
Paris, le mercredi 24 août 2016 – L’absence de réelle prise en compte des risques psychosociaux chez les professionnels de santé, notamment hospitaliers, a constitué un thème d’alerte majeur des syndicats cette année. Si les médecins se sont montrés très actifs, les infirmières ont également manifesté leur inquiétude. Alors que la dégradation ressentie des conditions de travail liée entre autres au non remplacement de certains postes et aux impératifs de la tarification à l’activité est dénoncée depuis de longs mois, les organisations d’infirmières voient dans les suicides déplorés ces derniers mois le signe d’une aggravation de l’épuisement de ces professionnelles. Le printemps et l’été ont en effet été « meurtriers » pour reprendre l’expression du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI). Ainsi, une "épidémie" selon l’expression de certains médias régionaux a frappé Toulouse, avec le suicide en juin d’un infirmier de 55 ans sur son lieu de travail à Rangueil et d’un infirmier des urgences de Purpan, qui s’ajoutent à l’autolyse d’une aide-soignante en formation et d’une auxiliaire puéricultrice. Mais la ville rose n’a pas été la seule touchée : au Havre, une infirmière mettait fin à ses jours le 24 juin après avoir laissé à son mari une lettre évoquant ses doutes et la « dégradation constante » de ses conditions de travail. Enfin, nous l’avons évoqué hier, Saint-Calais a été récemment le théâtre d’un drame similaire, avec le suicide d’un cadre infirmier.
Mieux vaut être une baie vitrée qu’une infirmière
Si toujours le caractère multifactoriel de ces passages à l’acte ne doit pas être oublié, dans au moins trois cas, une souffrance liée aux conditions de travail a été clairement mise en évidence, notamment à Toulouse où le suicide de l’homme de 55 ans a été rapidement reconnu comme un accident du travail. Au Havre et à Saint Calais, les enquêtes sont toujours en cours. Ces différents cas ont poussé hier le SNPI à dénoncer une « maltraitance institutionnelle ». « La pression est trop rude sur des professionnels que l’on pousse à bout (rappels sur repos, polyvalence imposée, perte de sens, sous-effectif, pression à l’activité). Ces réorganisations sont en rupture avec les valeurs soignantes, et débouchent sur une maltraitance des soignants et la mise en danger des patients », dénonce le secrétaire général de l’organisation, Thierry Amouroux. Ce dernier déplore par ailleurs le silence du ministre de la santé et ironise sur le fait qu’elle s’était montrée bien plus réactive quant ont été endommagées les fenêtres de l’hôpital Necker à Paris : « Comme quoi, nous sommes peu de choses… » résume-t-il.
Première ligne
Ce n’est pas la première fois que l’attitude du ministre de la Santé face au suicide d’infirmiers est dénoncée. Au début de l’été, la Coordination nationale infirmière (CNI) et le secrétaire général de l’Ordre infirmier, Karim Mameri avaient interpellé Marisol Touraine. « J’ai eu beau chercher, je n’ai pas vu un billet de condoléance sur votre blog, pas un communiqué de presse, pas même 140 caractères sur votre compte twitter pour qu’une enquête soit menée afin de faire toute la lumière sur ce qu’il s’est passé … Pourtant votre compte twitter n’est pas indisponible, preuve en est, le 10 juin, l’équipe de France de football avait eu droit à un tweet d’encouragement de votre part suite à sa victoire contre l’Albanie dans le cadre de l’Euro de football » déplorait ainsi Karim Mameri sur le site Infirmiers.com. De son côté, la présidente de la CNI, Nathalie Dépoire, après avoir adressé une lettre ouverte au ministre tentait d’analyser les racines du mal dans un entretien accordée à Egora. « Les directions sont (…) soumises à des contraintes économiques et (…) n’ont plus assez d’effectifs pour faire face (…). Elles ont des contraintes de diminution d’effectifs (…). On est dans la mutualisation de moyens à l’extrême ». Or, face à ce système, les infirmières sont souvent, devant même les médecins, en première ligne. Un rapport de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) publié en février dernier avait ainsi mis en évidence comment de tous les agents hospitaliers les infirmières et les sages-femmes semblent les plus exposées au risque de développer des troubles psychosociaux. Plus souvent confrontées aux tensions avec le public, plus souvent sujettes aux conflits avec leurs collègues, les infirmières se sentent plus fréquemment exploitées que les autres salariés (72 % contre 65 %) et sont plus nombreuses à se juger sous pression.
Condoléances tardives
Les appels des syndicats et de l’Ordre avaient fini mi juillet par aboutir à une rencontre entre le directeur de cabinet du ministère et les représentants de la profession. Lors de cette réunion, la situation des infirmières avait été évoquée et il avait été affirmé qu’un message de soutien avait été adressé aux équipes et aux familles touchées. Une prise de conscience tardive et sans doute insuffisante pour apaiser le sentiment d’abandon d’autant plus que quasiment à la même période les centrales syndicales recevaient un message de la Direction générale de l’organisation des soins (DGOS) indiquant le report de deux réunions programmées, devant notamment porter sur les salaires, en septembre (et ce sans lien avec l’attentat perpétré à Nice). Ainsi, aujourd’hui, les infirmières attendent-elles avec insistance une véritable prise de parole publique de Marisol Touraine.
Aurélie Haroche