
Paris, le mercredi 8 février 2023 – Les hôpitaux ne respectant pas la durée légale du temps de travail des internes pourront être sanctionnés, mais selon une procédure plus que complexe qui déçoit les syndicats.
C’est un vieux débat qui revient régulièrement, celui du respect du temps de travail maximum des internes en médecine, fixé à 48 heures par semaine par le droit européen et huit demi-journées à l’hôpital par la loi française, mais qui est très largement dépassé dans de très nombreux services hospitaliers (notamment de chirurgie et d’obstétrique), par manque de personnel ou tout simplement par respect d’une tradition séculaire qui veut que les internes ne doivent pas compter leurs heures.
Les premières grèves sur le sujet datent de 1998 et les syndicats d’internes ont remporté en juin dernier une victoire en demi-teinte lorsque le Conseil d’Etat a indiqué que les établissements de santé ont l’obligation de « se doter d’un dispositif fiable, objectif et accessible permettant de décompter le nombre journalier d’heures de travail effectuées par chaque agent », tout en refusant de mettre fin au décompte par demi-journée. Les internes ont remporté une autre victoire à la Pyrrhus ce lundi avec un décret du ministère de la Santé prévoyant des sanctions financières pour les hôpitaux ne respectant pas la législation sur le temps de travail des internes.
Les hôpitaux pourront être sanctionnés…après un an de procédure
A priori, ce nouveau texte règlementaire est une bonne nouvelle pour les internes, épuisés par des semaines de parfois plus de 70 heures. Mais le mécanisme mis en place par le gouvernement est si complexe qu’on doute de son efficacité. Le décret prévoit en effet qu’en cas de dépassement avéré du temps de travail légal, une première série de sanctions, déjà prévue par la loi, pourra être prise : suspension de l’agrément de stage du service, retrait de l’interne du stage ou suspension du chef de service.
Si, malgré ces sanctions, le directeur général de l’agence régionale de Santé (ARS) constate dans un délai de quatre mois « la persistance ou l’aggravation de ces manquements », il pourra mettre en demeure le directeur de l’établissement. Ce dernier disposera alors d’un délai de deux à quatre mois pour remettre au directeur de l’ARS un rapport « précisant les engagements pris et les mesures décidées pour remédier à cette situation ». Ce n’est qu’une fois le rapport remis où à l’expiration du délai que le directeur de l’ARS pourra décider de prononcer une sanction financière, mais l’établissement de santé disposera d’encore deux mois pour présenter ses observations.
On le voit, ce n’est donc qu’à l’issue d’une procédure longue et complexe de près d’un an que l’établissement de santé fautif pourra éventuellement être sanctionné. Le montant de l’amende prononcée sera décidé par le directeur de l’ARS selon « la gravité des manquements constatés, de leur durée et de leur répétition éventuelle ainsi que du nombre d’étudiants concernés ».
70 euros d’indemnité par jour de congé non pris
Présidente de l’Intersyndicale nationale des internes (ISNI) depuis juin dernier, Olivia Fraigneau ne cache pas sa déception face à ce décret qui « ne va pas assez loin, manque d’ambition et de courage ». « Mettre seulement une amende n’empêchera pas les gens de trop travailler, on propose aux hôpitaux de ne pas respecter le droit du travail en contrepartie d’une amende annuelle » poursuit la future urgentiste, qui rappelle la revendication principale de l’ISNI sur le sujet : mettre fin au décompte en demi-journées, source d’abus et le remplacer par un décompte horaire plus précis et conforme au droit européen.
Seule satisfaction pour l’ISNI, le ministère de la Santé a pris ce mardi un autre décret qui prévoit que les internes seront désormais indemnisés à hauteur de 70 euros pour chaque journée de congé qu’ils n’ont pas pu poser, une indemnité qui monte à 90 euros pour les docteurs juniors. Bien que ces 70 euros pour une journée représentent un taux horaire inférieur au SMIC, Olivia Fraigneau reconnait sur ce point « un effort » de la part du gouvernement, qui s’inscrit dans le plan « qualité de vie au travail » présenté par l’exécutif il y a un an. En parallèle, les internes continuent d’agir en justice pour faire respecter les règles sur le temps de travail : une trentaine de recours contre des établissements de santé sont actuellement en cours.
Quentin Haroche