
Paris, le jeudi 24 mars 2016 – La prévention des conflits d’intérêts chez les experts sanitaires est depuis plusieurs années une préoccupation présentée comme majeure par les pouvoirs publics. L’affaire du Mediator a en effet fonctionné comme un électrochoc, tandis que de plus en plus les citoyens ont exprimé leur souhait d’une plus grande transparence dans la présentation des décisions intéressant leur santé. La loi du 29 décembre 2011 se voulait une réponse à ces attentes. De fait, elle a généralisé les obligations de déclaration d’intérêts, elle a accru la transparence dans les décisions des institutions sanitaires en préconisant notamment l’enregistrement de leurs débats et elle a par ailleurs imposé que les avantages concédés par les industriels au monde de la santé soient publiquement révélés.
Cependant, on le sait, l’application de la "loi Bertrand" ne s’est pas faite sans heurt. Dans un rapport rendu public hier, la Cour des comptes revient sur les difficultés rencontrées et dresse un bilan encore mitigé de la lutte contre les conflits d’intérêts dans le champ sanitaire.
Les magistrats de la rue Cambon relèvent ainsi que la loi a été sujette à différentes interprétations, qui ont modifié son application, parfois, à leurs yeux, de manière non justifiée. Il faut dire que les agences ont pu parfois être déroutées par des injonctions contradictoires. La Cour cite ainsi le cas du Comité économique des produits de santé (CEPS). Visé par la loi, un décret du 9 mai 2012 confirme qu’il doit être inclus dans son champ… alors qu’un arrêté publié quelques mois plus tard l’en exclut, tandis que le régime particulier antérieur dont bénéficie le CEPS n’est pas abrogé ! D’une manière générale, la loi est demeurée trop imprécise sur de nombreux points, signale le rapport.
Un site prévu dans un décret de 2012...toujours pas ouvert
La Cour pointe également une certaine lenteur d’action de la part des pouvoirs publics. « La rationalisation de la gestion du dispositif a été freinée par les atermoiements des décisions relatives à l’ouverture du site unique ministériel à recueillir l’ensemble des déclarations d’intérêts. Plus de quatre ans après l’intervention de la loi, le site unique n’existe toujours pas, bien qu’il ait été prévu par le décret du 9 mai 2012 » relève ainsi le rapport. En outre, les magistrats ne se montrent pas parfaitement convaincus par les contraintes évoquées par plusieurs agences quant à la difficulté de recruter des experts sanitaires compétents dénués de liens d’intérêt. Cette « pénurie », relèvent les magistrats de la rue Cambon n’est « jamais documentée ». Enfin, la Rue Cambon regrette le défaut de contrôle. Si la loi de 2011 avait prévu la création d’une commission éthique chargée de vérifier la véracité des déclarations, « le décret en Conseil d’Etat n’a jamais été pris » déplore la rue Cambon.
Le CEPS en ligne de mire
Conséquence de ces écueils, les enquêtes réalisées par la Cour des Comptes auprès de la Haute autorité de Santé (HAS), de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANS), du Comité Economique des produits de santé (CEPS), de l’Institut national du cancer (INCA) et de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) n’offrent pas des résultats pleinement satisfaisants, bien qu’ils ne puissent être considérés comme catastrophiques. Ainsi, la Cour des Comptes indique avoir repéré un taux d’anomalies atteignant 22 % quant à la gestion par les agences des déclarations d’intérêts ; un taux qui dépasse les 40 % pour l’ONIAM et le CEPS. D’une manière générale, le CEPS semble connaître les difficultés les plus marquées pour appliquer les nouvelles règles. A contrario, au sein de l’ANSM, de l’INCA et de la HAS, « l’analyse des liens d’intérêts » est réalisée « dans des conditions de traçabilité satisfaisantes » remarque la Cour des Comptes.
Plus de contrôle et plus de précisions
Forts de ses observations, les magistrats ont formulé une série de recommandations. Ils invitent par exemple à « rendre obligatoire sur le formulaire de déclaration d’intérêts la mention du numéro du répertoire partagé des professionnels de santé (RPPS) afin de faciliter le croisement des données avec le site Transparence santé ». Concernant le contrôle de la véracité des déclarations, la Cour propose de confier cette mission à la Haute autorité de santé. Enfin, concernant la nécessité de pouvoir disposer d’experts compétents, les magistrats se contentent de préconiser qu’une réflexion soit engagée « afin de valoriser l’expertise sanitaire dans la carrière des enseignants-chercheurs et praticiens hospitaliers ».
Aurélie Haroche