En matière de prévention des affections psychiatriques, l’une des principales difficultés consiste à pressentir les prémices d’une problématique ultérieure plus grave, dans un cadre clinique d’apparence (actuelle) encore discrète. Application exemplaire de ce phénomène dans une étude américaine portant sur 550 sujets diagnostiqués avec « dépression sévère » (major depression) et suivis pendant 1 à 31 ans [1] dans cinq grandes villes des États-Unis (Boston, Chicago, Iowa City, New York et St Louis). Cette étude longitudinale a évalué l’éventuelle portée prédictive d’une symptomatologie maniaque « infraliminaire » (subthreshold), autrement dit une exaltation thymique modérée ou hypomanie, pour annoncer une évolution péjorative vers un trouble de l’humeur plus important.
On observe effectivement un tel processus, « avec une probabilité cumulée d’un cas sur quatre » (entraînant même parfois la révision du diagnostic initial vers celui de trouble bipolaire). Les éléments prédisant ce virage vers un trouble bipolaire plus marqué sont notamment la présence de traits psychotiques, l’ancienneté de la maladie et le nombre de symptômes hypomaniaques : diminution du besoin de sommeil, énergie exceptionnellement débordante » (unusually high energy), augmentation de l’activité orientée vers un but (différence avec l’agitation où l’exaltation est plus confuse et chaotique)… Même de faible intensité, ces symptômes d’ordre hypomaniaque se révèlent « fréquemment associés avec une évolution ultérieure vers un trouble bipolaire », bien que la majorité des patients concernés ne relèvent pas du diagnostic d’hypomanie en temps ordinaire.
Pour les auteurs, cette possibilité d’un basculement d’un type
de trouble thymique à l’autre est donc un argument supplémentaire
justifiant un suivi prolongé des patients dépressifs.
[1] En moyenne 17,5 ans et avec une durée médiane de 19,9 ans.
Dr Alain Cohen