Pour qui la vie d’un noir ou d’un blanc n’a pas le même poids ?

Genève, le samedi 16 avril 2022 – Le directeur général de l’OMS Tedros Ghebreyesus s’est ému que la communauté internationale ne prête pas plus d’attention aux conflits en cours dans le tiers-monde.

Les souffrances du peuple ukrainien depuis le début de l’invasion russe le 24 février ont suscité un élan de solidarité sans précédent en Europe. Les pays limitrophes ont accueilli à bras ouvert et sans aucune condition plus de 4 millions d’Ukrainiens qui ont fuit leur pays et de nombreux particuliers se sont mobilisés pour venir en aide aux victimes de la guerre, via des dons ou du bénévolat. L’Union Européenne a même pour la première fois déclenché son mécanisme de protection temporaire, qui confère aux réfugiés divers droit (dont l’accès gratuit aux soins) à travers toute l’Union. Et depuis le début du conflit, les évènements d’Ukraine font la une de nos journaux sans interruption.

« Certains sont plus égaux que d’autres »

Si on ne peut que se réjouir de cet élan de générosité de la part des Européens, il soulève un sentiment bien moins agréable quand on se demande pourquoi une telle solidarité ne s’exprime pas pour les victimes de tous les conflits. On se souvient de la méfiance avec laquelle ont été admis en Europe les réfugiés venus de Syrie ou d’Afghanistan. Pire encore, certains conflits se déroulent dans une sorte d’indifférence générale, à l’image de la guerre du Yémen, qui aurait causé la mort de 377 000 personnes depuis 2014, sans que grand monde ne s’en émeuve. Aussi valorisante que soit l’attention que nous apportons aux Ukrainiens, elle révèle la difficulté que nous avons à exprimer de l’empathie pour des individus qui ne nous ressemblent pas, c’est-à-dire pour des non-Européens.

Une situation qui a été vivement dénoncée ce mercredi par le directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Premier homme noir à diriger l’instance onusienne, il a regretté que le monde « ne prête pas le même degré d’attention aux vies des Noirs et à celles des Blancs ». « Toute l’attention portée à l’Ukraine est très importante bien sûr parce que cela a un impact sur le monde entier, mais même pas une fraction de cette attention n’est donnée au Yémen, à l’Afghanistan, à la Syrie et à tout le reste » a-t-il ajouté.

Un indicateur parmi d’autres : le JIM a consacré 21 articles à la guerre d’Ukraine depuis son déclenchement, contre un seul pour le conflit au Yémen. Paraphrasant « La Ferme des animaux » de George Orwell, le directeur de l’OMS a amèrement constaté que « certains sont plus égaux que d’autres ».

La guerre oubliée du Tigrée

Le directeur général de l’OMS a consacré une grande partie de son intervention de ce mercredi à évoquer un conflit qui revêt une grande importance pour lui, puisqu’il se déroule dans son pays : la guerre du Tigré, qui oppose depuis novembre 2020, dans l’indifférence de la communauté internationale, le gouvernement éthiopien aux rebelles tigréens. Un conflit qui a déjà provoqué la mort de plusieurs dizaines de milliers de personnes et qui a placé plusieurs millions d’individus dans une situation de grande détresse alimentaire.

L’ancien ministre éthiopien a rappelé que l’armée de son pays, dirigé par le Premier ministre Abiy Ahmed (pourtant lauréat du Prix Nobel de la paix en 2019 !), se livrait à des atrocités qui n’ont malheureusement rien à envier à celles commises en Ukraine. « Ce qui arrive en Ethiopie est tragique, les gens sont brûlés vifs à cause de leur ethnie et je ne suis pas sûr que cela ait été pris au sérieux par les médias » a déclaré le directeur de l’OMS avant de conclure sur un message à destination du monde entier : « nous devons prendre chaque vie au sérieux parce que chaque vie est précieuse ».

Quentin Haroche

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions (4)

  • Le mètre du monde

    Le 15 avril 2022

    Il ne devrait plus y avoir deux poids et deux mesures
    L'existence de cette mobilisation envers l'UKRAINE frise le ridicule si elle ne sert pas à agir de même envers les autres peuples.
    Ou alors qu'on en finisse avec la notion controversée de "droit" d'ingérence fût-elle humanitaire car sur son usage pèse le soupçon des motivations politiques.

    Dr Françoise Albertini

  • Réaction humaine ...et classique

    Le 16 avril 2022

    L'Ukraine me touche plus que le tiers monde, pour des raisons rationnelles ou non, justes ou non, mais ces raisons sont bien classiques : cette guerre se passe en Europe, autant dire chez nous, entre peuples civilisés , et c'est une surprise par sa férocité (on est loin de la civilisation) et le rappel de l'histoire qui nous a tous marqués en Europe : le souvenir de Munich 1938 et d'après.

    Plus on va loin, moins c'est choquant : nous n'avons pas été choqués autant par Katrina et les victimes nord américaines par exemple, et moins il y a d'information plus on passe : ou sont les reportages sur le Tigré ? Pas au JT de 20h00 ...
    La couleur de peau est un accessoire : nos compatriotes martiniquais et guadeloupéens décimés par la COVID ont eu droit à autant de compassion que les "blancs".
    On verse trop facilement dans l'accusation de racisme ...et la bêtise .

    Dr F Chassaing

  • Guerre

    Le 19 avril 2022

    Toute guerre et toutes les guerres amènent à un désastre, qu'elles trouvent naissance dans des enjeux géopolitiques, dans des frontières mal-définies, mais plus encore quand il y a un conflit et donc un expansionnisme religieux, d'une religion non majoritaire en Europe qui peut expliquer une partie du désintérêt ressenti.

    Les situations de conflit larvées, non correctement réglées, comme l'Ukraine depuis 2014 avec 14 000 morts dans le DONBASS, ont amené à justifier la position russe de "riposte" sans que nous ne soyons dupes sur l'intérêt geopolitique.

    En Ethiopie, comme en Afrique (Zaire) et précédemment en Lybie, l immensité du pays supposerait une structuration bien plus aboutie qu'elle ne l'est , avec un partage / repartition des richesses plus démocratique auquel la tentation d'un pouvoir central fort s'oppose , et dont la répression brutale parfois (souvent) dont trouve un écho défavorable dans notre société , quand ce n'est pas comme en Somalie ou l absence de pouvoir favorise la persistance de pillages (razzias) de type ancestral.

    Amener à un bien être en développant et multipliant localement des micro entreprises, comme l'a fait en son temps l Agence Francaise de Développement (AFD) est, me semble t il, un modèle à développer que chacun, où qu'il soit, puisse vivre de son travail et ait intérêt à la stabilité et la paix.

    Dr J-F Blanchemain

Voir toutes les réactions (4)

Réagir à cet article