Vaccination : les effets positifs de l’« opt-out »
Paris, le samedi 10 juillet - La France se tourmente.
L’horizon est sombre : dans quelques semaines, elle pourrait être
débordée par le variant Delta et sa couverture vaccinale encore
trop insuffisante ne lui évitera peut-être pas un engorgement de
ses hôpitaux. Un cauchemar obsède les décideurs : et si de
nouvelles restrictions s’imposaient ? Ne peut-on pas espérer plutôt
atteindre des taux de vaccination plus élevés ? Mais comment agir ?
L’obligation est en train de devenir la réponse unique, gommant
toutes les autres possibilités. Pourtant, de nombreux autres
leviers existent pour corriger les limites de notre campagne de
vaccination, alors que, l’histoire l’a démontré, notre pays est
loin de compter un si grand nombre de réfractaires absolus au
vaccin. Angela Sutan, professeur en économie expérimentale à la
Burgundy School of Business et créatrice du LESSAC (Laboratoire
d’Expérimentation en Sciences Sociales et Analyse des
Comportements) revient pour nous sur ces
leviers.
Par le Pr Angela Sutan
Alors que le gouvernement souhaite mener rapidement une
campagne de sensibilisation des personnes non vaccinées, pour
éviter une possible nouvelle vague, en s’appuyant principalement
sur les médecins traitants, la CNIL a autorisé la transmission des
listes de patients non-vaccinés aux médecins qui en font la
demande.
Cependant, rappelons que les mesures techniques doivent
s’accompagner de la mise en place de leviers comportementaux
efficaces pour obtenir l’effet escompté.
Dans un travail récent, nous avons passé en revue toutes les
interventions comportementales qui ont montré, empiriquement, et
sur la base d’expérimentations, qu’il y en en effet quatre types de
leviers qui fonctionnent pour inciter les individus à se faire
vacciner.
Premièrement, l’exemple vertueux de son groupe de référence
(des personnes que je connais se sont faites vacciner) joue sur le
conformisme à la norme sociale. Plus dans mon cercle proche (et pas
dans la presse people) je vois des exemples de comportement
responsable, plus je le ferai.
Deuxièmement, la mise en avant des dangers individuels ou
collectifs de ne pas se faire vacciner joue sur la prise en compte
de l’aversion au risque qu’un individu peut avoir lorsqu’il
comprend qu’il prend des risques pour soi, pour les autres, ou
qu’il prend les mêmes risques pour soi et pour les autres : plus un
individu comprend qu’il prend des risques pour les autres (par
exemple, une personne âgée ou un soignant ne souhaitant pas se
faire vacciner), plus il est susceptible de changer de comportement
(comme s’il répondait à la question : si vous ne vous vaccinez pas,
souhaitez-vous que votre petit-fils se fasse vacciner à votre place
?).
Troisièmement, pour une fraction de la population qui a
l’intention de se faire vacciner, il est efficace de jouer sur le
fait de rappeler les intentions ou des rendez-vous manqués, pour
transformer les intentions de vaccination en acte. C’est ici,
principalement, que peuvent intervenir les médecins traitants, qui,
supposons qu’ils ont les moyens (temps, secrétaire médicale…),
peuvent avoir une action pédagogique.
Le quatrième levier, qui est le plus efficace, n’a pas été
utilisé par le gouvernement. Et malheureusement les médecins, qui
se voient reporter sur leurs épaules la responsabilité d’une course
contre la montre, ne pourront pas non plus le mettre en œuvre
efficacement seuls (c’est pourtant un bon début), et n’ont pas reçu
des indications claires dans ce sens.
