Prématurité : l’indifférence des pouvoirs publics dénoncée par SOS Préma

Une interview de Charlotte Bouvard, présidente de SOS Préma

Paris, le samedi 1er novembre 2014 – Mi septembre, les parents d’un enfant né après vingt-cinq semaines de grossesse, Titouan, affirmaient être confrontés au refus du service de néonatologie du CHU de Poitiers de laisser mourir leur enfant, alors que celui-ci présentait un risque important de souffrir de graves séquelles liées à sa naissance prématurée et à une hémorragie cérébrale. Si l’équipe se défendit de toute « opposition » et souligna plus sûrement sa volonté de prendre le temps de l’évaluation et si finalement l’enfant, dont l’état se dégrada, succomba quelques jours plus tard, cette médiatisation ne laissa pas de surprendre et d’interroger. Les réflexions concernaient notamment l’accompagnement de la fin de vie des grands prématurés : quel rôle respectif les médecins et les parents doivent jouer face à ces décisions difficiles et comment faire face aux situations conflictuelles.

Pourtant, la plupart des spécialistes, ainsi que la fondatrice et présidente de l’association SOS Préma, seule organisation à défendre les familles touchées par la prématurité, estiment que « le cas Titouan » n’est nullement emblématique d’une situation qui serait largement répandue. Ces médecins et Charlotte Bouvard témoignent au contraire d’une amélioration certaine de la situation autour de ces cas difficiles depuis l’adoption de la loi Leonetti et de la volonté de d’un véritable dialogue entre les familles et les professionnels. Cependant, les difficultés existent bien au sein des services de néonatologie, où des défauts d’harmonisation et surtout un manque de moyens prégnant existent. C’est cette question et plus largement l’indifférence avec laquelle les pouvoirs publics traitent les obstacles quotidiens qui jalonnent la vie des familles touchées par la prématurité qui animent l’action et la révolte de Charlotte Bouvard et qu’elle a évoqués pour nous.

JIM.fr : Qu’est-ce qu’a changé la loi Leonetti dans les cas où l’accompagnement de la fin de vie d’un prématuré est décidé ?


Charlotte Bouvard, fondatrice et présidente de l’association « SOS Préma »
: Cette loi a mis un cadre. Elle a rappelé quelles sont les responsabilités de chacun. J’ai monté l’association en 2004, il y a dix ans, c'est-à-dire quelques mois avant l’adoption de la loi Leonetti, donc elle constitue pour moi la référence. Je peux évaluer grâce aux témoignages ce qui se pratiquait avant : cela n’était pas toujours très clair. Des parents ont ainsi pu nous raconter qu’on avait pu leur demander de décider eux-mêmes, voire même « d’appuyer sur le bouton », des choses qui n’existent plus depuis l’adoption de la loi. La loi Leonetti n’est cependant pas le seul cadre qui se soit mis en place à ce moment là. Cela fait également une dizaine d’années qu’est née une réflexion nationale sur l’accompagnement de la fin de vie et les soins palliatifs des enfants prématurés. Cela permet qu’il n’y ait pas de pratiques isolées et marginales. Il y a une vraie réflexion collégiale des praticiens.

JIM.fr : Le comité d’éthique clinique de l’hôpital Cochin avait rendu public au début de l’année des conclusions sur les difficultés liées à la suspension de l’hydratation et de l’alimentation, méthode permise par la loi Leonetti, lorsqu’elle est mise en œuvre chez les enfants prématurés. Quel est votre regard sur ces situations très difficiles ? Pensez-vous que la loi soit suffisante ?

Charlotte Bouvard
: Il s’agit en effet de situations terribles. L’arrêt de l’hydratation et de l’alimentation est souvent catastrophique. La souffrance des familles et des enfants est atroce : les témoignages sont poignants.

