Un an après le 13 novembre : traumatismes et reconstructions

Paris, le lundi 14 novembre 2016 – La France a vécu hier au rythme des commémorations. Le dimanche de novembre s’est figé à l’évocation des 130 personnes mortes il y a un an, fauchées par la barbarie du terrorisme un soir de fête. Sur chaque lieu meurtri, en présence des proches des victimes, le président de la République a dévoilé des plaques commémoratives portant le nom de ceux qui sont tombés.

La plupart des psychiatres estiment qu’il s’agit pour les proches d’un moment important. A propos des cérémonies organisées après l’attentat du 14 juillet, Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l'association Mémoire traumatique et victimologie avait ainsi jugé sur France Info il y a un mois que ces instants offraient aux victimes « la reconnaissance de ce qu’elles ont vécu et le fait que François Hollande s’engage auprès d’elles pour les accompagner » est important avait-elle estimé. De son côté, invité hier par l’association Life for Paris à l’occasion d’un rassemblement devant la mairie du XIe arrondissement de Paris, le psychiatre et psychanalyste Boris Cyrulnik observe : « La commémoration, c’est une reconnaissance qu’ils ne sont pas morts comme si de rien n’était. Ils sont morts mais on va faire quelque chose de leur souffrance, de leur malheur et du notre aussi. Les commémorations sont nécessaires » juge-t-il même s’il reconnaît qu’il « Il y a un risque en effet de réveiller le trauma ».

Vingt personnes hospitalisées

Pour beaucoup de ceux qui étaient présents dans les rues du XIème arrondissement ou au Bataclan, le traumatisme est encore prégnant en effet, psychologique mais également physique. La semaine passée, le secrétaire d’Etat aux victimes, Juliette Méadel, a indiqué que vingt personnes restaient encore hospitalisées aujourd’hui. « Sur ces 20, il y en a onze qui sont en hôpital de jour (…) Et il y a 600 personnes encore suivies pour des troubles psychologiques » a-t-elle indiqué. Au total, les services du secrétariat estiment à 1774 le nombre de victimes directes des attentats.

Récupérer est possible

Si les séquelles psychologiques touchent encore de nombreux rescapés, les psychiatres invitent à ne pas céder au fatalisme. Florian Ferreri, psychiatre à l’hôpital Saint-Antoine, en pointe dans la prise en charge des victimes estimait ainsi ce week-end sur les ondes de France Info que : « Fort heureusement, 70 à 80 % des personnes qui ont vécu les attentats du 13 novembre vont mieux, voire beaucoup mieux. Toutes n'ont pas repris une vie normale. Certaines sont devenues irritables, tendues. Au-delà des séquelles physiques, elles se replient et s'isolent. Mais on peut se remettre de tels événements. Le traumatisme n'est pas nécessairement destructeur ». De son côté, Françoise Rudetzki, fondatrice de l’association SOS Attentats, répondait hier à une jeune femme qui l’interrogeait sur la persistance du sentiment de peur : « Le chemin sera long pour certains et plus court pour d’autres. Chacun devra suivre son chemin. Ne désespérez surtout pas. »

Indemnisation : entre progrès et inquiétudes

Celle qui a milité toute sa vie pour une meilleure reconnaissance des traumatismes des victimes ne peut que se féliciter des progrès réalisés en ce qui concerne l’indemnisation. Les psychiatres considèrent également comme essentielle cette indemnisation pour faciliter la reconstruction des victimes. Didier Cremniter, psychiatre référent national des Cellules d’urgences médico-psychologiques (CUMP)  relevait ainsi dans le magazine Elle : « Pour "digérer" un tel événement, il faut une conjonction de facteurs parmi lesquels la reconnaissance de la souffrance par la société, l'administration, le corps médical et les proches. L'empathie générale, l'indemnisation financière, l'accompagnement médical et le statut de victime y participent ». Si le processus d’indemnisation a connu depuis l’attentat du Grand Véfour en 1983 de larges améliorations, les attentes sont encore nombreuses. Une polémique est ainsi née il y a quelques semaines autour de la pertinence d’une "barémisation" de l’indemnisation que rejettent les associations de victimes et qui ont obtenu gain de cause en la matière. Au total, 2 800 dossiers de demandes d’indemnisation ont été déposés devant le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI). « Sur ces 2 800 dossiers, 90 % ont reçu des débuts d'indemnisation et 280 un règlement définitif », a précisé Juliette Méadel.

