européens. Le problème étant que sur cette question, comme souvent s’agissant du sanitaire, l’Union Européenne a beaucoup de mal à parler d’une seule voix. « Nous déployons toutes les flexibilités réglementaires à notre disposition » assure pourtant Stella Kyriakides, commissaire à la santé. En mars prochain, la Commission Européenne devrait présenter son plan pour lutter contre la pénurie de médicaments. Mais s’il contiendra de nouvelles obligations de déclarations et de stockages pour les laboratoires, aucun programme de relocalisation massive de la production n’est a priori contenu dans ce plan.

Nicolas Barbet

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