
Paris, le samedi 9 avril 2016 – Vous l’avez sans doute remarqué, depuis quelques temps, pour être généreux il ne suffit plus seulement de faire don de son argent ou de son temps, il faut aussi entrer dans la course. Courir est devenu la nouvelle façon de faire de la philanthropie, d’œuvrer pour une cause et souvent de lutter contre une maladie. Car pour pouvoir enfiler un dossard et s’aligner aux côtés d’autres généreux coureurs de fonds, il est nécessaire non seulement de s’entraîner, mais également de débourser une petite somme, reversée à des associations ad hoc. Parmi les nombreuses causes faisant appel à de bienveillants donateurs, la lutte contre le cancer du sein fait la course en tête. On ne compte plus le nombre de manifestations organisées chaque année où des femmes habillées de rose s’élancent pendant de longues minutes (voire heures) pour soutenir celles souffrant d’un cancer du sein.
Douter pour elles
La vogue n’a pas échappé à l’œil sagace et impertinent de la blogueuse Manuela Wyler, atteinte d’un cancer du sein depuis 2013. Dans un post publié il y a près d’un an, elle ciblait le « bon filon des courses roses », ce qui lui permettait au passage de railler une nouvelle fois l’attirail ridiculement glamour du « pink washing ». Mais au-delà du caractère un tantinet agaçant de cette mode, qui derrière les appels à la course en oublie de délivrer un message intelligent et constructif sur le cancer du sein, Manuela Wyler s’interrogeait sur la gestion des fonds. « La transparence est-elle de mise dans le monde merveilleux des courses roses ? La réponse est non. L’opacité des comptes est la règle pour les petites organisations qui surfent et slaloment allègrement sur la vague rose, la peur des femmes et le droit », affirmait-elle. La blogueuse épinglait notamment l’association Courir pour elles, dont elle remarquait notamment qu’elle avait toujours omis de publier ses comptes. « L’association Courir pour elles, toutes solidaires ne publie pas ses comptes ni sur son site ni ne les dépose au greffe du tribunal ou à la préfecture. Jusqu’au seuil de 153 000 € c’est son droit, ça n’est pas très éthique, ni responsable mais cela reste dans le cadre légal » déplorait-elle.
Juger pour elles
Quelques jours après la publication de ce texte, l’hébergeur de son site recevait une demande de fermeture du blog, en raison de la diffusion du post jugé « diffamatoire ». La guerre était déclarée. Près d’un an plus tard, l’action a suivi son cours et Manuela Wyler, dont l’état de santé s’est lourdement aggravé, a reçu une convocation au tribunal de grande instance afin que lui soit signifiée sa mise en examen pour diffamation. La blogueuse a immédiatement relayé l’information sur son blog en signalant que ni les représentants de l’association, ni son avocat n’avaient jamais pris la peine de prendre contact avec elle ou avec son conseil pour tenter une conciliation, ce qui de la part d’une organisation se faisant fort de défendre les malades atteints de cancer n’aurait sans doute pas été superfétatoire. Aussi, Manuela Wyler fustige ces poursuites judiciaires et réitère plusieurs de ses critiques : « Vous ne délivrez pas de reçus fiscaux c’est marqué en grand sur votre site, vous effectuez de la vente en ligne sans déclarer à la CNIL la tenue d’un fichier, quels autres manquements votre association a-t-elle commis ? » s’interroge-t-elle. Elle remarque en outre que l’association n’a pas hésité à compter parmi ses exposants l’an passé un vendeur de vins locaux : « l’alcool et le cancer c’est le mariage de la grenouille et du scorpion » tance-t-elle.
Reculer pour elles
Manuela Wyler est assez connue sur la blogosphère où son franc parler l’a rendue attachante à beaucoup. Aussi, la lecture de ce post a-t-elle fait frémir les réseaux sociaux. Certains ont voulu demander des comptes à l’association, en postant des messages sur son site ou sa page Facebook. La censure leur aura répondu. « Pourquoi ai-je été bloquée ? Parce que j’ai osé leur demander si leurs valeurs et leurs soutiens pour les cancéreux passaient par le fait d’assigner en justice une malade du cancer qui a osé souligner le manque de transparence financière de leur projet » indique l’auteur du blog « Les histoires de poupi ». Aussi, bientôt, la presse s’en mêla : le Huffington Post, Libération ou encore Rue 89 se fendirent d’un petit article, soulignant tous le caractère quelque peu dérangeant d’une telle action judiciaire. C’en était trop : Courir pour elles a finalement fait paraître un communiqué où elle indique la publication de ses comptes et le retrait de sa plainte. Aucune excuse cependant, mais le rappel qu’elle n’a pas la maîtrise du calendrier judiciaire et qu’en substance elle ne pouvait prévoir que la convocation interviendrait au moment où Manuela Wyler serait au plus mal (tout en soutenant les patientes souffrant d’un cancer, Courir pour elles paraît ignorer qu’il s’agit d’une maladie qui peut potentiellement s’aggraver !). L’organisation remarque par ailleurs que Manuela Wyler n’a jamais pris le soin de vérifier auprès d’elle la véracité de ses accusations (omettant de préciser qu’elle n’a pas plus pris contact avec elle pour évoquer ses désaccords). Enfin, ses comptes révèlent que sur 100 euros, 48,30 euros sont reversés à des associations (cependant les frais liés à l’organisation des courses sont assez élevés) des résultats que certains sur la blogosphère jugent décevants. Parfois, rien ne sert de courir.
Pour retrouver les tribulations de cette polémique, plus rouge
que rose, vous pouvez vous rendre sur le blog de Manuela Wyler
:
http://fuckmycancer.fr/
et celui des Histoires de Poupi :
https://leshistoiresdepoupi.wordpress.com/2016/03/31/lasso-courir-pour-elle-et-lassignation-en-justice-dune-malade/
Aurélie Haroche