Trois questions à la Délégation interministérielle aux personnes handicapées

2015 : un objectif à ne pas rater (même dans les cabinets médicaux !)

Comme les Américains, le JIM a choisi le premier mardi qui suit le premier lundi de novembre pour proposer à ses (é)lecteurs une prometteuse nouveauté ! Nous inaugurons en effet ce 4 novembre une rubrique intitulée : « Trois questions à… », qui se proposera d’interroger régulièrement des acteurs essentiels de notre système de santé. Dans les prochaines semaines, le JIM interviewera entre autres le président de la Fédération hospitalière de France, la délégation interministérielle à la lutte contre la grippe aviaire ou encore la présidente de l’Association nationale des étudiants en médecine de France, tandis que nous ne désespérons pas de pouvoir interroger un expert sur une question qui a suscité une grande attention de votre part la semaine passée : le prélèvement d’organe sur les condamnés à mort chinois. Pour l’heure, c’est le chef du cabinet du Délégué interministériel aux personnes handicapées qui nous fait l’honneur d’inaugurer cette rubrique. Soraya Kompany a en effet accepté de revenir avec nous sur l’un des objectifs majeurs de la loi sur le handicap du 11 février 2005 : l’accessibilité des lieux publics et des transports en commun pour tous les types de handicap au 1er janvier 2015. Non seulement la question intéresse une part importante de la population française, mais elle concerne également directement les professionnels de santé, dont les cabinets doivent eux aussi répondre à cet objectif, comme le souligne à plusieurs reprises Soraya Kompany.

 

JIM - Dans la perspective de l'accessibilité des transports et des lieux publics aux personnes handicapées à l'horizon 2015, quelles sont les prochaines étapes incontournables ?

Soraya Kompany, chef du cabinet du Délégué interministériel aux personnes handicapées - Plusieurs cas de figures existent. Je signalerai tout d’abord que la loi du 11 février 2005 prévoit que les constructions, les aménagements et les transports en commun neufs et récents doivent être accessibles aux personnes handicapées immédiatement. Ainsi, depuis 2007, toute nouvelle construction, tout nouveau moyen de transports doivent être adaptés. Concernant ce qui existait avant la loi du 11 février 2005, c’est en 2015 que l’accessibilité pour tout type de handicap doit être obtenue. Les démarches à suivre d’ici 2015 différent selon la taille des structures. Pour les établissements recevant du public de taille importante, c'est-à-dire les établissements de la première à la quatrième catégorie, dont font par exemple partie les hôpitaux, des diagnostics d’accessibilité doivent être réalisés. Grâce à ces diagnostics, les gestionnaires des établissements pourront avoir une idée précise de la situation exacte de leurs bâtiments au regard de la réglementation et de l’ampleur des travaux à réaliser. Ils pourront à partir de ce bilan établir un calendrier des travaux à effectuer et un échéancier des dépenses à engager pour ces modifications. Ces diagnostics, qui doivent donc permettre aux établissements de se préparer, doivent être dûment réalisés avant la fin 2011. C’est une phase très importante et le fait qu’elle intervienne quatre ans avant l’échéance doit permettre de programmer correctement non seulement les travaux techniques, mais aussi d’échelonner les dépenses sur plusieurs budgets. En ce qui concerne les transports en commun, un dispositif similaire est prévu. On ne parle pas de « diagnostic », mais de « schéma d’aménagement des transports collectifs ». Avant le 31 décembre 2011, ces schémas doivent être établis.

Pas de diagnostic obligatoire, mais le même objectif dans les cabinets médicaux

Concernant les établissements plus petits, le même objectif de 2015 doit être respecté, mais un diagnostic d’accessibilité n’est pas obligatoire. Cependant, ces structures, parmi lesquelles figurent notamment les cabinets médicaux, ont tout intérêt à faire ce type d’évaluation qui leur permettra à elles aussi de prévoir les aménagements et les travaux à réaliser. Ces petits établissements de cinquième catégorie font entièrement partie de ce que l’on appelle le service de proximité et se doivent donc de répondre au même objectif d’accessibilité. Je pense aux cabinets médicaux privés, où il m’apparaît important que naisse ce réflexe. Les praticiens devraient notamment penser à l’aspect économique de cette question, au fait qu’il est de leur intérêt de recevoir tous les patients, quel que soit leur handicap.

JIM - Selon vous cet objectif de 2015 pourra-t-il être partout rempli ? Ne pensez-vous pas notamment que dans certains établissements, les travaux dépasseront la date limite ?

Soraya Kompany - Bien sûr, dans certains établissements dont les complexes architecturaux sont très étendus, les travaux à réaliser sont importants. Cependant, dans ces structures comme les hôpitaux ou les universités, l’établissement des « diagnostics d’accessibilité » est déjà en train d’être réalisé. La plupart des responsables sont conscients depuis longtemps de l’ampleur et de l’importance de la tâche et ils sont donc intervenus en amont. De nombreux aménagements ayant déjà été faits, rares devraient être les situations où les travaux dureront plus de trois ou quatre ans. Je n’ai pas d’inquiétude sur la capacité de ces établissements à répondre à l’objectif. Par ailleurs, l’une des nouveautés de la loi du 11 février 2005 est d’insister sur la nécessité d’organiser l’accessibilité pour tous les types de handicap. Or, face au handicap mental, aux handicaps visuel et auditif, les aménagements pour obtenir l’accessibilité ne sont pas très lourds. Les travaux peuvent être faits rapidement.

