Quel rôle pour la cigarette électronique dans le sevrage tabagique aujourd’hui ? [ITW]

De nombreuses études et enquêtes signalent combien la cigarette électronique s’est imposée ces dernières années comme un outil dans le sevrage tabagique. S’il est difficile d’attribuer le sevrage à un élément unique, de nombreux observateurs considèrent néanmoins que la cigarette électronique a contribué à la régression du tabagisme que l’on constate dans de nombreux pays et depuis plus récemment en France.

Cependant, une "épidémie" d’atteintes pulmonaires sévères et dans certains cas fatales (selon le bilan du 12 octobre 2019 : 1299 cas et 26 décès), observée aux Etats-Unis depuis le début du mois de juin 2019 paraît avoir un impact sur la perception de la cigarette électronique par les Français. D’après les données du Baromètre de Santé publique France, la proportion de Français considérant que vapoter est aussi, voire plus dangereux que fumer, a progressé de 8 points entre 2014 et 2017 (passant de 43 % à 51 %) (1).

Alors que la nouvelle édition du Mois sans tabac débute dans ce contexte, les interrogations seront nombreuses sur le rôle que peut et doit encore jouer la cigarette électronique. Nous faisons le point aujourd’hui avec le docteur Anne-Laurence Le Faou, présidente de la Société francophone de tabacologie.

JIM.fr : Combien de Français seraient parvenus à arrêter de fumer et/ou à diminuer leur consommation de tabac grâce à la cigarette électronique ?

Dr Anne-Laurence Le Faou - Les données du Baromètre de Santé Publique France (SPF) permettent d’approcher l’utilisation de la cigarette électronique de plusieurs façons. On note une baisse de 1,6 millions de fumeurs entre 2016 et 2018 et à cet égard, on sait que de nombreux facteurs tant collectifs (hausse des prix, Mois sans tabac…) qu’individuels (âge, sexe, revenus, activité professionnelle…) interviennent dans l’arrêt du tabac. On sait aussi qu’en 2018, 25 % des fumeurs quotidiens avaient fait une tentative d’arrêt d’au moins une semaine au cours de la dernière année, que 34,7 % des 18-75 ans avaient déjà essayé la cigarette électronique, que 5,3 % l’utilisaient lors de l’enquête téléphonique du Baromètre et que 3,8 % en faisaient un usage quotidien. Ces trois indicateurs d’utilisation ont augmenté depuis 2017, témoignant d’un impact populationnel de l’utilisation de la cigarette électronique. Elle est donc intervenue dans un certain nombre d’arrêts d’où son intérêt en termes de santé publique.

Ainsi, sur les 380 000 tentatives d’arrêt du tabac d’au moins 24 heures liées à l’édition 2016 de Mois sans tabac, deux tiers des personnes ont utilisé une aide extérieure et parmi ces aides, la cigarette électronique arrive en premier, représentant 33 %  des supports employés. Parallèlement, de récentes estimations de SPF considèrent que jusqu’à 700 000 personnes auraient arrêté de fumer grâce à la cigarette électronique.

On observera encore, que toujours selon les données de SPF, les vapoteurs quotidiens étaient 40,7 % à fumer du tabac chaque jour et 10,4 % occasionnellement en 2018.

La nécessité de l’arrêt du tabac est un message essentiel

Face à de telles données, le message essentiel est que les médecins doivent pousser par tous les moyens possibles leurs patients à un arrêt complet de leur consommation de tabac fumé. Si la cigarette électronique a été choisie par leur patient, mais que l’arrêt n’est pas complet, il est important de proposer d’autres aides : patchs nicotiniques, formes nicotiniques à absorption buccale, varénicline, tous produits remboursés, de façon à obtenir un arrêt complet du tabac, seul moyen de réduire les risques. La cigarette électronique avec liquide nicotinique est un bon substitut oral mais parfois elle ne peut suffire à faire arrêter de fumer.

Des éléments en faveur d’une plus grande efficacité de la cigarette électronique par rapport aux substituts classiques

JIM.fr : L’utilisation de la cigarette électronique par rapport aux autres méthodes classiques (patch, gommes à mâcher…) est-t-elle plus ou moins efficace pour arrêter de fumer ?

