
R. LAUGIER, N. TUVIGNON, A. LAQUIERE,
Hôpital de la Timone, Marseille
Les endoprothèses ont été développées tout d’abord pour l’œsophage : il s’agissait de prothèses inexpansibles en plastique dont la difficulté de pose (et les risques) venaient de la nécessité de dilater préalablement la sténose jusqu’à un diamètre au moins égal à celui de la prothèse à larguer. Mais les rapides progrès de la méthode ont permis de l’appliquer à d’autres organes : voie biliaire, intestin grêle ou duodénum, puis rectum et côlon. es prothèses métalliques auto-expansibles qui ont été mises à notre disposition ont comme intérêt majeur de pouvoir être contraintes dans un cathéter de largage de faible diamètre et de reprendre leur taille initiale (jusqu’à 32 mm) après largage. Certaines sont contenues dans des cathéters posés sur un fil guide, d’autres peuvent passer directement à travers le canal opérateur de l’endoscope.
Matériel disponible pour le côlon
Prothèses métalliques auto-expansives
Deux types de prothèses existent : les prothèses sur cathéters
porteurs qui sont libérées sur un fil guide en dehors de
l’endoscope (qui sont couvertes) et celles dont le cathéter est
suffisamment fin pour passer à travers le canal opérateur (TTS,
through the scope).
Deux grands systèmes de contention et donc de largage existent sur
le marché pour les prothèses sur fil guide et cathéter porteur en
dehors de l’endoscope : la contention par « tricotage » et celle
par une gaine externe.
Contention par « tricotage »
La première, développée par la firme Boston Scientific,
correspond aux prothèses rectales de type « Ultraflex precisionTM »
déclinées en de nombreuses tailles et longueurs (figure 1).
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Figure 1. |
Les prothèses rectales ne sont pas couvertes, le maillage en Nitinol étant nu, ce qui est encore le cas pour les prothèses « Colonic WallflexTM » qui se posent à travers le canal opérateur de l’endoscope. Le cathéter porteur des « Ultraflex precisionTM » ne mesure que 8 mm de diamètre maximum au niveau de l’olive distale, le reste de la prothèse étant de diamètre encore plus fin, mais rugueux, du fait des mailles de tricotage du système de contention. L’ensemble présente une assez grande souplesse, ce qui en facilite la pose. Les diamètres disponibles varient de 16 à 23 mm de fût (collerette de 23 à 28 mm) et les longueurs de 9 à 15 cm. Ces prothèses sont faites en nitinol, métal à mémoire qui tire sa force d’expansion, non pas de sa morphologie, mais de la nature même du métal. Celui-ci tend à reprendre sa forme, et donc son diamètre, à la température du corps humain. Cette expansion est douce et la prothèse a une plus grande souplesse, ce qui lui permet de mieux conserver le péristaltisme intestinal résiduel. Le cathéter porteur est introduit sur un fil guide, après que la sténose a été franchie par un endoscope. Les plus petits endoscopes doivent être utilisés de préférence, soit un pédiatrique, soit éventuellement un naso-gastroscope. Le passage d’un endoscope permet de baliser l’extrémité supérieure de la sténose à « prothéser » : les repères pourront être des aiguilles intraveineuses posées sous scopie, sur la paroi pelvienne du patient ou, de façon plus sophistiquée, des clips endoscopiques, ou une injection de lipiodol. Le pôle inférieur est directement repéré sous contrôle visuel, l’endoscope étant réintroduit dans le rectum à côté du fil guide. Le largage lui-même se fait par « détricotage » du système de contention par le pôle inférieur.
Le passage d’un endoscope
permet de baliser
l’extrémité supérieure de la sténose à « prothéser ».
L’inconvénient majeur de ces prothèses est de subir un phénomène de raccourcissement au moment du largage et de diminuer la précision de hauteur de pose, qui doit être suivie sous double contrôle, visuel et radioscopique.
