Pr Bricaire : « La balance bénéfice-risque du confinement doit être évaluée et guider les décisions »

Interview du Pr François Bricaire, professeur de pathologie infectieuse, membre de l’Académie de médecine

Parfois dissonante, la voix du Pr François Bricaire s’est régulièrement exprimée sur le Covid-19 depuis le début de l’épidémie. Il a accepté de se pencher avec le JIM sur la délicate question du dé-confinement qui pourrait s’avérer encore plus complexe que celle du confinement !  

JIM.fr : Quels sont les critères indispensables pour envisager une sortie du confinement ?

Pr François Bricaire : Pour sortir du confinement, il faut d’abord être sûr que nous avons passé le pic épidémique. Or, au regard des chiffres, c’est loin d’être évident et on constate plutôt que nous sommes à un plateau. Il faut ensuite que nous soyons dans une phase vraiment descendante, amorcée au point que le nombre de nouvelles contaminations diminue de façon réellement significative. Moyennant ces deux éléments nous pourrons entrer dans une phase active et surveillée de sortie du confinement. Pour apprécier la situation il faudra, dès que la qualité des tests sérologiques aura été validée, réaliser un vaste échantillonnage sérologique, région par région, pour avoir une photographie de la proportion de personnes porteuses d’anticorps.

JIM.fr : Quel pourrait être, selon vous, le taux de personnes immunisées vis-à-vis du SARS-CoV-2 dans la population française ?

Pr François Bricaire : Compte tenu du nombre important de patients hospitalisés et en réanimation, on peut penser que le virus circule beaucoup dans la population et que par conséquent la part des sujets ayant présenté des formes peu ou pas symptomatiques et donc déjà protégés pourrait être importante.

"J'ose espérer que nos collègues britanniques se trompent..."

Mais des estimations, provenant de l’Impérial Collège de Londres, suggèrent que pas plus de 5 % de personnes seraient immunisées en France, ce qui me parait très peu et surtout une mauvaise nouvelle. En effet, si seuls 5 % des Français sont immunisés, nous sommes loin d’être sorti du phénomène épidémique. Mais j’ose espérer que nos collègues britanniques se trompent et que les chiffres sont en réalité plus élevés que ça. Je souligne à ce sujet que les calculs et les modélisations sont particulièrement compliqués, d’autant plus qu’il y a des différences en fonction des pays, des terrains, de l’âge, des zones géographiques…Des calculs qui sont encore plus complexes si l’on parle de la mortalité !

JIM.fr : Quelle est votre position vis-à-vis du port du masque ? Est-il un élément important pour la sortie du confinement ?  

Pr François Bricaire : Le port du masque a suscité beaucoup de débats et il y a des travaux contradictoires. A l’Académie de médecine, nous recommandons l’utilisation du masque de façon plus large qu’actuellement et éventuellement de masques alternatifs s’il n’y a pas suffisamment de masques chirurgicaux disponibles.

Oui au port du masque dans le contexte de la sortie progressive du confinement

Parce qu’au-delà des débats, en tout état de cause, un masque est un élément protecteur que l’on soit contaminé ou pas, même si cette protection est loin d’être absolue. La période de déconfinement nécessite de se reposer sur de multiples outils et dans ce cadre, on peut en effet prôner le port du masque : oui à sa généralisation même si c’est désagréable ! Et oui au masque alternatif en cas de rupture de stocks également pendant cette période de transition très particulière et délicate.

Bien sûr, il n’y a pas d’absolu dans la protection, mais le masque est un bon élément qui sera sans doute très utile au moment où l’on songera à déconfiner.

Concernant le caractère obligatoire du port du masque à la sortie du confinement, en tant que citoyen, je pense que dans la mesure où les gens ne seront pas convaincus qu’il faut porter un masque, il faudra peut-être prendre des mesures plus drastiques et des sanctions éventuelles. C’est là qu’il est important de souligner la nécessité, pour les autorités, d’expliquer largement et de justifier ce qu’elles préconisent. Ce serait déjà une première étape avant de parler de sanction. La position des autorités n’est pas simple non plus, le problème étant que la vérité, en matière d’épidémie, évolue très vite, ce qui explique peut-être le changement de pied des autorités sanitaires concernant les masques.