Dr Anne-Laurence Le Faou - En 2019, un essai randomisé britannique (Hayek et al.) a comparé l’utilisation de la cigarette électronique pour l’arrêt du tabac au patch nicotinique (avec formes nicotiniques buccales si nécessaire). Le taux de sevrage à un an était de 18 % avec la cigarette électronique comparé à 9,9 % en cas d’utilisation des substituts nicotiniques, soit une différence significative en faveur de l’utilisation de la cigarette électronique. On observait à un an que 80 % des personnes tirées au sort pour l’utilisation de la cigarette électronique l’utilisaient encore quand dans le groupe substitution nicotinique, ils n’étaient que 9 %, montrant ainsi que les participants, soit appréciaient leur cigarette électronique, soit en avaient besoin pour ne pas rechuter, soit les deux. Ainsi, tous les éléments sont importants à prendre en considération, notamment l’acceptabilité d’un outil de sevrage par le fumeur, ce qui en soi, comme indiqué par les statistiques mentionnées plus haut, n’est déjà pas évident.

JIM.fr : Quelle doit être l’attitude d’un professionnel de santé face à un patient ayant recours à la cigarette électronique pour arrêter de fumer, d’une manière générale et au regard des récents événements aux USA ?

Dr Anne-Laurence Le Faou - Le professionnel de santé doit faire en sorte que le fumeur poursuive sa tentative d’arrêt. Avec toujours le même message, aller vers l’arrêt complet du tabac en utilisant toutes les méthodes disponibles.

Aux Etats-Unis, les Centers for Disease control indiquent clairement à la population de ne pas reprendre le tabac et de ne pas se procurer de produits de la vape par des amis, de la famille et plus encore de ne pas l’acheter dans la rue ou de modifier les liquides achetés dans un circuit formel. 

JIM.fr : Quelle est votre appréciation de la situation américaine actuelle (investigations autour de plus de mille cas d’affections pulmonaires sévères, dont 26 fatales) ?

Dr Anne-Laurence Le Faou : Aux Etats-Unis, un suivi épidémiologique de syndromes cliniques associant signes respiratoires, gastro-intestinaux et généraux à des images radiologiques hétérogènes a été initié chez plus de 1000 patients. Un dénominateur commun a été identifié : l’utilisation de la cigarette électronique. Plus de 80 % des patients ont déclaré avoir consommé des produits de vape contenant des extraits de cannabis et 13 % des liquides nicotiniques exclusivement. Le pourcentage de personnes atteintes de ces symptômes regroupés sous le terme EVALI (pour E-cigarette, or Vaping, product use Associated Lung Injury) et utilisant exclusivement de la nicotine décroît au fil de la publication des statistiques, semblant indiquer que le THC joue un rôle prédominant.  

Aucune substance chimique en particulier n’a été identifiée.  Des hypothèses concernant une implication de la vitamine E acide sont aussi formulées.

Avec plus de 1000 cas et 26 décès, dont 80 % concernent des personnes de moins de 35 ans (et un décès chez un mineur) les consignes sont simples : ne pas acheter de produits hors norme AFNOR et ne pas mélanger différents liquides (nous le voyons très souvent en pratique).

Pneumopathies liées à la cigarette électronique : pas d’inquiétude en France, mais une vigilance indispensable

JIM.fr - Quelles différences y a-t-il avec la situation française ?

Dr Anne-Laurence Le Faou - Nous ne sommes pour le moment pas très inquiets. Cependant, il faut toujours se dire que bien que les Etats-Unis soient un pays particulier, certains comportements nous arrivent, parfois avec retard.
On voit ainsi des jeunes dans la rue avec des cigarettes électroniques. Nous savons qu’il existe des soirées où sont utilisées des cigarettes électroniques dont les liquides sont modifiés. Ce sont des informations qui m’ont déjà été rapportées en pratique. Et cela nécessite une vigilance. Cependant, on ne doit pas être catastrophiste. Si les personnes ne bricolent pas leur cigarette électronique, ni les liquides, et n’utilisent pas de THC ou ses dérivés comme liquides, on peut considérer qu’on n’est pas en sur risque.
On peut également rappeler que Santé publique a mis en place un dispositif permettant le signalement de cas suspects (https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/dispositif-de-signalement-des-pneumopathies-severes-liees-au-vapotage).

JIM.fr : Doit-on toujours considérer que, pour les fumeurs, la dangerosité à moyen et court terme de la cigarette électronique est moindre que celle de la cigarette classique ?

Dr Anne-Laurence Le Faou - La cigarette électronique bien utilisée dans des conditions de température correcte avec des liquides non trafiqués peut permettre d’aider à l’arrêt. La question est toujours celle du bénéfice par rapport à un risque. La cigarette électronique a un risque moindre que le tabac. Qu’elle puisse être utilisée à long terme sans aucun risque est une question à laquelle nul ne peut répondre.