Plus d’une soixantaine de programmes de recherche

Au-delà des commémorations, ce 13 novembre 2016 est également l’occasion de revenir sur les nombreux programmes de recherche lancés au demain des attentats. Le 18 novembre, le président du CNRS, lançait un appel à « occuper des terrains vacants, répondre à des interrogations qui croisent plusieurs champs disciplinaires, utiliser des techniques participatives et les compétences de tous ». L’invitation a été entendue : 300 projets ont été présentés, dont 66 (projets de recherche, écoles thématiques, ateliers) ont été soutenues par le CNRS. Ce 28 novembre, une première journée de restitution sera organisée sur ces programmes qui concernent tout aussi bien « la neutralisation chimique des explosifs, les trajectoires de jeunes "radicalisés", les amalgames et discriminations contre les musulmans, la fouille de données, les traumatismes des victimes » énumère le CNRS et touchent toutes les disciplines.

Formation du souvenir et du TSPT

Les mondes de la santé et de la psychiatrie sont particulièrement actifs dans cet effort de recherche. Trois programmes retiennent notamment l’attention. L’étude « 13-Novembre » conduite par l’Inserm, le CNRS et HeSam Université (hautes écoles Sorbonne Arts et Métiers), dirigée par l’historien Denis ¬Peschanski et le neuropsycho-logue Francis Eustache a pour ambition de recueillir les témoignages de 1 000 personnes pendant dix ans. Les sujets peuvent être des témoins directs des attentats (près de la moitié des personnes impliquées) ou des personnes plus éloignées (habitants du quartier, de Paris…). Cet important travail doit notamment permettre d’analyser la formation du souvenir. Les participants doivent non seulement livrer leur témoignage mais également se soumettre à différents tests (explorations psychopathologiques, tests de neuropsychologies et examens d’imagerie). « Grâce à ces tests qui seront refaits dans deux ans et dans cinq ans, l’objectif de “Remember” est de mieux identifier des mécanismes cérébraux qui conduisent au trouble de stress post traumtatique » explique Francis Eustache dans Le Monde. L’étude IMPACTS a une vocation proche : ses résultats définitifs devraient être publiés en 2017. L’enquête ESPA, conduite notamment grâce à Santé publique France, lancée en juillet par web-questionnaire a pour sa part comme objectif « d’aider les pouvoirs publics à agir en faveur des populations touchées et d’améliorer, à l’avenir, les stratégies de réponse à adopter en cas de situations exceptionnelles » explique Santé publique France.

Le temps des doutes

L’analyse de la réponse des différents services impliqués a déjà permis d’identifier des pistes d’amélioration. Après le temps de la glorification, est en effet venu celui des doutes. Si devant la Commission d’enquête parlementaire, l’ensemble des responsables des services des secours, notamment du Samu se sont félicités de la très bonne marche des opérations, des enquêtes journalistiques, réalisées par Mediapart et France 2 notamment, ont mis à jour des failles. Le documentaire diffusé mardi 8 novembre sur France 2 a ainsi révélé des "mensonges" des responsables du Samu devant l’Assemblée : ce n’était en effet pas à 10h30 que son centre de crise était opérationnel, mais bien trois heures plus tard. Au-delà de ce point de détail, l’arrivée tardive des secours sur différents sites (en raison notamment de l’insécurité de la zone), les défauts de coordination entre les pompiers et le Samu (qui a ralenti l’identification des victimes en particulier) ou le renvoi des appels des familles vers un site incapable d’absorber l’afflux des coups de téléphone ont été pointés du doigt par plusieurs rapports. Des éléments de réponse ont été apportés, concernant notamment l’identification des victimes ou encore la constitution d’équipes mixes secours et forces d’intervention pour permettre une intervention plus rapide des soins.

Concernant enfin la réponse au traumatisme psychologique, des ajustements devront également être faits. Un grand nombre des équipes de psychiatres et de psychologues qui interviennent jugent en effet que si l’urgence est aujourd’hui bien gérée, la prise en charge au long cours fait défaut, faute de moyens suffisants et d’une sensibilisation des professionnels adaptée. Thierry Baubet, chef de service à l’hôpital Avicenne (Bobigny, Seine-Saint-Denis) appelait ainsi dans les colonnes de Pourquoi Docteur à la création de centres ressources, destinés à constituer un réseau et à orienter les patients.

Aurélie Haroche

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