L'arrêt de l'hydratation et de l'alimentation est atroce

Certes, la loi Leonetti a eu, comme je vous le disais, le mérite de poser un cadre. Il semble cependant indispensable que l’on se penche véritablement sur le cas spécifique des enfants prématurés. La loi Leonetti est une législation généraliste. Or, la prise en charge dans ce cadre des bébés prématurés est particulière. Il faudrait donc un cadre spécifique pour les prématurés, probablement un cadre officiel qui se montre extrêmement précis. La réflexion engagée ces dernières années est riche et nous permettra sans doute d’aller dans le bon sens. On est en train de mettre en place de meilleures approches qu’il faudrait entériner soit par une loi, soit par un décret. Il faut travailler là-dessus.

JIM.fr : Est-ce que les cas comme celui de Titouan sont fréquents ou les situations dans lesquelles les parents souhaitent la continuation des soins contre l’avis médical sont-elles plus fréquentes ?


Charlotte Bouvard : Je ne peux pas vous répondre de façon tranchée là-dessus. Ce qui est certain c’est que les cas de désaccord sont moins fréquents d’une manière générale que les cas de fin de vie. Justement grâce à cette réflexion nationale sur l’accompagnement de la fin de vie et les soins palliatifs des enfants prématurés, dont je vous parlais. Il y a beaucoup d’équipes qui mettent en place des groupes de réflexion pour appliquer non pas réellement une méthode, mais afin de proposer un véritable cheminement. Ils essayent de faire les choses petit à petit. Les décisions ne sont jamais prises au détour d’un couloir. Les parents sont véritablement pris en charge. Mais évidemment, tous les services ne sont pas au même niveau. Il faudrait sans doute standardiser tout ça.

Ni des apprentis sorciers, ni des personnes froides et austères mais des êtres au dévouement immense

Pour illustrer les liens qui se nouent entre les équipes et les parents dans ces moments très douloureux, plutôt que l’histoire de Titouan, je préfère garder en mémoire, celle d’une jeune femme qui m’a récemment raconté son parcours avec beaucoup d’émotions. Cette femme a été très choquée de la prise de parole des parents de Titouan devant les médias. Beaucoup d’autres parents ont témoigné de la même stupéfaction, mais sans doute était-ce leur façon à eux d’exprimer leur souffrance. Mais surtout, cette femme m’a confié quelque chose de bien plus important à mes yeux. Elle m’a raconté comment elle était parvenue à accepter la décision d’arrêt de fin de vie préconisée par l’équipe médicale pour son nourrisson, lorsque le responsable du service lui a confié : « Je suis pédiatre spécialisé en néonat depuis de très nombreuses années. J’aime ces enfants. La vie de votre petit Gabriel telle qu’elle va être au vu des examens réalisés n’est pas acceptable ni dans son corps, ni dans sa chaire ». Pour cette mère qui refusait de laisser partir son bébé, cette phrase « J’aime ces enfants » a été essentielle. Grâce à elle, comprenant que ces médecins ne sont ni des apprentis sorciers, ni des personnes froides ou austères, mais des êtres au dévouement absolument immense, elle a été capable d’accepter de laisser partir son enfant. Il s’agit pour moi d’un témoignage bien plus parlant de ce qui se passe dans les services de néonat face à ces situations très douloureuses.

JIM.fr : On peut donc estimer que les parents se sentent généralement assez impliqués ?

Charlotte Bouvard : Sur le coup, peut-être pas, en raison du choc terrible que cela représente. En ce qui concerne la prise en charge après la mort de l’enfant, je pense que la loi devrait obliger à un accompagnement psychologique. Pas seulement sur le moment. Or, cela dépend aujourd’hui des services. Et l’organisation n’est pas toujours optimale. Certains parents par exemple sont tout simplement privés d’un accompagnement psychologique, parce que la psychologue est en congé maternité. L’harmonisation est importante.

JIM.fr : Au-delà des questions d’accompagnement de la fin de vie, quel est votre regard sur la prise en charge de la prématurité dans notre pays ?