Une accessibilité théoriquement obligatoire depuis 1975 !

C’est évidemment face au handicap moteur que la question est plus délicate : il faut mettre en place des ascenseurs et des rampes, les travaux sont souvent lourds et coûteux. Il n’est pas rare que dans de nombreux établissements, l’accessibilité soit moyenne. Mais, l’accessibilité des personnes  à mobilité réduite dans les établissements publics est obligatoire depuis la loi du 30 juin 1975. Le délai de 2015 ne devrait donc pas représenter un grand défi ! D’une façon plus générale, il faut savoir que la France connaît en la matière un vrai retard et qu’une vraie prise de conscience s’impose. L’absence d’accessibilité d’un lieu public aux personnes handicapées est contraire au principe de non discrimination. Ceci étant dit, dans les cas où existerait une véritable impossibilité technique, si l’impact sur le chiffre d’affaire apparaît trop important ou encore s’il s’agit d’un monument historique qui pourrait être endommagé par les aménagements, des dérogations motivées sont possibles.

Dans les cabinets médicaux, la bonne volonté peut être le premier instrument de l’accessibilité

En outre, dans les petites structures, comme les cabinets privés, les solutions peuvent être modulées. Par exemple, on peut accepter qu’un seul niveau soit accessible aux personnes handicapées. Du moment que le service peut être rendu dans des conditions acceptables, même si ce n’est pas dans le lieu où il est habituellement réalisé, c’est possible. Par exemple, on peut imaginer que les patients à mobilité réduite soient reçus dans une pièce du cabinet, même si ce n’est pas la salle habituellement réservée aux consultations, mais à condition que les services rendus soient les mêmes.

JIM - A cet égard, lorsque des praticiens indiquent qu’en cas de non accessibilité de leur cabinet aux personnes handicapées, ils peuvent se rendre au domicile de ces patients, estimez-vous qu’il s’agit d’une solution acceptable ?

Soraya Kompany - Oui, à certaines conditions. On peut en effet imaginer que les médecins généralistes interviennent à domicile si la consultation ne coûte pas plus cher. Il me semble plus difficile d’envisager la même chose avec les praticiens spécialistes.

JIM - Quel dispositif efficace proposé à l'étranger mériterait selon vous d'être importé en France ?

Soraya Kompany - Je tiens tout d’abord à rappeler que l’accessibilité n’est pas seulement un bénéfice pour les personnes handicapées, mais pour tout le monde ! C’est notamment le cas pour les personnes âgées. Cela répond au principe de « qualité d’usage » et l'on sait que l’accessibilité contribue à améliore la qualité d’usage pour tous. C’est une notion qui est très facilement comprise dans les pays asiatiques, comme par exemple au Japon. Concernant des détails pratiques et très simples vus à l’étranger, j’aurais beaucoup d’exemples à donner. Parlons notamment des personnes aveugles. Si elles veulent se rendre dans un cabinet médical, elles doivent sortir de chez elle, traverser la rue, prendre les transports en commun ou s’y rendre à pied. En France, la loi du 11 février 2005 a prévu que l’accessibilité devait concerner tout ce que l’on appelle la chaîne de déplacement… on est encore loin d’atteindre cet objectif.

L’éternel exemple des pays du Nord

Stockholm, pour sa part, deviendra en 2010 la ville la plus accessible d’Europe. Il existe notamment dans cette ville des feux de circulation sonores pour les personnes aveugles. Chaque feu est assorti d’une sonnerie qui signale l’impossibilité ou la possibilité de traverser. Pour chaque feu, l’alerte sonore est la même et il est très facile de comprendre sa signification. Sans comprendre la langue, sans voir le feu, on sait quand ça passe au vert. En France, ce type de dispositif aussi unifié, n’existe pas. Les feux sonores, quand ils existent, sont souvent différents d’un carrefour à l’autre. A certains feux, c’est par exemple une voix qui indique si l’on peut traverser ou non. Cette voix n’est pas forcément compréhensible par tous et elle peut se perdre dans le bruit de la circulation. L’exemple de Stockholm est simple et facile à suivre : l’harmonisation des feux sonores et l’utilisation de signaux immédiatement compréhensibles.

Transports en commun : quelques astuces pratiques

Je pense aussi aux transports en commun. A Paris, le métro ne sera jamais totalement accessible. Dans beaucoup d’autres pays, l’accessibilité des transports aux personnes avec un handicap moteur est difficile, notamment parce qu’il faudrait mettre en place des ascenseurs. Mais, des solutions sont déployées à travers l’utilisation de petits ascenseurs non pas verticaux, mais légèrement horizontaux que l’on installe le long d’un escalier mécanique. De tels appareils ne sont ni très coûteux et ne nécessitent pas une intervention sur la structure du bâtiment. Les exemples étrangers sont très nombreux… en guise de conclusion je rappellerai par exemple comment à Londres tous les taxis sont accessibles aux personnes handicapées, ce qui est loin d’être le cas à Paris.

Interview réalisée par Aurélie Haroche

A.H.

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