JIM.fr : Quelles sont les normes appliquées en France concernant le contenu des e-liquide, leur teneur en nicotine et leur contrôle ?

Dr Anne-Laurence Le Faou – Les normes appliquées sont les normes européennes issues de la directive européenne de 2014 et les normes AFNOR. L’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) recueille et analyse les informations sur les produits mis en vente depuis 2016 : ingrédients, additifs et composés volatils pouvant être inhalés.
Il est donc important d’acheter les liquides répondant à la norme AFNOR (https://www.anses.fr/fr/system/files/Liste_FR_Vapotage.xls).

JIM.fr : Quelles sont les règles qui s’imposent concernant la vente aux mineurs et la publicité ?

Dr Anne-Laurence Le Faou - Elle est interdite ainsi que la publicité. 

JIM.fr : Les informations médicales et scientifiques actuellement disponibles sur la cigarette électronique vous paraissent-elles suffisantes ?

Dr Anne-Laurence Le Faou - Elles se constituent petit à petit, et l’importance est d’avoir des études de prévalence, des études randomisées et en vie réelle pour savoir ce qui peut aider à arrêter le tabac. Recueillir des données françaises est essentiel car nous nous comparons toujours au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, pays dans lesquelles de nombreuses mesures de lutte contre le tabagisme ont été mises en œuvre et ce, bien longtemps avant la France. La prévalence tabagique y est bien plus faible, et ce depuis des années. Nous voudrions rattraper ce temps en France mais beaucoup reste à faire en termes de santé publique : faire respecter la loi Evin, former les professionnels à tous les outils disponibles, faire respecter les interdictions de vente de tabac aux mineurs etc…C’est un chantier en soi car nous sommes loin des prévalences de 15% observées dans les pays cités en exemple !

Il me semble en tout cas important d’insister sur le fait qu’un des messages essentiels est de faire comprendre tant aux professionnels de santé qu’aux fumeurs que réduire la consommation ne réduit pas le risque. Il faut arriver à un arrêt complet. En dépit de l’utilisation de la cigarette électronique par les fumeurs, ce n’est parfois pas suffisant pour certains et alors ils refument pour satisfaire leurs besoins nicotiniques et quand ils refument ils tirent terriblement sur la cigarette. Aussi, on obtient certainement une réduction de la consommation, mais pas de réduction du risque.

Enfin, il faut aussi essayer de comprendre les fumeurs qui sont face à une forte addiction. Souvent, la réduction de la consommation précède l’arrêt et l’on doit en tant que professionnel de santé, accompagner cette réduction par des encouragements pour réussir à arrêter ou augmenter la nicotine ou ajouter un traitement, et cela, dans le cadre d’un partenariat. 

JIM.fr : Aussi, si l’on veut utiliser la cigarette électronique dans le cadre d’un sevrage, la bonne stratégie serait donc plutôt d’ajouter d’autres substituts ?

Dr Anne-Laurence Le Faou - Oui, tout à fait si la cigarette électronique ne suffit pas. Parfois cela peut être plus confortable pour le patient, afin à la fois de satisfaire ses besoins en nicotine et de l’aider en fonction de son profil à conserver un geste ou la sensation de quelque chose de volatile autour de lui. C’est quoi qu’il en soit du cas par cas.

JIM.fr : Considérez-vous que la cigarette électronique pourrait disposer d’un statut de dispositif médical vendu en pharmacie (afin d’éviter les usages chez les sujets non dépendants à la nicotine et de renforcer son rôle dans le sevrage) ?

Dr Anne-Laurence Le Faou - Cela aurait pu être le cas car il s’agit d’une substitution nicotinique par voie buccale, avec une cinétique de délivrance de la nicotine élevée d’où un caractère addictif mais avec des produits dangereux en quantité bien moindre Compte tenu du fait qu’il s’agit désormais d’un marché, le retour en arrière semble difficile en France, car cela conduirait à une restructuration de l’offre, les propriétaires de boutique le refusant et les pharmaciens le promouvant. On peut aussi avoir ces deux possibilités qui co-existent. Comme toute activité économique, les enjeux à court, moyen et long terme sont à soupeser.  

Interview réalisée par Aurélie Haroche le 9 octobre 2019.

Références
(1) Pasquereau A, Quatremère G, Guignard R, Andler R, Verrier F, Pourchez J, Richard J-B, Nguyen-Thanh V et le groupe Baromètre de Santé publique France 2017. Baromètre de Santé publique France 2017. Usage de la cigarette électronique, tabagisme et opinions des 18‑75 ans. Saint‑Maurice : Santé publique France, 2019. 17 p.

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