JIM.fr : Pourquoi l’Académie n’est pas favorable à un déconfinement par âge mais par région ?

Pr François Bricaire : Nous sommes encore au stade de la réflexion. Dé-confiner en fonction des zones géographiques me paraît tout à fait raisonnable étant donné que chaque région a ses caractéristiques : elles n’ont pas été au contact du virus au même moment, l’épidémie n’y a pas évolué forcement de la même façon. A condition, bien sûr, qu’on évite les risques de re-contamination d’une région par l’autre.

Pour ce qui concerne l’âge, bien qu’étant Académicien moi-même, je ne sais pas si c’est parce que les Académiciens ont un certain âge qu’ils ont préféré ne pas s’avancer sur cette question ! Plus sérieusement, je pense qu’on pourrait tout de même penser à lever prioritairement le confinement pour les personnes qui sont actives, qui font marcher la société et qui ont, pour la plupart, moins de 60 ans. De même, concernant les écoles, selon moi, la question de leur réouverture doit se poser avant la sortie du confinement des personnes âgées. 

JIM.fr : Que pensez-vous de l’hypothèse de l’Imperial College d’alterner confinement et déconfinement jusqu’au développement d’un vaccin ?

Pr François Bricaire : Je ne comprends pas très bien cette hypothèse ! Il faudrait qu’on me donne un rationnel solide ! Psychologiquement ça me parait tout à fait difficile à tenir. Concernant le vaccin je rappellerai que si nous avons plusieurs candidats à l’étude, il faut rester prudent. Des travaux chinois ont effet mis en évidence qu’un nombre significatif de sujets ayant été malades n’ont pas d’anticorps protecteurs ce qui pose la question de l’efficacité potentielle d’un futur vaccin.

JIM.fr : Que pensez-vous de l’utilisation du traçage numérique des patients Covid + dans le cadre de la sortie du confinement ? 

Pr François Bricaire : On sort là du champ médical et on en revient à la question des libertés. A titre personnel, je pense qu’à partir du moment où le traçage peut être considéré comme un élément positif pour combattre le risque de transmission en période de sortie du confinement, cela ne me choquerait pas outre mesure, si bien sûr des précautions concernant la protection des données sont prises. Je souligne par ailleurs que ce traçage ne peut être efficace s’il est uniquement réalisé sur la base du volontariat.

JIM.fr : A l’heure où l’on parle de sortie du confinement, pensez-vous qu’on aurait pu l’éviter ?

Pr François Bricaire : C’est une discussion un peu plus théorique. A priori, si vous laissez se diffuser le virus jusqu’à atteindre une « immunité de troupeau », nonobstant des précautions particulières pour les personnes âgées et fragiles, vous atteignez un contrôle plus rapide et plus facile du phénomène épidémique. Cette théorie me paraissait assez satisfaisante. Mais, sans doute, cela imposait de disposer de larges capacités d’accueil dans les structures hospitalières ce qui ne semble pas être le cas en France, ni d’ailleurs dans la majorité des pays du monde. De plus, je note que les pays qui ont opté pour cette solution sont très peu nombreux et certains se posent désormais la question de revenir sur leur doctrine.

Le confinement oblige à "jouer les prolongations"

Sur ce point, le problème est aussi que l’incertitude est mondiale. Tout est international dans cette affaire : la façon de gérer, mais aussi celle d’induire les peurs. Aujourd’hui, si un responsable politique s’aventure à agir différemment des autres, il prend le risque d’être rapidement et vivement critiqué…à tort ou à raison, seul l’avenir nous le dira.

Reste que le problème du confinement, c’est d’être obligé de jouer les prolongations : sortir du confinement est en effet une chose difficile.

JIM.fr : Y a-t-il selon vous des effets nocifs du confinement, sur le plan médical ?

Pr François Bricaire : Le phénomène infectieux comporte ses risques, qui justifient, peut-être, le confinement, mais le confinement a aussi des conséquences négatives, des conséquences directes et indirectes en matière de santé.

