Vers un premier vaccin contre l’asthme allergique ?

L’asthme est la pathologie respiratoire chronique la plus fréquente, qui affecte plus de 300 millions de personnes dans le monde dont 4 millions en France. C’est une entité complexe et hétérogène caractérisée par une hyperréactivité de l'arbre bronchique à divers stimuli, conduisant à une inflammation chronique des voies aériennes. Une classification basée sur le type de réponse immuno-pathologique a été proposée et permet de distinguer : (1)

·L’immunité de type 1 qui fait intervenir les lymphocytes TH1 (T helper), les lymphocytes TC1 (T cytotoxique) et les cellules lymphoïdes innées ILC1 produisant l’interféron (IFN)-γ et le TNF (tumor necrosis factor), impliquée dans l’immunité cellulaire antimicrobienne.

·L’immunité de type 2 fait intervenir les LTH2, LTC2 et les ILC2 qui sécrètent les interleukines IL-4, IL-5 et IL-13 ; elle est impliquée dans la protection contre les parasites, les allergènes et les irritants.

·L’immunité de type 3 fait intervenir les LTH17, LTC17 et ILC3 qui produisent l’interleukine IL-17 et est associée à l’immunité antibactérienne et antifongique.

Ces trois types d’immunité participent à l’hétérogénéité des tableaux cliniques observés et affectent la composition de l'infiltrat granulocytaire des voies aériennes. Parmi cette variété de phénotypes, l’asthme dit de type-2, observé chez environ la moitié des sujets asthmatiques, est caractérisé par des taux élevés d’IgE et de cytokines de type 2 (l’IL-4 impliquée dans la production d’IgE et l’IL-13 dans la production de mucus) et une hyperéosinophilie. La mise sur le marché de l’anticorps monoclonal « dupilumab » (qui cible la sous unité α du récepteur IL-4R commune à l’IL-4 et l’IL-13) a permis de soulager les patients souffrant d’asthme modéré à sévère mais il contraint les patients à des injections répétées tout au long de l’année.

Des chercheurs de l’Inserm, de l’Institut Pasteur en collaboration avec l’entreprise Neovac travaillent depuis plusieurs années à développer un vaccin conjugué ciblant l’IL-4 et l’IL-13. Dans un précédent travail, ils ont pu démontrer que leur vaccin dénommé Kinoïde® dirigé contre les formes murines d’IL-4 et IL-13 pouvait réduire : l’hyperréactivité bronchique, la production d’IgE, l’hyperéosinophilie et la production de mucus dans des modèles murins d’asthme. Dans une récente lettre à l’éditeur de la revue « Allergy » (2), ces chercheurs rapportent avoir franchi une étape supplémentaire dans leur « preuve de concept » en développant deux vaccins Kinoïde® dirigés contre les formes humaines d’IL-4 (hIL-4K) et Il-13 (hIL-13K) ; chaque vaccin est composé de l’interleukine recombinante correspondante conjuguée à la protéine CRM197 (forme mutée non pathogène de la toxine diphtérique).

Un modèle murin dénommé hIL-4/13/4RαKI

Afin de valider l’efficacité de ce nouveau vaccin, un modèle murin exprimant les interleukines humaines hIL-4 et hIL-13 et le gène humain du récepteur hIL-4Rα à la place des gènes murins a été spécifiquement généré, il a été dénommé hIL-4/13/4RαKI. Les souris immunisées par les deux vaccins sus cités ou un placebo (CRM197 seul) ont été exposées de façon chronique (12 administrations intranasales) à de la poussière d’acariens pour générer un modèle d’asthme chronique dénommé HDM pour house dust mite.

L’injection IM des vaccins hIL-4K et hIL-13K a permis d’induire une réponse humorale dirigée contre hIL-4 et hIL-13 avec la production d’anticorps neutralisants détectés à J39, J59 et J97. Les souris hIL-4/13/4RαKI traitées par la poussière d’acariens et précédemment immunisées par le placebo (CRM197) présentaient un taux élevé d’éosinophiles dans le LBA, taux qui a été significativement réduit chez les souris asthmatiques précédemment immunisées par les vaccins hIL-4K/hIL-13K (p < 0,01). Cette double vaccination a également réduit l’inflammation péribronchiolaire et la production de mucus dans le modèle asthme chronique (facteurs 1,6 et 8,7 respectivement).

Dans un second modèle d’asthme sévère dénommé « HDMhigh », les souris hIL-4/13/4RαKI ont exprimé une forte hyperréactivité bronchique après exposition à la méthacholine en comparaison avec le placebo. Cette hyperréactivité a été quasiment abrogée chez les souris ayant reçu les deux vaccins sus cités (p < 0,001). Le taux d’IgE totaux et d’IgE spécifiques (mais pas d’IgG spé) à la poussière d’acariens a été réduit de façon significative chez les souris asthmatiques ayant reçu les deux vaccins hIL-4K/hIL13K.

In fine, dans un modèle murin exprimant les interleukines humaines hIL-4 et hIL-13, l’administration de deux vaccins « kinoides » a permis de neutraliser l’activité de ces deux interleukines et de réduire des symptômes liés à un asthme allergique sévère. Avant d’envisager des essais chez l’homme, il sera nécessaire de confirmer ces résultats dans d’autres modèles (primates non humains) et également confirmer que l’effet observé se maintient dans le temps, en particulier en cas d’administration chez des sujets préalablement sensibilisés aux acariens (ce qui n’était pas le cas ici). Au-delà de l’asthme allergique, cibler ces deux interleukines pourrait avoir un intérêt dans le traitement de la dermatite atopique et l’allergie alimentaire.

(1)Ricciardolo FLM, et coll. Characterization of T2-Low and T2-High Asthma Phenotypes in Real-Life. Biomedicines. 2021 Nov 13;9(11):1684. doi: 10.3390/biomedicines9111684.

Dr Dounia Hamdi

Référence
Lamanna E, et coll. : A vaccine targeting human IL-4 and IL-13 protects against asthma in humanized mice. Allergy. 2023 ; publication avancée en ligne le 17 février. doi: 10.1111/all.15680.

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