Il existe clairement depuis 2012 un déclin des ventes de cigarettes
en volume, très perceptible en France puisqu’il est de l’ordre de
10%, a souligné Bertrand Dautzenberg (Pitié-Salpêtrière). Ce déclin
mondial qui inquiète fort l’industrie cigarettière l’a incitée à
développer de nouveaux moyens d’entretenir le tabagisme plutôt que
de le réduire comme cela semble être le cas avec la cigarette
électronique. C’est dans ce contexte qu’elle a développé le tabac
chauffé, un concept ancien qui s’est traduit à fin du siècle
dernier par un flop commercial, et qu’elle a ‘amélioré’ récemment
en chauffant le tabac, soit avec du charbon comme dans la chicha,
soit avec une résistance électrique, ce qui permet de dégager du
tabac une fumée que l’industrie appelle pudiquement ‘émission de
particules’ que le fumeur inhalera. Trois tabacs chauffés sont
actuellement notifiés à l’ANSES en France, avec pour objectif
clairement avoué par les dirigeants de cette industrie de remplacer
les cigarettes conventionnelles tout en développant une stratégie
de communication laissant croire que ce tabac chauffé va réduire le
risque lié au tabagisme.
Un véritable produit du tabac, au potentiel addictif
majeur
Pratiquement, les deux méthodes développées pour chauffer le tabac
permettent de le mener à une température variant de 180 à 350°C.
Les tabacs ont été choisis spécifiquement pour être chauffés avec
ensuite séchage et coupe spécifique permettant une préparation
spécifique. De nombreux additifs ont été utilisés : propylène
glycol, glycérol, arômes, …, Le poids du tabac par article varie de
250 à 400 mg pour une durée d’utilisation identique ou plus courte
que la cigarette et moins de bouffées. Cette stratégie est
certainement étudiée pour maintenir la dépendance, explique
Bertrand Dautzenberg, car les pics de nicotine dispensés sont plus
élevés et ouvrent ainsi de nombreux récepteurs qui maintiennent
l’addiction.
Il est par ailleurs intéressant de constater que la majorité
des articles publiés sur le tabac chauffé le sont par des auteurs
appartenant à l’industrie cigarettière, laissant supposer que le
tabac chauffé n’est pas un produit du tabac alors qu’il diffère
fortement des produits de la vape qui ne contiennent que de la
nicotine et des arômes. Le tabac chauffé est un produit pensé pour
être addictif, rappelle Bertrand Dautzenberg qui s’indigne par
ailleurs de la frilosité des autorités européennes dans la taxation
de ce produit. La plupart des tabacs chauffés (sauf certains
hybrides) sont en effet brûlés avec des émissions de CO, d’aldéhyde
et de goudron, un mot que l’industrie cigarettière a fait
disparaître de son vocabulaire en les renommant ‘Matière
Particulaire Sèche Sans Nicotine). Des analyses plus poussées ont
par ailleurs montré que le tabac chauffé émet en moyenne plus de
masses non gazeuses que les cigarettes, toutes ces considérations
permettant à Bertrand Dauzenberg d’affirmer que le tabac chauffé
est un produit dont les émissions liées à une pyrolyse plutôt qu’à
une combustion exothermique répondent à la définition de la
fumée.
Dans l’état actuel des choses, il n’est pas prouvé que le tabac
chauffé réduise le risque sanitaire en cas d’utilisation en
remplacement total des cigarettes classiques, toutes les
publications scientifiques de l’industrie du tabac annonçant
une réduction ‘potentielle’ du risque mais jamais de réduction
établie. Il faut remarquer également que les études cliniques
rapportées sont principalement conduites dans des situations
étroitement contrôlées avec un contrôle total du passage du tabac
standard au tabac chauffé, ce qui est très éloigné de la réalité
quotidienne.
La France en pionnière ‘éclairée’
La France n’a pas été dupe, conclut-il, car elle est l’une des
seules (si pas la seule) nations à considérer le tabac chauffé
comme une ‘autre façon de fumer du tabac’. Par contre, les
dispositifs utilisés n’ont pas de règle spécifique car ils ne sont
pas des produits du tabac.
En bref, le tabac chauffé est un produit du tabac conçu pour être
utilisé avec un appareil spécifique et les émissions de tabac
chauffé sont de la fumée. La toxicité des émissions du produit est
probablement réduite mais le tabac chauffé n’est pas un produit
propre. Il n’est pas non plus un produit de réduction du
risque.
Dr Dominique-Jean Bouilliez