Qui avait un éléphant dans la bouche ?

Laval, le samedi 4 février 2023 – Des chercheurs français se sont intéressés à la santé bucco-dentaire d’une patiente quelque peu particulière, puisqu’elle est âgée de plus de 450 ans.

Comme tous les domaines de la médecine, l’odontologie a fait des progrès importants ces dernières décennies. Pendant des siècles, les soins dentaires ont été plus que rudimentaires, consistant essentiellement à enlever les dents malades. Mais certains privilégiés pouvaient bénéficier de soins légèrement plus avancés et notamment se faire poser une prothèse. C’est le cas d’une aristocrate comme Anne d’Alègre, fille du marquis d’Alègre et épouse du comte de Laval.

Née en 1565 et morte en 1619, cette aristocrate enterrée au château de Laval a été exhumée en 1988 lors d’une fouille de la bâtisse. Si sa dépouille avait déjà fait l’objet d’une première étude publiée en 1992, l’utilisation de nouvelle technologie d’investigation et notamment d’un scanner 3D dernier cri (Cone Beam) a conduit à la réalisation d’une autre analyse, menée par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) et publiée dans le Journal of Archeological Science le 24 janvier dernier. Si ce squelette intéresse autant les archéologues et les dentistes, c’est parce qu’il s’agit d’un des plus anciens doté d’une prothèse dentaire.

Quand les prothèses dentaires n’étaient pas encore remboursées

La comtesse de Laval avait en effet perdu sa dent 21 (une des incisives supérieures gauche). Si l’on ignore la cause exacte de la perte de cette dent, il semble qu’Anne d’Alègre souffrait de parodontite. L’étude menée par les chercheurs de l’INRAP a permis d’établir que la prothèse est faite en ivoire d’éléphant et non d’hippopotame comme on a pu le croire au départ. La prothèse est soutenue par des fils d’or et par une ligature de contention sur les prémolaires : autant dire que l’opération a du couté cher (et le « 100 % Santé » n’existait pas encore sous Henri IV).

Mais ce traitement couteux n’a fait « qu’aggraver la situation » de la patiente, estime Rozen Colleter de l’Inrap, auteure principale de l’étude. La pose de cette prothèse ainsi que les « multiples resserrages nécessaires ont entrainé l’instabilité des dents voisines ». Selon les chercheurs, cette prothèse poursuivait un but essentiellement esthétique. Hier comme aujourd’hui, le sourire était essentiel pour l’apparence et la vie sociale. Ambroise Paré, chirurgien du Roi et contemporain d’Anne d’Alègre, expliquait ainsi que « si un malade était édenté, sa parole était dépravée » souligne Rozen Colleter.

Les guerres de religions sont-elles mauvaises pour la santé bucco-dentaire ?

Anne d’Alègre avait justement besoin de soigner sa réputation. Noble protestante au cœur des guerres de religion, deux fois veuve, elle aura eu une vie particulièrement mouvementée. Elle a notamment vu la tutelle de son fils et ses biens confisqués par le Roi Henri III. La comtesse de Laval n’avait « pas une bonne réputation » explique l’Inrap, on la décrivait comme mondaine, voulant « se faire voir en roulant carrosse pour se rendre au prêche ». Pour les chercheurs (qui s’avancent un peu), sa parodontite pourrait être le fruit du stress subi durant cette période sanglante et instable de l’Histoire de France.

« Au-delà de l’aspect purement esthétique, l’installation d’une prothèse dentaire malgré les possibles conséquences odontologiques que cela pouvait entrainer et qui étaient connues à l’époque permettait sans doute à Anne d’Alègre de maintenir un certain statut social devant ses détracteurs » présument les chercheurs de l’Inrap.

La prothèse dentaire était donc un marqueur social au XVIIème siècle. Et au vu du prix de certaines prothèses aujourd’hui, c’est encore un peu le cas.

Nicolas Barbet

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