Autres prothèses
Les autres prothèses disponibles sur fil guide et cathéter
porteur ont en commun d’être contraintes par une gaine externe :
leur libération se fait par retrait de cette gaine et ne se conçoit
donc que par l’extrémité distale, supérieure. Certaines sont en
acier et tirent leur force d’expansion de la conception de leurs
anneaux : la « Z stentTM » de Cook en est un exemple. La taille et
la rigidité du cathéter porteur sont un peu plus importantes.
Son déploiement se fait de manière assez forte, ce qui doit inciter
à une certaine délicatesse de manipulation ! L’avantage de ces
prothèses est de ne pas subir de raccourcissement au largage, ce
qui en simplifie la précision de hauteur de pose. Elles ont
également une bien meilleure radio-opacité, ce qui
facilite le suivi radiologique au moment du largage.
La firme Life-Partners propose toute une gamme de prothèses en
nitinol sur cathéter porteur. Ces prothèses sont non couvertes ou
entièrement couvertes, y compris la zone porteuse des fils de
mobilisation. La forme de la prothèse qui possède un épaulement
assez marqué à chaque extrémité permet d’éviter la migration.
La société coréenne Taewoong propose également des prothèses en
nitinol couvertes, sur cathéter porteur, ou non couvertes à travers
l’endoscope (« Niti-S® »), en fait analogues à celles de la société
« Life-Partners » quant à leur morphologie, mais avec des
épaulements moins marqués.
Les autres prothèses TTS se posent sur un fil guide également, mais sans que la sténose n’ait été nécessairement franchie par l’endoscope : seul le fil guide doit franchir l’obstacle ce qui simplifie le geste et le rend plus sûr ! L’extrémité proximale est repérée par l’injection d’un peu de liquide de contraste en amont de la sténose, l’extrémité distale étant contrôlée directement par la vue. La prothèse la plus utilisée depuis des années est la prothèse « Enteral wallstent® » faite en alliage d’acier. Elle a comme avantage, en plus de passer par le canal opérateur, d’être souple, radio-opaque et recapturable sur les trois quarts de sa longueur, ce qui permet de reprendre une procédure au cours de laquelle la prothèse aurait été larguée trop bas : la recapture permet de repositionner correctement la prothèse et de refaire un second largage. Le même principe est repris dans les prothèses « Colonic wallflex® » qui sont faites en nitinol avec des extrémités ourlées atraumatiques.
Les prothèses plastiques auto-expansives
La firme Rüsch a été la seule à développer une prothèse dont le
système de contention par gaine externe délivre une prothèse faite,
non pas en métal, mais en plastique (du polypropylène). Elle est
commercialisée sous le nom de « Polyflex® ». Le cathéter porteur
est plus rigide et plus large que ceux des prothèses métalliques
(11 ou 14 mm) et leur force d’expansion radiale plus faible, mais
leur surface externe est totalement couverte !
La face interne est lisse, permettant un bon écoulement des selles,
la face externe est finement quadrillée et donc discrètement
rugueuse pour faciliter l’amarrage. Ses extrémités ne sont que peu
préformées : la supérieure est discrètement évasée, l’inférieure
est le prolongement simple du cylindre du fût de la prothèse. Ces
caractéristiques leur procurent un risque moindre d’impaction dans
la muqueuse. Cette prothèse se décline en taille allant de 16 à 21
mm de diamètre et 9 à 15 cm de longueur. Il est à noter que la
firme Boston Scientific, qui distribue maintenant ces Polyflex®,
insiste sur le fait que ces prothèses n’ont pas l’autorisation de
mise sur le marché pour l’indication colique et que cette dernière
doit donc se faire sous notre entière responsabilité ! Pour poser
ces prothèses, il faut franchir la sténose, la dilater pour que le
cathéter porteur puisse passer et que le tout soit suffisamment
aligné pour que le cathéter rigide puisse monter à travers elle ;
ces conditions ne sont pas remplies pour des sténoses rectales ou
sigmoïdiennes basses (figures 2a-d).
