
La France affiche depuis plusieurs années un sérieux retard
sur ses voisins européens dans le domaine de la greffe d'organes.
Notre pays réalise ainsi deux fois moins de greffes sur donneurs
décédés par habitants que l'Espagne (et quatre fois moins qu'en
Catalogne) et seulement 14 % des transplantations rénales réalisés
en France le sont sur donneurs vivants, contre 30 % au Royaume-Uni.
Les autorités sanitaires multiplient les efforts ces dernières
années pour rattraper ce retard, avec notamment un ambitieux plan
greffe 2022-2026 adopté en mars dernier qui prévoit d'atteindre un
taux de 20 % de greffes rénales à partir de donneurs vivants.
En 2021, 502 greffes rénales (dont 24 pédiatriques) ont été
réalisées à partir de donneurs vivant, sur un total de 3 252
transplantations (soit 15 %) et les premiers chiffres de l'année
2022 attestent d'une augmentation de 2 % de la part de greffes
entre vivants. Pour renforcer cette dynamique, l'agence de la
biomédecine (ABM) organise, du 28 novembre au 15 décembre, une
campagne de communication à destination des professionnels de santé
et du grand public pour les informer sur les vertus du don de rein
entre proches (peut être avez vous aperçu cette campagne sur notre
site ?).
Pour rappel, depuis 2011, la loi autorise les parents, les
grands-parents, les enfants, les frères, les oncles et tantes, les
frères et sœurs, les cousins, le conjoint du patient et toute
personne pouvant prouver un lien affectif d'au moins deux ans avec
le patient à lui donner un rein.
Le don de rein entre proches, pas seulement en dernier recours
L'objet de la campagne est notamment de rappeler aux
néphrologues et aux patients que le don de rein ne doit pas être
une solution de dernier recours et doit au contraire être proposé
précocement en cas d'insuffisance rénale chronique terminale
(IRCT), même avant que le patient soit placé sous dialyse.
Pourtant, selon un sondage commandé par l'ABM, seulement 7 % des
Français savent que le don de rein n'est pas qu'une solution
thérapeutique de dernier recours. "Il faut arrêter d'être tiède
par rapport à la greffe du vivant : elle doit être une solution
prioritaire, les néphrologues doivent en parler avec les patients
et les proches" exhorte le Pr Luc Frimat, président de la
société francophone de néphrologie dialyse et
transplantation.
La campagne insiste également sur les nombreux avantages que
présente la transplantation rénale à partir de donneur vivant par
apport à celle sur donneur décédé. Tout d'abord, le taux de survie
du greffon à 10 ans est meilleur avec un donneur vivant (76 %)
qu'avec un donneur décédé (61 %). Le risque de rejet est d'autant
plus faible que le donneur est de la même famille que le patient.
La greffe est également plus rapide entre vivants (ce qui diminue
la durée d'ischémie) et le patient « contourne » la liste
d'attente. Pour rappel, on compte actuellement 18 666 personnes sur
liste d'attente d'une greffe rénale (dont 9 890 sur liste active) :
en moyenne, 14 nouvelles personnes entrent chaque jour sur la
liste, pour seulement 9 greffes quotidiennes.
98,4 % des donneurs ne regrettent pas leur générosité
En outre, la transplantation entre vivants est moins
stressante le patient n’attend ant pas fébrilement qu'un organe
soit disponible. "Il n'y a pas eu l'attente d'un coup de fil à 4
heures du matin, le stress d'être opéré ou écarté car plusieurs
potentiels receveurs sont appelés" explique une femme qui a donné
son rein à son conjoint.
L'ABM rappelle également que le risque est minime pour le
donneur et qu'aucun décès d'un donneur n'a été rapporté. Au totale
98,4 % des donneurs déclarent ne pas regretter leur don.
L'ABM souhaite également mettre en lumière une procédure
encore trop méconnue, celle du don croisé, utilisé lorsqu’aucun des
proches du patient n'est compatible avec lui, mais que les proches
d'un autre patient le sont. Depuis l'adoption de la dernière loi de
bioéthique l'an dernier, c'est jusqu'à six paires de donneurs et de
receveurs consécutifs qui peuvent être mobilisés (et non plus deux
comme auparavant) avec la possibilité d'intercaler dans la chaine
un donneur décédé. Quatre greffes via dons croisés ont été
réalisées en 2022 et 18 paires de donneurs-receveurs sont
actuellement en attente d’une transplantation.
Baisse de 25 % des dons d'organes en 2020
Les néphrologues insistent sur le fait que le développement de
la greffe rénale, qu'elle soit entre vivants ou à partir de
donneurs décédés, passe nécessairement par des investissements
importants, afin notamment d'embaucher plus de personnel médical et
paramédical. "Pour cette activité, il faut une symbiose et une
confiance entre néphrologues, équipe chirurgicale et infirmières de
coordination" insiste le Pr Vincent Vuiblet, néphrologue au CHU
de Reims.
L'activité de greffe a été très fortement perturbée par la
pandémie de Covid-19, avec une baisse de 25 % du nombre de
transplantations d'organes entre 2019 et 2020, alors même qu'il
augmentait de 5 à 10 % par an depuis plusieurs années. Si
l'activité a remonté de 19,3 % en 2021 et 4,2 % sur les 6 premiers
mois de 2022, le retour à la situation pré-pandémie n'est pas pour
tout de suite. Autre élément inquiétant, le taux d'opposition au
prélèvement d'organes sur des personnes décédées est en
augmentation et atteint 34 % au niveau national, 46 % en
Ile-de-France.
Nicolas Barbet