Charlotte Bouvard : Que va-t-il rester de cette terrible histoire ? Au-delà de l’émotion collective, va-t-on assister à une véritable prise de conscience, non seulement vis-à-vis des parents dont les enfants partent, mais plus encore à propos de ceux dont les enfants restent en vie et souffrent de handicap ? Après dix ans à la tête de l’association « SOS Préma », j’ai pu constater malheureusement que les plus fragiles ne sont pas une priorité pour les pouvoirs publics. Le dévouement, le professionnalisme et l’exception de nos équipes médicales ne masquent pas la réalité. Les moyens ne sont pas là.

Rien à manger… et le parking à payer

Nous comptons 70 antennes en France et nous organisons des collectes de fonds pour équiper les services de néonat, des collectes absolument essentielles. Car encore aujourd’hui, des mères à peine remises de leur césarienne, n’ont pas d’autres solutions pour être auprès de leur enfant que de passer nuit et jour sur des chaises en fer. Les transats et les coussins d’allaitement sont des matériels de confort que les services n’ont pas les moyens d’acheter. Autre exemple, on demande souvent à ces mères d’allaiter. Et pourtant, l’accompagnement à l’allaitement est totalement indigent. En outre, ces mères ne mangent pratiquement rien de la journée. Car rien n’est prévu. Parfois, il n’y a pas de salle de parents à proximité du service. Avec les fonds qu’on récolte, nous tentons d’aménager de telles salles. Bien sûr, les équipes sont parfaitement conscientes de ces manques de moyens. Les retours que nous avons en la matière sont effarants.

Concernant les familles, elles sont nombreuses à être plongées dans la précarité parce que cela coûte 600, 900 voire 1 000 euros par mois d’aller voir son bébé tous les jours à l’hôpital, parce qu’on habite à plusieurs dizaines de kilomètres, que l’on doit faire garder les frères et sœurs et qu’il n’existe pas de possibilités d’hébergement du type les maisons Mc Do. Parmi les frais aberrants auxquels doivent faire face par exemple ces familles, il y a le parking de l’hôpital, qui est loin d’être gratuit pour les parents ! Pourtant, on sait que la présence des parents auprès de leur enfant contribue à l’amélioration du pronostic de ces nourrissons. Qu’attend-t-on pour donner plus de moyens à ces parents, ces enfants qui sont notre avenir ?

Le je m’en foutisme des pouvoirs publics

Mais ne parlons pas uniquement de la période où l’enfant est hospitalisée en néonat. Parlons aussi de l’après. Concernant le suivi, il existe des inégalités territoriales terribles. J’ai reçu par exemple récemment le témoignage d’une mère dont la petite fille présente des séquelles de sa naissance prématurée, un type de séquelles dont l’unique spécialiste exerce à Necker. Or, cette famille habite à Montélimar. Elle n’a pas les moyens d’emmener sa fille et ne reçoit aucune solution d’aide.

D’une manière générale, on peut estimer que le suivi est bien fait auprès de la moitié des enfants à peu près. En outre, parmi les différents actes de ce suivi, plusieurs ne sont pas remboursés, telle la psychomotricité ou la kinésithérapie. Les problèmes se posent également au moment de la scolarisation des enfants, où de nombreuses familles, face aux refus des établissements d’intégrer l’enfant ou d’engager une auxiliaire de vie scolaire, sont contraintes de se tourner vers le privé. Là encore les dépenses sont énormes.

Souvent les seuls soutiens de ces familles sont les associations telles SOS Préma (nous sommes d’ailleurs la seule organisation nationale d’aide aux parents d’enfants prématurés). Or, nous fonctionnons sans aucune aide publique, alors que notre travail est reconnu par les équipes de néonat qui nous associent à leurs réflexions. Nous avons une permanence téléphonique quotidienne, avec la présence d’une psychologue, d’une puéricultrice, d'une juriste. Nous avons aidé gratuitement en 10 ans, 500 000 familles, tout cela grâce à des fonds uniquement privés. Il y a une non prise de conscience, il y a un je m’en foutisme de la toute petite enfance de la part des pouvoirs publics. Et les familles ont trop de chose à gérer pour militer. Il y a une espèce d’ignorance. D’indifférence.

 

Propos recueillis par Aurélie Haroche.

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