Polémique sur les « tire-au-flanc » : le Pr Peyromaure s’explique (Interview)
Paris, le mardi 2 août 2022 - Début juillet, à l’orée
des vacances, le Pr Michaël Peyromaure (chef du service d’urologie
de l’hôpital Cochin) a suscité la polémique dans le Figaro en
pointant le manque d’implication de certains jeunes soignants et
médecins dans les hôpitaux. La recension de cette interview dans
nos colonnes a provoqué une avalanche de commentaires, pour la
plupart négatifs, à l’endroit du Pr Peyromaure. Il a tenu à
s’expliquer et à détailler ses positions.
JIM : En quoi vos propos ont-ils été déformés
?
Pr Michaël Peyromaure : Mes propos ont été déformés par
la direction de l’hôpital et par certains journalistes (mais pas
ceux du JIM !) qui m’ont accusé d’attribuer l’effondrement de
l’hôpital au manque d’investissements des soignants. Or je suis
parfaitement conscient et je le dénonce publiquement depuis des
années, que la situation de l’hôpital est liée à d’autres facteurs
bien plus anciens : faiblesse des rémunérations, 35 heures,
réduction des effectifs soignants, suradministration, gouvernance
déconnectée des besoins du terrain, rigidité des statuts... La
proportion croissante de gens qui placent leur bien-être personnel
au-dessus des contraintes du métier est un phénomène plus récent,
qui touche beaucoup de secteurs et n’épargne pas l’hôpital. Cette
réalité est indéniable, elle aggrave les difficultés préexistantes
de notre système de santé, à l’hôpital mais aussi en
ville.
« Beaucoup m’ont remercié de mettre les pieds dans le
plat »
En outre, certains y ont vu un mépris de classe en laissant
penser que j’attaquais uniquement les infirmières et les
aides-soignantes…mais tout le monde en a pris pour son grade, y
compris les médecins !
JIM : Est-ce que des « tensions » sont apparues dans votre
service à la suite de cette interview au Figaro ?
Pr Michaël Peyromaure : Pas vraiment. Contrairement à
ce que certains imaginent, je suis très proche des infirmières et
aides-soignantes du service. Je leur ai d’ailleurs consacré un
chapitre plus qu’élogieux dans mon dernier livre.
Tous les gens qui travaillent à l’hôpital constatent que les
tire-au-flanc nuisent à la cohésion des équipes. En les dénonçant,
je mets en valeur ceux qui font vraiment tourner l’hôpital. Ces
derniers sont les dindons de la farce, car en plus d’exercer un
métier ingrat et sous-valorisé, ils sont sans cesse obligés de
pallier les carences des autres. Beaucoup m’ont donc remercié de
mettre les pieds dans le plat.
Quand nous avions suffisamment de personnels, qu’un agent soit
tout le temps en arrêt de travail n’était pas vraiment gênant.
Aujourd’hui, non seulement nous sommes à flux tendu, mais en plus
l’absentéisme s’est accentué. Ceux qui se font mettre en arrêt de
travail à la moindre occasion posent donc doublement problème. Le
grand public doit cesser de croire, comme cela a été véhiculé
durant la pandémie, que tous les soignants sont épuisés à la tâche.
Il est vrai que beaucoup d’entre eux sont rappelés sur leurs repos,
font beaucoup d’heures supplémentaires, et doivent parfois changer
leur planning à la dernière minute. Cela n’est pas normal. Mais il
est aussi vrai que d’autres profitent de leur statut et des
avantages de la fonction publique. Cela n’est pas normal non plus.
Si les gens voyaient ce qu’il se passe réellement dans les
services, ils constateraient qu’il existe une grande disparité en
termes d’implication et de rigueur professionnelle des soignants.
De la même manière qu’il existe des services débordés et d’autres
qui tournent au ralenti.
Après la parution de l’interview, beaucoup d’agents
hospitaliers, en particulier de mon équipe, m’ont remercié de
rapporter cette vérité. Il n’y a qu’au bloc opératoire, un plateau
commun à plusieurs services, que certains ont grincé des dents.
Peut-être se sont-ils sentis visés.
JIM : Comment réagissez-vous au communiqué des doyens qui
écrivent que votre interview au Figaro est « malhabile, injuste
et contreproductive »?
Pr Michaël Peyromaure : Les doyens ont raison de
trouver l’interview « malhabile ». La forme était trop
franche, voire brutale. En revanche, je n’ai pas compris en quoi
elle pouvait être « contreproductive ». Ce n’est pas une
prise de position personnelle qui changera la donne : ni les
personnels investis, ni les autres ne vont modifier leur
comportement en réaction à un article de presse.
« Quand on est jeune, on supporte les contraintes, la
pression, le manque de sommeil »
Croire qu’une telle interview pourrait avoir un impact sur les
mentalités relève de l’illusion. Enfin, je ne la trouve pas «
injuste ». Au contraire, elle rend justice à tous ceux qui
ne comptent pas leurs efforts et que je qualifie de « vrais
héros » à la fin de l’entretien. J’ajoute que pour redresser
l’hôpital, il va falloir réparer tous ses travers, y compris ceux
qui dérangent, au lieu de les mettre sous le
tapis.
