
Pour comprendre la mésaventure subie par le géant de
l’industrie pharmaceutique, il faut remonter au 28 octobre dernier,
lorsque le fantasque milliardaire Elon Musk rachète le réseau
social Twitter pour la somme quelque peu mirobolante de 44
milliards de dollars. Parmi les nouvelles idées pas toujours
heureuses de l’homme d’affaire pour faire s’envoler l’oiseau bleu,
on compte notamment la mise en place de la certification payante.
Désormais, tout utilisateur peut faire certifier son compte Twitter
comme étant « authentique » (sic) en payant 8 dollars.
Le problème étant qu’aucune autre preuve que le paiement n’est
demandée en vue d’obtenir la certification. Pour cette faible
somme, n’importe qui peut donc se faire passer pour Emmanuel
Macron, Joe Biden, Lady Gaga…ou une grande firme
pharmaceutique.
Faux compte et vrai panique boursière
C’est le tour que s’est amusé à jouer un internaute américain.
Pour 8 dollars seulement donc, il a pu créer un compte Twitter
appelé @EliLillyandCo. Désormais certifié comme compte officiel de
la compagnie pharmaceutique américaine, il a annoncé le 10 novembre
dernier dans un simple tweet que la société était « heureuse
d’annoncer que l’insuline était désormais gratuite ».
Un vrai soulagement pour les millions de diabétiques
américains, qui doivent payer parfois 1 000 dollars par mois pour
se fournir en insuline. Le prix des médicaments n’est en effet pas
régulé aux Etats-Unis et les compagnies pharmaceutiques comme Eli
Lily and Company peuvent facturer jusqu’à 100 dollars par dose
d’insuline, contre environ 9 euros en France.
La vraie fausse annonce du faux vrai compte a immédiatement
provoqué une chute du cours de l’action Eli Lily, qui aurait perdu
(virtuellement) 16 milliards de dollars en quelques heures
seulement. La société a très rapidement repris la main en
annonçant, via son véritable compte @LillyPad cette fois, qu’elle
« s’excusait auprès des personnes qui ont reçu un message de
désinformation émanant d’un faux compte ».
Le compte dont avait émané le premier tweet a depuis perdu sa
certification et Elon Musk a suspendu le dispositif de
certification payante. Par ricochet, les actions d’autres sociétés
pharmaceutiques commercialisant de l’insuline, comme le danois Novo
Nordisk ou le français Sanofi, ont également perdu de la
valeur.
Un brevet vendu pour 1 dollar symbolique
La polémique aura au moins eu le mérite de relancer les débats
sur les prix des médicaments aux Etats-Unis et l’absence de
couverture médicale universelle dans ce pays. En réponse au tweet
d’excuse du véritable compte d’Eli Lily, de nombreux internautes
ont répondu que, plutôt que de s’excuser pour la diffusion d’une
information erronée, cette société devrait cesser de vendre à des
prix exorbitants des médicaments vitaux.
« Eli Lilly devrait s’excuser d’avoir fait augmenter le
prix de l’insuline de 1 200 % depuis 1996 et de vendre 275 dollars
ce qui ne coute que 10 dollars à fabriquer » a ainsi réagi le
sénateur démocrate Bernie Sanders, qui milite depuis plusieurs
années pour la mise en place aux Etats-Unis d’un système
d’assurance santé à l’européenne. L’élu a rappelé que Frederick
Banting et John Macleod, les deux scientifiques qui ont réussi la
première extraction de l’insuline en 1921, ont vendu leur brevet
pour 1 dollar symbolique, « pour sauver des vies et non pas pour
rendre le PDG d’Eli Lilly honteusement riche ».
On savait qu’un battement d’aile de papillon pouvait provoquer
une tornade à l’autre bout du monde, on sait désormais qu’un
gazouillis d’oiseau (« twitter » en anglais) peut faire trembler
l’industrie pharmaceutique.
Quentin Haroche