Il s’agit de quel levier ? Il s’agit de simplement rendre la
vaccination plus facile : il faut uniquement réduire le coût qu’un
individu doit payer pour se faire vacciner. La vaccination étant
gratuite, en France, il ne s’agit pas d’un coût monétaire. Il
s’agit de l’interaction avec une plateforme fastidieuse, des
problèmes de calendrier, du temps d’attente, du coût mental, de la
barrière de l’inaction…. Or, il existe un levier comportemental
efficace, le changement des choix par défaut : on n’a pas besoin de
rendre (aujourd’hui) la vaccination obligatoire, il suffit de
proposer rapidement à chaque Français un rendez-vous déterminé pour
une première dose. Ceci peut être fait par le médecin traitant,
mais doit aussi être fait par les centres de vaccination ou la CPAM
(puisque le conditionnement des vaccins fait que les vaccinations
doivent être regroupées, ce qui est plus laborieux à mettre en
œuvre au sein d’un cabinet que dans un centre dédié). Ce levier
s’appelle l’« opt-out » : on reçoit un email ou un SMS indiquant
une heure, une date et un lieu pour se faire vacciner, avec
toutefois une option pour annuler le rendez-vous ou en poser un
autre. Ce levier s’oppose au « opt-in » en vigueur actuellement,
condition dans laquelle la personne, même disons contactée par son
médecin traitant, doit quand même elle-même fixer son propre
rendez-vous. Ce levier a été mis en évidence dans les travaux de
Dan Ariely, et aussi dans une étude de 2010 : on a montré qu’en
situation de « opt-in » seule la moitié des personnes passent à
l’action, alors que le taux de vaccination monte à 92 % en
situation de « opt-out » (dans cette étude, un sous-groupe
d’employés avait reçu un mail indiquant une heure, une date et un
lieu pour se faire vacciner, alors que les autres avaient reçu un
mail leur demandant de fixer leur propre rendez-vous – seule la
moitié de ce second groupe est passée à l’action quand le taux de
vaccination est monté à 92 % dans le premier). Les recherches
montrent, de surcroit, que ce système, contrairement à l’obligation
vaccinale, est perçu comme éthique.
Attention toutefois, avec cette responsabilité des médecins
traitants, à ne pas formuler des attentes trop grandes sur leur
action, qui sera laborieuse et intervient tardivement, et à ce
qu’on ne leur attribue pas un rôle de « bouc émissaire » si la
vaccination ne venait pas à redémarrer.
Références
Ariely, D. Predictably Irrational, Harper Collins,
2008.
Romaniuc, R., Guido, A., Mai, N., Spiegelman, E., Sutan, A.,
Increasing Vaccine Acceptance and Uptake: A Review of the Evidence
(May 4, 2021). Available at SSRN: https://ssrn.com/abstract=3839654
or http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3839654
Chapman, G.B., Li, M., Colby, H., Yoon, H. Opting in vs opting out
of influenza vaccination. JAMA. 2010 Jul 7;304(1):43-4. doi:
10.1001/jama.2010.892. PMID: 20606147.
Merci pour cet intéressant article. Parmi les leviers pour accélérer la vaccination je vous en propose un autre qui de plus pourrait être un début de maitrise des dépenses de santé, tout en gardant le caractère non obligatoire de la vaccination. Il suffirait d'imposer un malus (e.g. une augmentation des cotisations Sécurité Sociale) aux personnes non vaccinées. Ce ne serait que justice, vous voulez que la société dépense plus pour vous ? Remboursez la. A noter que ce principe existe depuis des années pour les assurances voitures qui arrive ainsi à un équilibre. Bon je suis sûr que ma remarque ne va pas plaire à tous le monde... Merci de m'avoir lu et bonne journée.
Dr Christian Jeanguillaume
Malus et dérapage
Le 10 juillet 2021
L’idée du malus ne me choque pas mais le risque de dérapage est énorme. En effet si nous voulons être cochèrent il faudra appliquer un malus pour tous les facteurs de risques modifiables au prorata du risque (tabac, alcool, sédentarité, insuffisance végétaux, excès de sel .....) et un bonus à ceux qui appliquent un régime méditerranéen, une activité physique, une modération alcoolique, gestion du stress ... Pourquoi pas en théorie mais en pratique ...
Dr Julien Maréchal
Vaccination anti-covid : une solution non contraignante
Le 10 juillet 2021
Une solution non contraignante...pour les personnes vaccinées: en cas de 4ème vague qui semble hélas arriver rapidement, le pass sanitaire permettra de ne pas être reconfinées, tout en respectant les gestes barrières; par contre les personnes non vaccinées devront être reconfinées, avec les restrictions que nous avons connues.