JIM : Pourquoi jugez-vous la réglementation sur les 48
heures néfaste à la formation des chirurgiens ? Les « semaines de
100 h » n’étaient-elles pas néfastes pour les patients
?
Pr Michaël Peyromaure : Vous avez raison de distinguer
l’internat de médecine et celui de chirurgie. En médecine, il est
possible que 48 heures par semaine suffisent pour une formation
correcte. En chirurgie c’est impossible, car l’aspect manuel est
déterminant. Il s’agit d’une formation à la fois intellectuelle et
technique. Or la volonté de réduire le temps de travail émane des
internes de médecine. La majorité des internes de chirurgie, eux,
approuvent mes positions.
Il faut en effet bien faire la distinction entre les internes
de médecine (majoritaires dans les syndicats) et les internes de
chirurgie. Ces derniers ne souhaitent pas réduire leur temps de
formation à 48 heures par semaine car ils considèrent cela comme
une régression. Ils sont souvent favorables au repos compensateur
après les gardes de nuit, mais ont compris qu’une formation solide
en chirurgie requérait beaucoup de temps.
D’ailleurs, si l’on se place du point de vue des patients, il
vaut mieux être opéré par un assistant qui aura pratiqué la
chirurgie 100 heures par semaine pendant 5 ans que 48 heures, c’est
une évidence. Ce d’autant que les internes sont jeunes. A cet âge,
on supporte les contraintes, la pression et le manque de sommeil si
c’est le prix à payer pour bien apprendre son métier.
« La médecine est en train de devenir un métier comme un
autre »
Si des futurs chirurgiens se mettent à revendiquer une
réduction du temps de travail et une formation « normale »,
on court à la catastrophe !
Pour finir, laissez-moi vous raconter une anecdote : à cause
de l’interview, certains de mes internes ont été contactés par
d’autres internes syndiqués convaincus que j’étais un tyran. Mes
internes ont pris ma défense en expliquant qu’ils ne subissaient
aucun mauvais traitement.
JIM : Pensez-vous que la transformation de l’internat
volontaire en internat pour tous les futurs médecins avec les ECN a
joué un rôle dans les changements de mentalité que vous décrivez
?
Pr Michaël Peyromaure : Je crains que vos lecteurs
trouvent cette question un peu surannée…Mais pour y répondre, je ne
crois pas que le problème soit là.
L’internat reste une formation longue, technique, exigeante.
Je pense que le vrai problème est que la médecine est en train de
devenir un métier comme un autre avec une baisse de vocation, en
partie due à la rigidité des réglementations. Ce phénomène touche
la médecine comme les autres métiers. Je peux pardonner et
comprendre une baisse d’engouement pour beaucoup de métiers…mais
pas pour la médecine !
« La priorité donnée à la qualité de vie et aux loisirs
n’est pas compatible avec les exigences de notre profession
»
On en arrive à une fonctionnarisation du métier qui me parait
très dommageable, mais je ne crois pas que les modalités du
concours de l’internat aient une responsabilité dans ce phénomène.
Pour tout dire, je pense que les médecins de demain risquent de ne
pas être à la hauteur des enjeux de la santé publique. Ça n’augure
pas des jours heureux…
JIM : Ressentez-vous à l’hôpital une « querelle des
anciens et des modernes » ? L’importance donnée à «
l’épanouissement personnel » dans les jeunes générations
vous parait-elle incompatible avec la profession médicale
?
Pr Michaël Peyromaure : Je ne parlerais pas de querelle
mais plutôt d’incompréhension entre les anciens et les plus jeunes.
Oui, les jeunes veulent davantage de temps libre. Ils ne souhaitent
pas sacrifier leur vie privée en travaillant « trop ». C’est
un vrai problème pour le pays. On parle beaucoup des déserts
médicaux. L’expression consacrée est qu’il y a un « manque de
médecins ». S’il est vrai que la démographie médicale n’a pas
suivi celle de la population, il faut aussi reconnaitre que pour
remplacer un médecin « à l’ancienne », il en faut
aujourd’hui deux voire trois. Le problème n’est donc pas uniquement
quantitatif, il est aussi qualitatif. Qu’on le veuille ou non, la
féminisation du corps médical a accentué ce phénomène. Ce n’est pas
un reproche, c’est un constat. Et pour répondre jusqu’au bout à
votre question, je crois en effet que la priorité donnée à la
qualité de vie et aux loisirs n’est pas compatible avec les
exigences de notre profession.
JIM : En pratique, pensez-vous qu’il faille réduire le
nombre de semaines de vacances (au-delà de 5) de certains médecins
hospitaliers (pour exercice hospitalier exclusif) ?
Pr Michaël Peyromaure : Une telle mesure me semblerait
judicieuse, à la condition que les rémunérations soient
revalorisées. Mais je n’ai guère d’illusion sur le
sujet.
