Prendre en charge la douleur du nouveau-né

E. ZANA-TAÏEB,

Service de médecine et réanimation néonatales de Port-Royal, Paris

Chez les nouveau-nés, prématurés ou non, la prise en charge de la douleur est reconnue depuis les années 1970. Sa physiologie et son expression ont certaines particularités à cet âge, autant que sa prise en charge avec le saccharose et un métabolisme différent par rapport aux adultes et aux nourrissons.

Particularités de la douleur chez le nouveau-né

Physiologie

Les voies anatomiques de transmission de la douleur sont présentes dès 22 semaines d’aménorrhée, et le nombre de récepteurs cutanés nociceptifs est semblable à celui de l’adulte. Un stimulus douloureux induit chez les grands prématurés : une hyperalgésie primaire sur le site de la lésion, mais aussi une hyperalgésie secondaire portant sur la zone saine entourant la zone lésée, une allodynie et une diminution du seuil d’activation neuronale, et notamment du seuil de douleur (Grunau, 2013)(1).

Évaluation de la douleur

Les buts spécifiques de l’évaluation sont de décrire la douleur et les facteurs qui l’influencent, afin de juger de la nécessité d’un traitement et de son efficacité. Cependant, la douleur et le stress sont difficilement dissociables chez les nouveau-nés.

Afin d’atteindre ces objectifs, plusieurs échelles de mesures ont été développées et publiées, mais l’évaluation de la douleur reste complexe. Parmi les plus utilisées, on peut citer :

– neonatal facial coding system : NFCS (2) ;
– échelle de douleur et d’inconfort du nouveau-né : EDIN (3) ;
– premature infant pain profile : PIPP (4) ;
– échelle d’évaluation de la douleur aiguë du nouveau-né : DAN(5).

La quantification de la douleur grâce à ces outils est indispensable à l’amélioration de la prise en charge. Après avoir choisi son échelle de référence, chaque équipe doit l’utiliser dans sa pratique quotidienne.

Variabilité du ressenti

La douleur ressentie et ses manifestations varient selon des facteurs propres à l’enfant et d’autres qui lui sont extérieurs comme l’âge gestationnel, le score d’Apgar ou le poids de naissance, mais aussi le nombre de procédures douloureuses subies antérieurement, notamment dans l’heure précédant le geste douloureux. L’intervalle entre deux stimulations douloureuses, l’état de veille/sommeil, ainsi que l’environnement lumineux et sonore jouent également un rôle.

Conséquences de la douleur

À court terme, la douleur entraîne une perturbation du système neuro végétatif avec des variations du débit sanguin cérébral(1). À long terme, l’exposition répétée à la douleur a comme conséquence une modification du comportement avec une réaction anticipatrice à la douleur, et une diminution de l’activité motrice. L’épaisseur corticale, évaluée par IRM à l’âge de 7 ans est inversement corrélée au nombre de procédures douloureuses subies en période néonatales après prise en compte des facteurs confondants(6).

Prise en charge

Traitement pharmacologique

Saccharose et autres solutions sucrées

Bien que le mécanisme d’action reste inconnu à ce jour, l’utilisation du saccharose, donné deux minutes avant un geste douloureux à l’aide d’une seringue, associée à la succion d’une tétine est recommandée(9). La durée d’action est de 5 à 7 minutes. Pour les enfants incapables de téter et/ou intubés mais conscients, la goutte doit être mise directement sur la langue et la tolérance doit être évaluée.  Le saccharose est efficace pour réduire les scores de douleur, ainsi que les paramètres physiologiques (fréquence cardiaque) et comportementaux de la douleur (pourcentage moyen du temps du cri, durée totale du cri, durée du premier cri, expression du visage) chez les nouveau-nés soumis à une ponction veineuse ou au talon(8). Néanmoins, la diminution des scores composites étant de 20 % en moyenne, le saccharose peut être associé à d’autres moyens antalgiques (succion, cocooning, etc.) afin d’augmenter son efficacité.

La dose recommandée est fonction de l’âge gestationnel, sans dépasser les limites suivantes par administration :

– 0,5 ml pour les enfants âgés de 27-31 SA ;
– 1 ml pour les enfants âgés de 32-36 SA ;
– 2 ml pour les enfants > 37 SA.

Des effets indésirables mineurs (fausse route récupérant spontanément ou désaturation brève) ont été rapportés. Le saccharose doit être considéré comme un médicament, prescrit et inclus dans un protocole de prise en charge de la douleur, précisant que l’administration se fait par voie orale. De même, la dose administrée doit être précisée, ainsi que l’efficacité du traitement. L’efficacité n’a pas été évaluée pour les enfants âgés de plus de 4 mois. L’allaitement maternelest une alternative aussi efficace qu’une solution sucrée chez les nouveaunés à terme. Les données sur le prématuré sont pauvres en dehors du « late-preterm » et peu concordantes. Le lait de mère seul, administré au biberon, n’a pas d’effet analgésique.

Crème anesthésiante

À ce jour, il n’y a pas d’autorisation de mise sur le marché pour les prématurés. Cependant, plusieurs équipes ont étudié l’utilisation de la crème Emla® dans cette population et en ont montré l’innocuité, moyennant plusieurs précautions. La quantité doit être faible (de l’ordre de 0,25 g) et l’application doit être réalisée sur un site unique, de surface limitée, au maximum une fois par jour. La durée d’application est discutée et un temps plus court (30 min) est souvent proposé. Un dosage de la méthémoglobinémie doit être pratiqué en cas d’utilisation répétée.