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Figure 2. a. Récidive d’une sténose
après chirurgie d’une nappe villeuse du bas rectum. |
Indications et résultats
Les premières prothèses qui furent posées au niveau du rectum
étaient des prothèses œsophagiennes sur fil guide.
Par la suite, des prothèses spécifiquement dévolues au rectum et au
côlon ont été développées. De très nombreuses publications leur ont
été consacrées ; la première grande revue générale est celle de
Harris et coll. Elle porte sur plus de 320 patients et a permis de
clarifier les deux principales indications.
L’occlusion colique
La première indication est l’occlusion colique en urgence sur
obstacle tumoral. Une colostomie de décharge en urgence était le
traitement classique avec une reprise chirurgicale pour effectuer
secondairement la colectomie. Cette attitude est grevée d’une
mortalité et d’une morbidité qui sont extrêmement élevées dans ces
conditions d’urgence. À l’opposé, une prothèse métallique permet de
lever l’obstacle en semi-urgence, afin d’effectuer le bilan
d’opérabilité rapidement, suivi de la chirurgie réglée (en
l’absence de contre-indications chirurgicales ou oncologiques), une
semaine plus tard.
Cette indication de prothèse transitoire représente un peu plus
d’un tiers des indications totales (118 sur 322).
Les deux tiers restants (204 sur 322) concernent des patients pour lesquels le traitement chirurgical n’est pas souhaitable (extension trop grande au premier bilan, contre-indication chirurgicale, ou patient en fin de vie après échec de toutes les autres thérapies). Ces prothèses sont donc palliatives définitives.
Complications
Les principales complications sont la mauvaise position lors de
la mise en place ou une migration précoce (6,8 %), la perforation
(3,1 %),
l’hémorragie (0,3 %). Les complications secondaires, comme toutes
les prothèses, incluent la récidive sténosante par obstruction
stercorale ou, plus souvent par croissance tumorale à travers les
mailles de la prothèse (3,7 %).
Les principales
complications sont la mauvaise position lors de la mise en
place
ou une migration précoce (6,8 %), la perforation (3,1 %),
l’hémorragie (0,3 %).
Dans notre expérience, la perforation n’est intervenue qu’à deux reprises, et dans les deux cas, la sténose était due à une carcinose péritonéale localisée secondaire à un cancer gynécologique récidivant. Ni perforations, ni malpositions, ni hémorragies n’ont été observées dans notre cohorte de patients présentant un cancer colique primitif. Au total, 4,7 % des malades ont à subir une deuxième pose de prothèse, tandis que 4,1 % seulement ont finalement besoin de la chirurgie. Pour éviter, ou tout au moins retarder, l’obstruction secondaire stercorale, il faut insister sur la nécessité d’un régime riche en fibres, associé à des mucilages pour assurer des selles assez souples, si possible. Les indications de ces prothèses, en fin de vie expliquent que la survie moyenne se situe aux alentours de 2-3 mois.
Pour éviter ou retarder
l’obstruction secondaire stercorale, il faut insister sur la
nécessité
d’un régime riche en fibres, associé à des mucilages pour assurer
des selles assez souples.
Les résultats pour les sténoses recto-coliques bénignes
Comme pour les sténoses de l’œsophage, la voie a été défrichée
en 1997 dans des indications de sténoses bénignes par une prothèse
perdue, laissée en place définitivement. Cela a été efficace sur la
sténose, mais au prix de plusieurs impactions de selles dans la
prothèse au cours des mois suivants.