JIM : Vous aviez dénoncé par le passé le carcan
administratif à l’hôpital. Considérez-vous qu’il joue un rôle dans
l’évolution des mentalités des jeunes praticiens et soignants
?
Pr Michaël Peyromaure : Oui, en partie. L’hôpital et le
système de santé en général sont gérés par des strates
administratives assez distantes du terrain. Il en résulte une forme
d’inertie, voire de sclérose qui ne pousse pas les acteurs du
système à la performance. Mais ce n’est pas tout. Le mal est plus
profond, sociétal. Il se trouve hélas que beaucoup de gens
aujourd’hui n’ont plus le sens de l’effort. C’est la quête de
confort qui a pris le dessus.
« Je risquerais de provoquer encore une levée de
boucliers… »
JIM : Alors qu’arriverait une grande concertation sur le
système de santé, quelles propositions formuleriez-vous ? Notamment
concernant les urgences ? Quel regard portez-vous sur la mise en
place d’un « filtrage » systématique des urgences par
régulation « médicale » ?
Pr Michaël Peyromaure : Répondre à cette question
prendrait des heures. Pour moi, presque tout le système est à
revoir, les urgences n’étant que la partie émergée de l’iceberg.
Parmi les priorités : réduire la technostructure, rééquilibrer les
pouvoirs entre administration et médecins à l’hôpital, donner une
autonomie de gestion aux services, revenir sur les 35 heures,
assouplir les grilles salariales en adaptant les rémunérations en
fonction des régions et du mérite, donner à tous les libéraux la
possibilité d’avoir des honoraires libres, lutter contre la fraude
à la sécurité sociale... Sur la question spécifique des urgences,
il suffit d’y passer pour comprendre qu’une grande partie des
patients n’a rien à y faire. Je serais donc partisan d’un filtrage.
J’aimerais rajouter qu’avec 11,3 % du PIB, les dépenses allouées à
la santé en France sont généreuses. Il ne s’agit donc pas de
rajouter des moyens, mais de rendre le système plus juste et plus
efficace.
La vraie réforme serait de créer trois types d’établissements
: ceux de proximité (majoritairement privés), des centres de taille
moyenne pour les accouchements, la chirurgie et la médecine
conventionnelle, et ceux de niveau 3 (équivalent du CHU) uniquement
pour la médecine de pointe (transplantation, oncologie lourde,
maladies rares...).
Je pense aussi qu’il est temps de graduer le remboursement des
soins non pas en fonction des ressources financières des gens, mais
en fonction du type soins (essentiels ou de confort). Mais c’est
encore un autre sujet, et je risquerais de provoquer encore une
levée de boucliers…
Propos recueillis par Frédéric Haroche le 1er août 2022
Je crois que, malheureusement pour lui, le Pr PEYROMAURE vit dans un autre monde et n’a pas vu l’évolution de la société médicale et générale. Je partage avec lui (j’ai 71 and dont 41 passées comme médecin dans un CHU de province) le constat que les nouvelles générations n’ont pas la même approche de notre métier … mais lui n’accepte pas ce constat. Et plutôt que fustiger ces « jeunes » il devrait d’avantage se demander comment l’hôpital doit évoluer pour suivre cette modification. Penser que c’était mieux avant et que rien ne doit changer dans la vie de l’hôpital, qu’il faut reprendre les pratiques en-avant est plus que négatif … c’est carrément suicidaire pour l’hôpital public. Et je pense que le privé lucratif l’a bien compris et évolue plus vite que le public.
Dr Jean-Louis Ducassé
Je ferai le même parcours sans hésiter !
Le 02 août 2022
Je suis entièrement d'accord avec le Pr PEYROMAURE pour faire un distinguo entre les internes en médecine et en chirurgie . J'ai moi-même été interne en chirurgie à l'APHP au début des années 70, puis chef de clinique, ai travaillé plutôt 100 heures par semaine que 50, mais le désir d'apprendre un métier magnifique, l'ambiance des équipes, l'apprentissage de ma spécialité de chirurgie vasculaire ont fait que je n'ai gardé que d'excellents souvenirs de cette période de ma vie professionnelle . Je soutiens la position de mon collègue PEYROMAURE, hélas trop rare ! Ce serait à recommencer, je ferai le même parcours sans hésiter!
Dr Denis Janneau
Pas de propos déformés, il persiste et signe
Le 02 août 2022
Le Pr. Peyromaure persiste dans son positionnement caricatural. Le pompon c'est sa proposition de laisser les hôpitaux de proximité au privé et valoriser encore plus l'activité libérale: depuis quand le privé joue t il le jeu de la prise en charge des urgences ? La nuit ? Les week ends ? Et il en rajoute sur le soit-disant dilettantisme des blocs opératoires…il ne doit pas y mettre souvent les pieds…que les internes en chirurgie doivent être mieux formés à l'acte chirurgical c'est sûrement vrai , mais rien n est mis en place pour évaluer la capacité opératoire, ni gestuelle des futurs chirurgiens. En effet cela aussi se dégrade.