SARS-CoV-2 dans le cerveau, au bout du (nano)tunnel

Bien que le SARS-CoV-2 cible principalement les voies respiratoires, certains patients souffrant de Covid-19 ont des atteintes d’autres organes dont le cerveau. Les manifestations neurologiques peuvent être aiguës et disparaître avec la maladie, mais certaines peuvent aussi représenter un problème majeur dans la Covid longue.

La façon dont le virus pénètre dans le cerveau et comment l'infection entraîne des symptômes neurologiques n'est pas claire. Le récepteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (ACE2) est le principal acteur de l'entrée du virus dans les cellules pulmonaires, les protéines de pointe virales S se liant au domaine enzymatique du récepteur ACE2.

Si l’expression de ce récepteur est bien documentée dans de nombreux tissus, il est à peine détectable au niveau cérébral, alors même que du matériel génétique viral a été retrouvé dans le cerveau de certains patients.

Or les nanotubes à effet tunnel (TNT), sont des structures dynamiques transitoires, issues de la fusion membranaire de cellules distantes, formant de minces conduits permettant d’échanger du matériel entre cellules (y compris des particules virales) sans passer par un récepteur membranaire.

Des chercheurs en biologie cellulaire, virologie, et nanoimagerie, ont mené un travail conjoint afin d’étudier le potentiel neuro-invasif du SARS-CoV-2 et explorer le rôle des TNT dans la propagation virale intercellulaire.

Le SARS-CoV-2 peut se propager indépendamment de l'endocytose médiée par les récepteurs

Des cellules épithéliales témoins Vero E6, sensibles à l'infection par le SARS-CoV-2, et des cellules neuronales SH-SY5Y, non permissives, ne pouvant pas être infectées par un mécanisme médié par les récepteurs, ont été co-cultivées. Des immunomarquages à 24h et 48h à l’aide d’anticorps (Ac) anti-N et anti-S attestent la présence des protéines virales dans les cellules neuronales acceptrices, marquage qui augmente avec le temps.

Après 48 h, l’immunocoloration par Ac anti-ARNdb (ARN double brin) J2 est positive dans les deux types cellulaires tout comme celle contre la protéine nsp 3, composant du complexe viral de réplication/transcription, en faveur d’une réplication active du SARS-CoV-2. Quand les cellules acceptrices cultivées avec les Vero E6 infectées sont traitées par inhibiteur de réplication virale (remdesivir), la proportion de SH-SY5Y positives pour l’anti-S à 48h passe de 45 % à 17,2 %.

Les TNT contribuent à la transmission du SARS-CoV-2

Ces résultats indiquent que, si l'entrée du SARS-CoV-2 dans les cellules épithéliales est médiée par la voie classique de l'endocytose par les récepteurs, la propagation entre cellules permissives et neurones non permissifs pourrait se produire par un contact direct de cellule à cellule. Dans les cocultures SH-SY5Y - Vero E6, des TNT entre cellules donneuses infectées et cellules acceptrices SH-SY5Y ont été observés.

Un immunomarquage a révélé que N colocalisait avec les protéines S et nsp3, suggérant que des complexes réplicatifs et des virions matures pouvaient se trouver dans ces TNT. Après infection, les TNT semblent être plus longs que pour les témoins : longueur moyenne respective 34,48 μm (SD = 24,87) versus 7,98 μm (SD = 3,65).

De plus, la proportion de TNT reliant les cellules Vero E6 et SH-SY5Y est passée de 35 % en condition contrôle à 61,75 % après infection par le SARS-CoV-2, suggérant que le virus favorise et/ou stabilise la formation de TNT.

Les TNT facilitent la transmission du SARS-CoV-2 entre les cellules permissives

Afin de déterminer si la voie médiée par le TNT peut être utilisée pour améliorer la propagation du virus entre cellules permissives en plus de la voie endocytaire, des cellules Vero E6 infectées ont été incubées avec un Ac neutralisant la liaison au récepteur ACE2 puis cultivées avec des cellules Vero E6 exprimant mCherry (cellules acceptrices).

Après 24h, 42,9 % des cellules acceptrices étaient positives au SARS-CoV-2 (marquage anti-N), 63,8 % après 48h de coculture. Dans les conditions contrôle (sans Ac neutralisant anti-S), 95 % à 24 heures et 96,8 % à 48 heures des cellules acceptrices étaient positives pour anti-N. Le pourcentage de Vero E6 connectées par des TNT a augmenté après 24 heures d'infection, et des TNT positifs pour le N, S, ou les deux ont été observés.

La cryo-microscopie électronique révèle le SARS-CoV-2 associé aux TNT

Des techniques CLEM, cryo-EM et cryo-ET ont permis d'évaluer l'architecture du SARS-CoV-2 et du TNT dans les conditions les plus proches des conditions natives. Des images tridimensionnelles de haute qualité ont montré des particules virales du SARS-CoV-2 à la surface de TNT reliant deux cellules Vero E6 infectées. U

n protocole cryo-EM d'immunofluorescence corrélative, utilisant l'Ac anti-S, a permis d’observer des virions matures à la surface de TNT ainsi que des structures vésiculaires dans leur lumière, dans lesquelles le ribonucléocapside (RNP) et/ou des structures de type S ont été discernés. Ces vésicules intra-TNT pourraient être des complexes réplicatifs et des virus matures.

Cependant, les TNT décrits ici ont un diamètre moyen > à 500 nm, il s’agit des limites de résolution du microscope.

La cryo-ME révèle des compartiments viraux dans les TNT

Afin d’étudier la structure des particules virales intra-TNT, les techniques cryo-CLEM ont été appliquées aux cocultures Vero E6 - SH-SY5Y. Dans les TNT, des structures membranaires ressemblant à des DMV, identifiées comme le hub central de la synthèse d'ARN du SARS-CoV-2 par Klein et coll, ont été observées, ainsi que des structures vésiculaires similaires à celles vues dans les TNT inter-cellules permissives.

Il est probable que ces structures soient des complexes réplicatifs viraux. Par microscopie confocale, des TNT entre Vero E6 et SH-SY5Y infectées, entre des Vero E6 infectées et entre des cellules SH-SY5Y, contenant des particules marquées avec l'Ac J2 anti l'ARNdb, ont été observés. Sur 100 TNT entre Vero E6 et SH-SY5Y infectées, 27 sont positifs pour nsp3.

En conclusion, les cellules neuronales humaines, non permissives à l'infection par la voie endocytaire, peuvent être infectées lorsqu'elles sont co-cultivées avec des cellules épithéliales infectées permissives. Le SARS-CoV-2 induit la formation de TNT et exploite cette voie pour se propager aux cellules non infectées.

Dans les limites d'une étude in vitro, ces données soutiennent le rôle des TNT dans la propagation virale, permettant l’échappement à la surveillance immunitaire. Elles mettent en évidence un mécanisme jusque-là inconnu, probablement utilisé pour infecter les neurones non permissifs et potentialiser l'infection dans les cellules permissives.

Dr Isabelle Méresse

Référence
Pepe A, Pietropaoli S, Vos M, et coll. : Tunneling nanotubes provide a route for SARS-CoV-2 spreading. Sci Adv., 2022; Jul 22; 8 (29):eabo0171. doi: 10.1126/sciadv.abo0171.

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Vos réactions (1)

  • Et en pratique ?

    Le 27 juillet 2022

    Passionnant, mais tout de même complexe pour celui qui en est resté à la virologie basique d'il y a 40 ans, mais quelles pourraient être les conséquences pour le clinicien et son patient ?

    Dr Albert Brenner

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