Succès d’une thérapie génique par beti-cel chez des patients atteints de β-thalassémie de génotype non - β0/β0

La β-thalassémie est une anémie hémolytique constitutionnelle liée à la survenue de mutations au niveau du gène (HBB) codant pour les chaînes β de la globine entraînant soit une réduction (en cas de génotype β+) soit une absence de synthèse (en cas de génotype β0) de chaîne β fonctionnelle. Il existe de ce fait un excès de chaînes de globine α qui entrave le développement et la survie des érythrocytes conduisant à une érythropoïèse ineffective, une hémolyse, une anémie chronique et finalement à une forte dégradation de la qualité de vie. Les patients porteurs de β-thalassémie avec une anémie sévère doivent recevoir des transfusions de culots globulaires tout au long de leur vie et un traitement chélateur du fer pour prévenir la surcharge ferrique.

Si la greffe de moelle allogénique a pu être proposée comme un traitement curateur dans les formes particulièrement sévères, dépendantes des transfusions, avec un effet surtout favorable chez les patients de moins de 14 ans et ayant un donneur HLA-compatible, ce traitement reste exceptionnel du fait de l'absence fréquente de donneur sain HLA-compatible et du fait des risques importants, mettant en jeu le pronostic vital, liés à la transplantation elle-même avec la survenue possible d'infections réfractaires à tout traitement, de rejet de la greffe ou encore de réaction du greffon contre l'hôte.

Des essais de thérapie génique récents ont utilisé betibeglogene autotemcel (beti-cel ; Bluebird Bio) chez des patients atteints de β-thalassémie dépendants des transfusions. Beti-cel permet d’ajouter au niveau des cellules souches hématopoïétiques des copies fonctionnelles de HBB - contenant une substitution en acides aminés (T→Q) en position 87 (afin d'augmenter le rendement des copies du vecteur viral) et des éléments régulateurs de la chaîne β- grâce à la perfusion de cellules autologues CD34+ transduites par un vecteur lentiviral BB 305 auto-inactivé et ne pouvant se répliquer. Les premiers essais de phase 1-2 ont été encourageants et un essai de phase 3 HGB-207 (Northstar-2) a été entrepris dont les résultats sont rapportés dans le New England Journal of Medecine.

Il s'agit d'une étude d'efficacité et de sûreté débutée en 2016 et poursuivie jusqu'en 2020 et ayant concerné 9 centres répartis en Europe (Allemagne, France, Italie et Royaume-Uni), en Thaïlande et aux États-Unis. Elle a concerné des patients atteints de β-thalassémie (de génotype non - β0/β0) dépendants des transfusions (ayant reçu au moins 8 transfusions de concentrés globulaires au cours des 2 ans précédant l'étude), sans surcharge ferrique massive et ne disposant pas de donneur de moelle osseuse allogénique HLA-compatible.

Les patients recevaient un conditionnement médullaire par busulfan (les doses étant ajustées après étude pharmacocinétique) puis le beti-cel par voie intraveineuse.

Le critère principal de jugement était l'obtention d'une indépendance transfusionnelle définie comme la persistance d'un taux d'hémoglobine supérieur ou égal à 9 g/100mL au moins pendant 12 mois.

L'étude a concerné 23 patients dont 15 avaient de 12 à 50 ans et 8 moins de 12 ans. Le délai médian de suivi a été de 29,5 mois (de 13 à 48,2 mois).

Obtention d’une indépendance aux transfusions dans plus de 90 % des cas

Une indépendance aux transfusions a pu être obtenue chez 20/22 patients qui ont pu être évalués (91 %), dont 6/7 patients de moins de 12 ans. Le taux d'hémoglobine moyen durant cette période était de 11,7g/100mL (de 9,5 à 12,8 g/100mL). Un an après la perfusion de beti-cel, le taux médian d'hémoglobine A provenant du transfert génique (portant donc la mutation T87Q soit HbAT87Q) était de 8,7 g/100mL (de 5,2 à 10,6 g/100 mL) chez les patients ayant une indépendance transfusionnelle. Notons également que les études de la moelle osseuse et la mesure de certains marqueurs sanguins montraient une amélioration de l'érythropoïèse et une diminution de la surcharge en fer. Chez les 2 patients qui n'ont pas obtenu d'indépendance transfusionnelle, il n'a pas été possible de mettre en évidence de différence clinique ou biologique préalable au traitement. Le beti-cel perfusé présentait les mêmes critères que chez les autres patients concernant le nombre de copies de vecteur viral ou le nombre de cellules CD34+ positives pour le vecteur viral. Par contre, au fil du temps le nombre de copies du vecteur viral retrouvé dans les cellules sanguines circulantes était nettement inférieur à celui des autres patients, reflétant probablement une transduction virale insuffisante au niveau des cellules souches hématopoïétiques de longue durée.

Peu d’effets secondaires et pas à ce jour d’insertion mutagénique

Les effets secondaires notés dans ce protocole étaient en accord avec l'utilisation du busulfan. Chez 4 patients il a été observé au moins un effet secondaire que les auteurs ont rattaché au beticel mais non sérieux, hormis la survenue d'une thrombopénie chez un patient. Sur ce délai d'observation, aucun cancer n'a été mentionné.

Les premiers essais de thérapie génique ayant eu recours à des rétrovirus gamma comportaient un risque d'insertion mutagénique et ont pu se compliquer de l’apparition de leucémies, ce qui montre la nécessité d'améliorer le profil de sûreté des vecteurs viraux. Les lentivirus sont actuellement les vecteurs viraux de choix pour la plupart des thérapies géniques utilisant les cellules souches hématopoïétiques et les lentivirus de troisième génération tel BB305 employé dans cette étude ont été modifiés pour être incapables de se répliquer et pour s'auto-inactiver diminuant considérablement le risque d'insertion mutagénique ; en outre leur site d'insertion peut être analysé et on peut rechercher les lentivirus pouvant encore se répliquer. A ce jour, deux cas de leucémies ont été rapportés chez des patients porteurs de drépanocytose et ayant reçu sans succès une thérapie génique avec BB305. De telles complications : insertion mutagénique, survenue d'une prédominance clonale, survenue de cancers ou de leucémies n'ont pas été rapportées chez les patients traités pour β-thalassémie.

Ainsi si cette étude montre qu'une thérapie génique par une seule injection de beti-cell est capable de maintenir sur plus d'un an chez la plupart des patients (20/22) atteints de β-thalassémie (de génotype non β0/β0) un taux d'hémoglobine dans des valeurs normales, permettant aux patients de devenir indépendants des transfusions, il faut remarquer que la cohorte des patients ainsi traités est petite soulignant la difficulté de porter l'indication de ce type de traitement. Une surveillance sur le long terme s'impose s'agissant de l'étude de l'efficacité comme de la sécurité et c'est l'objet de l'étude suivante à laquelle sont soumis les patients de cette cohorte.

Dr Sylvia Bellucci

Référence
Locatelli F et coll. : Betibeglogene Autotemcel Gene Therapy for Non–β0/β0 Genotype β-Thalassemia. N Engl J Med., 2021 ; publication avancée en ligne le 11 décembre. DOI: 10.1056/NEJMoa2113206

Copyright © http://www.jim.fr

Réagir

Vos réactions

Soyez le premier à réagir !

Les réactions aux articles sont réservées aux professionnels de santé inscrits
Elles ne seront publiées sur le site qu’après modération par la rédaction (avec un délai de quelques heures à 48 heures). Sauf exception, les réactions sont publiées avec la signature de leur auteur.

Réagir à cet article