Les données concernant l’utilisation de l’Emla® avant le BCG sont discordantes. Lors de l’application de la crème, il est important d’éviter de coller des pansements sur la peau fragile de ces enfants.

Paracétamol

Il peut être administré par voie orale chez les nouveau-nés les plus matures ou par voie intraveineuse. La dose actuellement recommandée est de 7,5 mg/kg/6 h per os ou IV, soit 30 mg/kg/j chez les moins de 10 kg (ANSM, 2011). Ce traitement est efficace pour le traitement de la douleur continue, légère ou modérée. Son efficacité pour les douleurs ponctuelles aiguës n’a pas été démontrée.  Administré en post-opératoire avec la morphine, le paracétamol permet de diminuer la dose de morphine de 66 % sur les 48 heures(9). Il est inefficace pour sou lager les douleurs procédurales aiguës, telles que les ponctions au talon ou la circoncision. 

Morphine et dérivés

Chez le prématuré et le nouveauné, le métabolisme et la pharmacocinétique sont particuliers car la clairance d’élimination plasmatique est effondrée, ce qui conduit à l’augmentation de la demi-vie d’élimination (6,5 à 14 heures). Les doses initiales recommandées pour les nouveau-nés gravement malades ou ayant subi une intervention chirurgicale sont de 100 à 150 µg/kg en doses intermittentes toutes les 4 à 6 heures, perfusées sur 30 à 60 minutes ou 10 à 50 µg/kg/h en perfusion continue. Cependant, à ces doses, des hypotensions ont été rapportées.  Son efficacité pour les douleurs ponctuelles aiguës n’a pas été démontrée.  Le devenir à 8-9 ans des enfants ayant reçu de la morphine en période néonatale est rassurant, selon l’étude NEOPAIN. On observe même une tendance à l’amélioration des taches exécutives dans le groupe morphine (10). Le fentanyl, 50 à 100 fois plus puissant que la morphine, peut également être utilisé. Il a comme avantage de permettre une stabilité hémodynamique. Administré à 1 µg/kg/h ou à des doses uniques de 3 µg/kg, il réduit les scores de douleur, les désaturations et les réponses neuro-endocriniennes de stress. Le sufentanil est 5 à 10 fois plus puissant que le fentanyl, avec un début d’action plus rapide et une durée d’action plus courte. Pour la sédation-analgésie, la dose recommandée initiale est de 0,2 µg/kg en dose de charge, puis 0,05 µg/kg/h en perfusion continue.

Non pharmacologique 

Les stratégies environnementales et comportementales peuvent réduire la douleur néonatale en bloquant la transduction ou la transmission nociceptive, ou en activant les voies descendantes modulatrices. L’intégration de ces stratégies dans la prise en charge de la douleur est un complément nécessaire aux moyens pharmacologiques.

Recommandations pour la pratique

Le meilleur antalgique est l’abstention de stimulation douloureuse, ainsi l’utilité de chaque examen réalisé doit être remise en question. Le regroupement de procédures douloureuses est nécessaire, et une période de repos doit être aménagée après le geste. Les manipulations doivent être limitées avant une stimulation douloureuse et la position regroupée doit être maintenue d’un bout à l’autre de la procédure et poursuivie après pour faciliter le retour à l’état de base.

Des protocoles de prise en charge des situations à risque de provoquer des phénomènes douloureux doivent être rédigés dans chaque service(11). En plus de ces moyens pharmacologiques et non pharmacologiques, il faut également insister sur l’importance de l’information et de la présence parentale, car le contact verbal et/ou physique avec un parent pendant le soin est un élément très important de réassurance de l’enfant, même prématuré.

Références

1. Grunau RE. Neonatal pain in very preterm infants: long-term effects on brain, neurodevelopment and pain reactivity. Rambam Maimonides Med J 2013 ; 4(4) : e0025.
2. Grunau RE et al. Bedside application of the Neonatal Facial Coding System in pain assessment of premature neonates. Pain 1998 ; 76(3) : 277-86.
3.Debillon T et al. Development and initial validation of the EDIN scale, a new tool for assessing prolonged pain in preterm infants. Arch Dis Child Fetal Neonatal Ed 2001 ; 85(1) : F36-41.
4. Stevens B et al. Premature infant pain profile: development and initial validation. Clin J Pain 1996 ; 12(1) : 13-22.
5. Carbajal R et al. Randomised trial of analgesic effects of sucrose, glucose, and pacifiers in term neonates. BMJ 1999 ; 319(7222) : 1393-7.
6. Ranger M et al. Neonatal pain-related stress predicts cortical thickness at age 7 years in children born very preterm. PLoS One 2013 ; 8(10) : e76702.
7. Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Prise en charge médicamenteuse de la douleur aiguë et chronique chez l’enfant. Juin 2009.
8. Stevens B et al. Sucrose for analgesia in newborn infants undergoing painful procedures. Cochrane Database Syst Rev 2013 ; 1 : CD001069.
9.Ceelie I et al. Effect of intravenous paracetamol on postoperative morphine requirements in neonates and infants undergoing major noncardiac surgery: a randomized controlled trial. JAMA 2013 ; 309(2) : 149-54.
10. de Graaf J et al. Does neonatal morphine use affect neuropsychological outcomes at 8 to 9 years of age? Pain 2013 ; 154(3) : 449-58. 11. Carbajal R. Pain in neonates: pharmacological treatment. Arch Pediatr 2006 ; 13(2) : 211-24.

Copyright © Len medical, Pediatrie pratique, novembre 2014

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