
Vu de l’hôpital, des difficultés continuelles
Il est trop tard…
Pourtant, tout en déplorant qu’aucune mesure n’ait été prise en
« amont » (notamment vis-à-vis des écoles) pour tenter de
limiter l’impact de la vague (qui atteint un niveau inégalé en
Europe) et en regrettant une fois encore les difficultés
structurelles de l’hôpital qui l’empêchent de l’affronter de
manière plus sereine, un nombre croissant de praticiens paraît
considérer que le temps est désormais venu de modifier notre
stratégie face à l’épidémie. L’exemple du Danemark est à ce titre
marquant. Bien qu’à l’instar de notre pays, le royaume qui applique
une politique de dépistage plus intensive encore que la France,
pourrait ne pas encore avoir atteint son pic épidémique et a
enregistré des records en ce qui concerne le nombre d’hospitalisés,
le gouvernement danois s’apprête à annoncer la levée de la plupart
des mesures adoptées pour lutter contre la propagation du virus. Le
Danemark choisirait de rejoindre des pays comme la Grande-Bretagne
et l’Espagne qui ont décidé de modifier leur appréhension de la
Covid.
Des tests inutiles et des mesures barrières boudées
C’est notamment la question de la pertinence du dépistage massif qui suscite le plus de questions. « Je ne comprends pas pourquoi le gouvernement persiste dans ces politiques de tests qui sont excessivement chères, car elles coûtent des millions d'euros par jour à la société. Ces millions d'euros ne sont pas investis dans les infrastructures et les centres de recherche. À la place, on fait des politiques de tests qui ont très peu d'intérêt. Il y a une stratégie à repenser de la part du gouvernement » observe ainsi le Dr Benjamin Rossi (Hôpital Robert Ballanger) interrogé par France Info. Le Dr Nathan Peiffer-Smadja (Hôpital Bichat) lui fait écho constatant sur Twitter : « Avec une telle perte de contrôle de l’épidémie, est-il pertinent de tester autant ? Le virus est partout, je crois qu’il faut plutôt concentrer les efforts sur la réduction de la transmission via des mesures barrières (masques) et la relance de la campagne vaccinale notamment chez les enfants ». Le praticien semble même suggérer que « l’épuisante » multiplicité des tests, en donnant une (fausse) impression de contrôle et en focalisant l’énergie et l’attention de tous pourrait favoriser le relâchement des mesures barrière. Ce relâchement est en tout cas avoué par un grand nombre de Français : l’enquête CoviPrev réalisée par Santé publique France (SPF) signale en effet qu’entre fin novembre et début décembre, un quart des Français admettaient moins respecter les gestes barrières, une tendance plus marquée encore chez 18/24 ans et les 25/34 ans. Par ailleurs, près de la moitié des personnes interrogées jugeaient « trop contraignants au quotidien » les gestes barrières et mettaient en doute leur efficacité pour limiter la contagion. L’image rarissime du Pr Jean-François Delfraissy apparu hier au micro de France Info sans masque symbolise peut-être ce relâchement et cette aspiration de plus en plus forte à retrouver une vie plus normale.Le pic s’éloigne comme l’horizon
En tout état de cause, Jean-François Delfraissy estime que la gestion de la pandémie doit s’émanciper des chiffres d’incidence. « Dans notre vision, notre logiciel, on doit changer. On va finir à 15,16 ou 17 millions de Français infectés. Mais il n'y a pas d'évolution, il y a même une baisse du nombre d'entrées et de l'occupation des lits dans les hôpitaux. Le chiffre des nouvelles contaminations n'a plus la même valeur qu'avec les variants précédents » a -t-il ainsi observé. De même, attendre le « pic » paraît une stratégie hasardeuse. Si Olivier Véran continue à vouloir croire qu’il est proche (et s’il est vrai qu’en Ile de France il apparaît clairement avoir été atteint), le Pr Delfraissy considère pour sa part difficile toute projection. En cause, notamment, le rôle que pourrait jouer le sous variant BA.2. Au Danemark, champion du séquençage, ce petit nouveau est déjà majoritaire et pourrait expliquer que le pic se fasse toujours attendre. En France, les données issues du séquençage comme toujours manquent. D’une manière générale, BA.2 et son impact suscitent de nombreuses interrogations. S’il semble avoir un profil de virulence tout à fait comparable à Omicron, d’autres questions demeurent. « Il est difficile de comprendre pourquoi il est devenu majoritaire au Danemark et pas en Angleterre par exemple », remarque dans l’Obs Morgane Bomsel, virologue à l’Institut Cochin. De son côté, dans Libération, Patrick Hoscheit, chercheur en mathématiques appliquées à l’Institut national de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement (Inrae), constate « le remplacement de BA.1 par BA.2 dans certains pays dont le Danemark et Singapour, qui ont d’excellents réseaux de surveillance génomique […] ne signifie pas nécessairement que BA.2 possède un avantage de transmission, car les différences peuvent être épidémiologiques plutôt que virologiques ». De la même manière, l’affirmation lancée hier par Olivier Véran selon laquelle le variant BA.2 pourrait entraîner des réinfections de personnes précédemment contaminées par le variant Omicron BA.1 ne reste qu’une pure hypothèse.Épuisement du gouvernement
Ces chiffres explosifs du nombre de contaminations mais qui ne permettent pas une juste appréhension de la gravité de l’épidémie, les difficultés de l’hôpital, l’incertitude liée aux nouveaux variants laissent une nouvelle fois les pouvoirs publics dans une expectative d’autant plus douloureuse que les élections approchent. Il apparaît cependant qu’au sein même du gouvernement la tentation et l’espoir d’en finir prochainement avec les mesures les plus contraignantes en agitent certains. Jean-Michel Blanquer a ainsi redit ce matin qu’il espérait un assouplissement du protocole sanitaire dans les établissements scolaires à la rentrée de février, ce qui pourrait signifier notamment l’abandon d’une politique de dépistage qui à l’école peut-être plus encore qu’ailleurs semble avoir totalement perdu de son sens et de sa pertinence.Aurélie Haroche