Un an plus tard, Davidson et coll. rapportaient un cas de
désobstruction préopératoire du côlon par une prothèse métallique,
évitant ainsi une colostomie de nécessité, en urgence, pour une
sigmoïdite diverticulaire aiguë. La prothèse était enlevée au cours
de la chirurgie réglée quelques semaines plus tard : l’attitude
reproduit celle adoptée pour les cancers coliques responsables
d’une occlusion, pour éviter la colostomie en urgence, sans changer
la prise en charge secondaire.
Puis s’est développé le concept de dilatation plus prolongée que
celle obtenue par la dilatation au ballonnet, mais transitoire
également.
Depuis lors, quelques cas isolés ont été publiés, de
traitement par des prothèses métalliques totalement couvertes,
laissées en place de quelques semaines à 2 mois et dont, le plus
souvent, la migration spontanée était considérée comme un signe de
dilatation efficace ! La durée de calibrage de 2 mois est
totalement arbitraire, mais semble être un compromis entre une
durée suffisante pour une bonne efficacité et un temps pas trop
long pour éviter le développement de la prolifération inflammatoire
aux extrémités, qui pourrait compromettre le retrait de la
prothèse. Les deux seules séries disponibles regroupent 10 et 6
patients.
Dans la première série, 2 cas de sigmoïdite diverticulaire ont été
traités secondairement par chirurgie ; 2 fistules sur 4 se sont
fermées tandis que, chez 2 autres patients, une complication
infectieuse a imposé la chirurgie en urgence. Parmi les 4 cas de
sténoses anastomotiques, 3 ont pu guérir durablement.
La seconde série a porté sur 6 cas de sténoses postopératoires : 2
migrations précoces ont été observées, tandis que les autres
patients ont été traités avec succès.
Les prothèses de type « Polyflex® » ont aussi été utilisées dans le
rectum et le côlon, en cas de sténose anastomotique, à condition
que la rigidité et la taille du cathéter porteur en laissent la
possibilité ! Deux patients ont ainsi été traités dans le service
avec des résultats corrects après 6 jours et 3 semaines de présence
des prothèses et un recul de plusieurs années, sans récidive.
Conclusion
Les prothèses auto-expansives métalliques ont complètement
changé la prise en charge des patients ayant un cancer colo-rectal
: en urgence, le geste le plus sûr pour le patient devient la pose
d’une prothèse plutôt que la colostomie en urgence. Cette prothèse
va libérer le côlon, permettre la reprise du transit intestinal et
la réalisation d’un bilan d’opérabilité. Soit une colectomie est
indiquée et elle sera faite quelques jours plus tard dans de bonnes
conditions, soit elle s’avère contre-indiquée, la prothèse devenant
définitive et palliative.
En dehors de l’urgence, en cas de cancer d’emblée inopérable (pour
de multiples raisons : extension importante extracolique,
contre-
indication opératoire) ou après échec de toutes les thérapeutiques
précédentes (et donc en fin de vie), la prothèse permet d’éviter
une
chirurgie d’autant plus lourde qu’elle s’adresse à des patients par
définition extrêmement fatigués. La mortalité et la morbidité
immédiates sont très faibles et les complications beaucoup moins
sévères que la chirurgie.
Pour ce qui concerne les sténoses bénignes, ces prothèses ont
probablement un rôle à jouer, mais le manque de données ne permet
pas, à l’heure actuelle, de préciser réellement les possibles
indications. La plus grande prudence reste encore de mise, même si
de grands espoirs sont mis dans ces nouvelles techniques
!
Pour en savoir plus
• Harris G, Senagore A, Lavery I et al. The management of
neoplastic colorectal obstruction with colonic endoluminal stenting
devices.
Am J Surg 2001 ; 181 : 499-506.
• Davidson R, Sweeney W. Endoluminal stenting for benign colonic
obstruction. Surg Endosc 1998 ; 12 : 353-4.
• Suzuki N, Saunders P, Thomas-Gibson S et al. Colorectal stenting
for malignant and benign disease: outcomes in colorestal
stenting.
Dis Colon Rectum 2004 ; 47 : 1201-07.