
D’après plusieurs travaux, environ la moitié des patients qui
souffrent de façon chronique présentent un syndrome dépressif, et
l’on peut se demander ce qui distingue ces patients et comment
s’enchaînent les processus. Or, dans la genèse des réactions à la
douleur supportée au long cours, l’importance d’une variable s’est
dégagée : la dramatisation de la douleur ou « catastrophisme »,
c’est -à- dire une certaine amplification mais aussi une
valorisation des sensations pénibles ressenties, ceci
s’accompagnant de symptômes dépressifs et d’une détresse affective
globale. On a aussi tenté récemment d’identifier les mécanismes
adaptatifs susceptibles de maintenir un certain bien être
psychique, malgré la persistance de la douleur et on a utilisé le
terme de tolérance ou d’ « acceptation » pour les
désigner. Selon une certaine logique, l’aptitude à surmonter
la douleur s’est sont révélée inversement proportionnelle à
l’incapacité physique, à la limitation des possibilités de travail
et à la symptomatologie dépressive. Plus tard, il a été constaté
que dramatisation et tolérance avaient une valeur prédictive de la
survenue ultérieure d’un syndrome dépressif ou, plus précisément,
que la dramatisation était un indice du fonctionnement émotionnel,
tandis que la tolérance permettait de mieux prévoir l’évolution
fonctionnelle. Ces notions comportant une marge d’incertitude, le
travail présenté ici se destinait
à apporter quelques précisions.
Le but de cette étude était donc d’examiner les effets de la dramatisation et de la tolérance de la douleur chronique sur l’évaluation affective d’une douleur provoquée à titre expérimental ainsi que sur la symptomatologie dépressive définie selon un questionnaire rempli par les patients eux-mêmes. Elle portait sur 67 sujets, de 19 à 65 ans, ayant tous subi une intervention de chirurgie vertébrale depuis 6 mois au moins, et suivie de séquelles douloureuses persistantes.
Pour évaluer la dramatisation, il était utilisé la Pain Catastrophizing Scale –PCS-, comportant 13 items cotés de 0 à 20. La tolérance était mesurée avec le Chronic Pain Acceptance Questionnaire-CPAQ. Le Patient Health Questionnaire-9, dont la spécificité et la sensibilité sont connues, appréciait le syndrome dépressif en 9 points. La douleur chronique était estimée sur une échelle numérique d’intensité allant de 0 à 10, tandis qu’une grille, connue pour tenir compte des composantes qualitatives et quantitatives, caractérisait la douleur provoquée, de type ischémique, causée par un brassard de compression enserrant un bras surélevé, alors qu’il était demandé d’effectuer des mouvements d’ouverture/fermeture de la main sur un rythme imposé.
Selon les données recueillies, un total de 47 patients (70,1 %) présentaient des signes dépressifs significatifs. Après analyse de régression, il s’est avéré que la dramatisation de la douleur chronique était corrélée à l’existence d’un tel syndrome dépressif. La tolérance à la douleur était inversement liée à ces signes, mais sans atteindre le seuil de significativité. Il est également à souligner qu’aux niveaux élevés d’éducation, correspondait une prévalence moindre des tendances au catastrophisme et une tolérance accrue à la douleur, ce qui est en accord avec les données de la littérature et peut s’expliquer par une souplesse cognitive et des facultés d’adaptation plus marquées ainsi qu’une plus grande facilité pour réduire l’impact émotionnel de la douleur. De plus, le catastrophisme le plus intense était associé aux syndromes dépressifs les plus profonds mais, contrairement aux données antérieures, les tendances nettes à la dramatisation de la douleur chronique n’étaient pas liées de manière significative à l’évaluation affective de la douleur provoquée.
Dr Françoise Ponchie Gardelle