
Selon les recommandations du KDIGO (Kidney Disease
Improving Global Outcomes), l’insuffisance rénale aigue (IRA)
est définie par une augmentation du taux de la créatinine rapportée
à sa valeur de base et/ou par une diminution du débit urinaire (DU)
horaire ajusté au poids. Cependant, la pertinence du critère basé
sur l’oligurie est incertaine, notamment quand elle n’est que
transitoire et non associée à une hausse de la créatinémie. Autant
cette dernière est facilement mesurable en laboratoire, autant
l’appréciation d’une oligurie implique la mesure du DU horaire, la
pose d’une sonde vésicale et le recueil des urines dans un cadre
précis, habituellement à la
6e,12e et
24e heure.
Mortalité plus élevée à 3 mois avec une IRA
Selon les critères KDIGO, le diagnostic d’IRA était retenu en
cas d’élévation d’au moins une fois et demi le taux de base de la
créatinémie, sur une période de 7 jours ou d’une hausse, au
minimum, de 0,3 mg/dL sur une période de 48 heures. Trois stades
étaient définis, allant du stade I (augmentation d’au moins 0,3
mg/dL) au stade IV (hausse de plus de 4,0 mg/dL ou nécessité de
suppléance rénale). Selon le critère DU du KDIGO, l’IRA, stade I,
correspondait à un débit inférieur à 0,5 mL/kg/h en 6 heures ; le
stade II à un DU moyen de moins de 0,3 mL/kg/ h sur 12 heures et le
stade III, le plus grave, à un DU de moins de 0,3 mL/kg/h sur 12
heures ou une anurie complète. Le principal paramètre observé a été
l’incidence de la mortalité au 90e jour,
établie à partir du Registre National Suisse des Décès. Les autres
paramètres étaient la mortalité en USI, celle à l’hôpital, puis à
1, 3 et 5 ans ainsi que la durée d’hospitalisation en USI et à
l’hôpital, la nécessité de ventilation mécanique ou de suppléance
rénale. A partir d’un modèle multivariables intégrant les
caractéristiques de base, les scores de sévérité, la valeur de la
créatinémie, l’association entre DU et mortalité a été précisée.
Plusieurs analyses de sensibilité ont, en outre, été effectuées
pour confirmation des premiers résultats.
L’étude inclut 15 620 patients en état critique, 66,1 %
d’homme. Leur moyenne d’âge se situait à 65 (écart interquartile
EIQ : 53-75) ans. Le score APACHE II simplifié était à 40,0 (EIQ :
30,0- 53,0), la médiane de suivi de 67,0 (EIQ : 34,4- 100) mois ;
12 443 de l’ensemble de patients (77 %) remplissaient les critères
d’IRA. Le maximum de sévérité a été de classe I pour 3 027 (19,4
%), de classe II pour 6 329 (40,5 %) et de classe III pour 2 787
(17,8 %). Globalement, les patients en IRA ont eu une mortalité à
90 jours plus importante que ceux ne présentant pas d’IRA : 21,3
vs 8,3 % (p< 0,001). Parmi les patients souffrant d’IRA,
la mortalité à 3 mois a crû avec la sévérité, de l’ordre de 15 % en
stade I, 17 % en stade II et 37,7 % en stade III (p < 0 ,001
dans chacun des cas).
Pas forcément de concordance entre créatininémie et oligurie
Les deux critères, hausse de la créatinémie et baisse du DU
étaient présents dans 35,4 % (n = 5 524) des observations. Le seul
critère DU a été retrouvé dans 36 % (n = 5630) et le critère hausse
de la créatinémie isolément dans 6,3 % (n = 989) des cas. Un stade
identique, pour les 2 critères, a été observé chez seulement 37,5 %
des malades (n = 5854), même si l’écart entre les stades a été
généralement faible (k :0,16 ; intervalle de confiance à 95 % IC :
0,15- 0,17, p < 0,001). Par rapport au seul paramètre élévation
de la créatinémie, la prise en compte du DU a permis de classer en
IRA 5 630 malades (36,0 %).
En analyse multivariables intégrant la valeur de la
créatinémie, les comorbidités et la sévérité de l’affection, la
présence d’une diminution de stade II ou III du DU a été associée à
une mortalité plus forte au 90e jour, l’OR
se situant respectivement à 2,4 (IC : 1,6- 3,8) et à 6,2 (IC :
3,7-10,5), le p étant très significatif, < 0,001 dans les 2
situations. Toutes les analyses de sensibilité effectuées ont
confirmé les premiers résultats.
Cette large étude a donc porté sur 15 620 adultes en état
critique, admis en USI dans un hôpital tertiaire ; 77 % ont rempli,
à un moment quelconque de leur hospitalisation, les critères KDIGO
d’IRA. Dans une telle situation, la concordance a été faible entre
le critère hausse de la créatinémie et le critère baisse du DU. La
prise en compte de ce dernier a permis d’identifier des patients
(57,1 %) qui n’entraient pas dans le diagnostic d’IRA selon les
seules variations de la créatinémie. Après prise en compte du stade
d’IRA suivant la créatinémie, des comorbidités et de la sévérité de
la maladie causale, la constatation d’un stade II ou III pour le DU
a été fortement associée à la mortalité globale. Ces résultats
suggèrent que la prise en compte du critère oligurie améliore le
diagnostic, la classification et l’évaluation du pronostic d’une
IRA.
Ce travail a plusieurs points forts. Le nombre de participants
a été important. Les DU ont été mesurés de façon prospective, les
données manquantes très faibles. A l’inverse, il s’agit d’une étude
rétrospective et monocentrique. Il n’a pas été intégré la
possibilité d’une baisse de la créatinémie avec la prolongation du
séjour en USI, liée à une diminution de la masse maigre du patient.
Les DU ont été mesurés manuellement et non par enregistrement
électronique. Enfin, l’état volumique du malade, l’utilisation
possible de molécules vasoactives et/ ou de diurétiques n’ont pas
été intégrés dans l’analyse.
Dr Pierre Margent