Comme conséquence directe, nous avons en particulier le syndrome de glissement chez les personnes âgées isolées, chez lesquelles l’activité déjà réduite, risque de devenir complètement nulle. Le confinement induit également un mauvais contrôle des pathologies chroniques et des retards de prise en charge des pathologies aigues. Nous pouvons donc craindre, avec le confinement, une augmentation de la mortalité toutes causes. Et puis nous pouvons évoquer également les conséquences sanitaires indirectes liées à une économie qui s’effondre. On peut notamment s’attendre à une augmentation des syndromes dépressifs voire à l’augmentation du nombre des gestes suicidaires. Il faudrait donc, aussi, envisager les chiffres de la mortalité induite par le confinement. La balance bénéfice-risque du confinement doit être évaluée et guider les décisions de sortie du confinement.

JIM.fr : La sortie du confinement serait facilitée par des traitements efficaces et éprouvés. Quelles sont selon vous les pistes thérapeutiques les plus prometteuses ? Plus prosaïquement quel traitement proposez-vous ?

Pr François Bricaire : Si on trouve une médication, bien sûr, cela changerait considérablement la donne. Malheureusement, pour le moment, nous n’avons rien !

L'efficacité de l’hydroxychloroquine, dont on parle beaucoup, n’est pas prouvée. De même pour les anti-VIH, le remdesivir, ou l’interféron qui n’ont pas montré, pour l’heure, d’efficacité significative. D’autres travaux sont en cours : des antiparasitaires, l’injection de plasma de convalescents etc…Il est indispensable de stimuler cette recherche pour trouver le plus vite possible !

En pratique, ce que je recommande, dans les formes les plus simples, qui sont de loin les plus fréquentes : le repos et le paracétamol.

En milieu hospitalier avec des formes relativement sévères, chaque médecin doit juger, c'est-à-dire choisir entre le traitement symptomatique habituel ou l’association hydroxychloroquine/azithromycine sous surveillance cardiologique et potassique. Dans les formes les plus graves, on rentre dans le cadre purement compassionnel, et je pense que l’injection de plasma de convalescent est une piste intéressante.

Propos recueillis par Frédéric Haroche le 9 avril 2020

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Vos réactions (6)

  • Les faits simplement

    Le 17 avril 2020

    Le professeur Bricaire est clair, précis, scientifiquement crédible. Pas de grands gestes, les faits simplement.

    Françoise Baudry (pharmacien)

  • Science et bon sens... réconfortant

    Le 18 avril 2020

    La lecture de l'interview de Mr Bricaire fait du bien: des doutes, des positions argumentées, des questions peu posées sur les conséquences directes et indirectes médico-sociales à court terme (syndrome de glissement) comme à moyen et long terme (pathologies hors Covid, économie dégradée) et un schéma des options thérapeutiques qui parait de "bon sens médical".

    Pour ce qui est du déconfinement en fonction de l'âge je n'y suis pas favorable, pas seulement parce que j'ai dépassé 70 ans, mais aussi du fait de l'isolement prolongé que cela induirait pour les plus agés (dépressions, glissement, etc avec probablement une surmortalité) et surtout parce que cette mesure serait clairement discriminatoire. J'espère que nous serions nombreux (vieux et jeunes) à penser et dire que le libre arbitre est un des piliers des droits de l'individu dans une démocratie. Enfin, je partage la position de Mr Bricaire sur le traçage. Je comprends d'ailleurs mal les débats actuels sur l'atteinte terrible à nos libertés individuelles qu'induirait le traçage alors qu'une large majorité d'entre nous accepte pour l'intérêt collectif une restriction sérieuse mais légitime de nos libertés et que beaucoup d'entre nous sont "traçés" de façon probablement plus intrusive sans leur aval et sans contrôle par leurs activités sur Internet. Pourquoi ne pas l'accepter sur une période limitée, assorti avant pendant et après des contrôles exigeants dont tous nos pays européens disposent et utilisent.

    Dr Vincent Praloran

  • Quand la raison s'impose...

    Le 19 avril 2020

    Merci pour ce point de vue, documenté et réfléchi, qui fait grandement appel à la raison et à la réflexion dans un moment où malheureusement ce sont les passions et la déraison qui envahissent le débat et imposent leurs choix...

    Dr Jean-François Cerles

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